La dissémination d’espèces exotiques envahissantes pendant les chantiers : prévenir plutôt que guérir

Le ministère de la Transition écologique a soumis à consultation publique, du 13 janvier au 4 février 2022, un plan d’action visant à prévenir l’introduction et la propagation d’espèces exotiques envahissantes. Dans ce contexte, nous revenons sur l’implication des chantiers de construction, dans l’introduction et la propagation de plantes invasives et sur des bonnes pratiques pour lutter contre ce phénomène.

 

Les espèces exotiques envahissantes, colonisatrices du milieu urbain

Reconnue comme l’une des cinq pressions directement responsables de l’érosion de la biodiversité à l’échelle mondiale, l’introduction d’espèces exotiques envahissantes a des impacts aussi bien écologiques, qu’économiques et sanitaires. L’intensification des échanges commerciaux et des flux démographiques depuis plusieurs dizaines d’années a considérablement augmenté le taux d’introduction d’espèces exotiques. Ce phénomène devient donc un enjeu majeur à traiter, surtout pour la France, qui se positionne parmi les pays européens possédant le plus grand nombre d’espèces exotiques envahissantes, et ce pour la majorité des groupes biologiques (DAISIE, 2009).

Tous les types de milieux sont sujets aux invasions biologiques. Parmi eux, la ville est habitée par un grand nombre d’espèces de plantes exotiques, dont certaines comme l’Ailante ou la Renouée du Japon, que l’on retrouve notamment en Ile-de-France, sont invasives. Leur présence est favorisée par des caractéristiques propres au milieu urbain. Tout d’abord, on y retrouve un nombre important de plantes ornementales, volontairement introduites par l’Homme, qui ont pu s’échapper des parcs et des jardins où elles sont cultivées. Selon l’ANSES, en France, parmi les 700 plantes exotiques naturalisées, c’est-à-dire autonomes et établies de manière durable dans le milieu, une centaine sont invasives. La ville est aussi le carrefour de plusieurs voies de communications. L’invasion biologique est donc également le fruit d’introductions accidentelles causées par les déplacements humains le long des autoroutes ou des voies ferrées. Enfin, l’introduction et l’établissement des plantes exotiques envahissantes sont favorisés par le caractère relativement perturbé de l’environnement urbain. La dégradation de certains espaces, à la suite de la destruction d’un bâtiment par exemple, profite grandement à ce type d’espèces. Les villes comptent également leur lot d’espèces animales invasives. Une étude du Cerema en 2017 en recensait une quarantaine en Île-de-France. Parmi elles, la Perruche à Collier s’est remarquablement adaptée au milieu urbain et peut être régulièrement aperçue dans les parcs et jardins.

 

Les chantiers de construction, facteur d’introduction et de dissémination de plantes invasives

Le futur plan d’action ministériel vise à développer les actions de prévention face à l’introduction et la propagation des espèces exotiques envahissantes existantes à l’échelle nationale. Pour les chantiers de travaux, comme pour d’autres facteurs d’introduction d’espèces envahissantes, c’est en effet à cette étape précoce qu’il apparait le plus judicieux et efficace d’agir pour contrôler le phénomène d’invasion biologique.

Plusieurs caractéristiques relatives aux chantiers de travaux favorisent l’introduction et la dissémination d’espèces végétales exotiques envahissantes, telles que les Renouées asiatiques ou les Ambroisies. Le transport d’engins et d’équipements, ainsi que l’apport de matériaux tels que la terre, le sable et le gravier, favorisent l’introduction de plantes invasives sur les sites en y déplaçant des graines ou des fragments de plantes. Ils sont d’ailleurs identifiés dans le projet de plan d’action comme étant deux des principales voies d’introduction des espèces exotiques envahissantes. La dégradation de l’habitat, souvent engendrée par la conduite de travaux de construction, est considérée comme favorable à l’installation et à la prolifération des plantes invasives. La simple manipulation de terres locales colonisées par des plantes invasives est susceptible de provoquer leur dispersion sur le site.  L’ouverture du milieu et la mise à nu de surfaces de sol permet également l’implantation d’espèces invasives pionnières (c’est-à-dire qui colonisent un nouvel espace), qui seront ensuite capables de se développer très facilement.

Les plantes exotiques envahissantes menacent les espèces indigènes et perturbent les écosystèmes dans lesquels elles s’introduisent. Elles présentent un avantage compétitif vis-à-vis des espèces indigènes et se développent ainsi au détriment de ces dernières. Elles peuvent également modifier certains paramètres des écosystèmes comme la luminosité, la chimie du sol ou encore le cycle des éléments, ce qui peut mener à un changement significatif de la composition, de la structure et du fonctionnement des écosystèmes.

En se propageant en dehors des sites de chantier, les plantes exotiques envahissantes sont susceptibles d’avoir des impacts économiques négatifs pour d’autres secteurs d’activités comme celui de l’agriculture et de la sylviculture, en diminuant les rendements. Certaines espèces entraînent également des conséquences sanitaires. C’est le cas des Ambroisies, appelées parfois Herbes à poux, qui émettent un pollen allergisant pour l’Homme. A ce titre, trois espèces d’Ambroisies, l’Ambroisie à feuille d’armoise, l’Ambroisie trifide et l’Ambroisie à épis lisse, ont été intégrées par un décret à la liste d’espèces exotiques envahissantes jugées « nuisibles pour la santé humaine » du code de la santé publique.

 

Limiter l’introduction et l’installation des plantes invasives lors de la phase chantier permet d’éviter des dégâts écologiques et des surcoûts

Dans le cadre d’un groupe de travail sur les espèces végétales exotiques envahissantes, l’Union des Professionnels du Génie Ecologique (UPGE) a rédigé un guide de préconisations pour une meilleure prise en compte du risque de dissémination des plantes invasives terrestres dans les projets de travaux. Ces préconisations visent toutes les étapes d’un projet de construction, depuis la phase de conception jusqu’au déroulement du chantier.

  • L’accent est mis sur l’anticipation des facteurs de risques, en contrôlant le choix de l’origine des terres rapportées par exemple, mais aussi en étudiant le milieu au sein duquel les travaux seront menés.
  • La sensibilisation des acteurs des travaux, comme les conducteurs d’engins, constitue aussi un moyen de prévenir les invasions biologiques.
  • Après les travaux, il est également judicieux de surveiller les potentiels repousses ou formations de nouvelles populations d’espèces invasives, de manière à pouvoir intervenir le plus tôt possible. Cette étape de suivi peut être réalisée par des acteurs experts, comme les Conservatoires Botaniques Nationaux.

La gestion ou l’éradication des plantes invasives déjà bien installées est complexe et couteuse. La prise en compte trop tardive des risques d’invasions biologiques peut être à l’origine de retard du chantier et de coûts financiers supplémentaires pour l’entreprise de travaux. La colonisation du site par des plantes invasives peut aussi être dommageable pour les futurs propriétaires du bâtiment en construction. Il est alors préférable de veiller à ne pas disséminer ces espèces ou de traiter les foyers d’invasion le plus tôt possible. De plus, les caractéristiques biologiques et écologiques peuvent fortement varier d’une espèce à l’autre, ce qui implique d’adapter les méthodes de gestion presque au cas par cas. Il peut donc devenir très difficile d’arriver à un résultat satisfaisant.

Le plan d’action ministériel prévoit une action au sujet des chantiers de construction, qui concerne principalement les infrastructures linéaires (routes, voies ferrées). Cependant, certaines mesures, comme celles concernant la prise en compte des espèces exotiques envahissantes dans les études d’impacts et les actions de formation des gestionnaires de chantiers, peuvent d’ores et déjà être généralisées à tout type de travaux comme des bonnes pratiques.

 

Pour lutter de manière efficace contre les espèces exotiques envahissantes, il est préférable d’adopter des mesures de prévention afin d’éviter une propagation qu’il est difficile de contrôler. Les actions de sensibilisation et l’attention portée aux risques d’invasions pourraient être appliquées à d’autres problématiques liées à l’impact des travaux sur la biodiversité.  La rénovation par exemple peut être source de risques pour la biodiversité qui peuvent être réduits, en mettant en place des actions de protection pour les espèces installées sur les bâtiments.

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