Malgré l’existence d’outils juridiques tels que la séquence Eviter-Réduire-Compenser, les projets d’urbanisme sont inégalement soumis à une règlementation relative à la perte nette de biodiversité sur les parcelles artificialisées. Quelle est la portée de cet outil règlementaire, et quelle peut en être le bénéfice pour atteindre l’objectif « Zéro artificialisation nette » ?
En France, les outils juridiques n’ont cessé de progresser en faveur de la protection de la nature mais restent focalisés sur les initiatives de conservation des espaces naturels. En effet, les mesures règlementaires sont pour l’instant peu contraignantes sur la prise en compte des impacts des activités sur les milieux naturels. Le 3 février 2020, l’OID a organisé un atelier dont l’objectif était d’aborder les obligations règlementaires liées aux projets d’urbanisme et les leviers à disposition des maîtres d’ouvrage pour remédier à la perte nette de biodiversité, au regard des contraintes inhérentes aux projets immobiliers. L’atelier a fait intervenir Chloé BEGUE, Chargée de mission économie et droit de la biodiversité – Humanité & Biodiversité, Roxane SAGELOLI, Avocate – Cabinet Huglo-Lepage et Camille BARBARA, Directrice déléguée – BIODIF.
La séquence ERC : les principes
Le caractère progressif de la séquence ERC se décline à travers 3 piliers :
- Eviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ;
- A défaut, en réduire la portée, afin que ne subsistent que des impacts résiduels ;
- En dernier lieu, compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées.
Les mesures compensatoires ne peuvent pas « se substituer aux mesures d’évitement ou de réduction » (Code de l’environnement, art.L.163-1,I).
L’obligation de compenser les dommages écologiques d’une activité apparaît historiquement dans la Loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature et son décret d’application du 12 octobre 1977. Celui-ci introduit le dispositif de l’étude d’impact pour certains ouvrages ou projets d’aménagement en intégrant la mise en œuvre de la séquence ERC. Le maître d’ouvrage a l’obligation d’ajouter dans son étude d’impact « les mesures envisagées […] pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables du projet sur l’environnement. »
La loi du 8 août 2016, ou Loi Biodiversité, vient réaffirmer et préciser la séquence (avec la disparition notamment du « et si possible »). Dès la conception d’un projet, les maîtres d’ouvrage doivent prévoir les mesures pour éviter les impacts qu’il aura sur l’environnement, les réduire s’ils ne peuvent être évités et, à défaut, les compenser. L’objectif décrit dans la loi étant d’éviter toute perte nette de biodiversité, voire de viser un gain de biodiversité (Art. 69, chapitre III du titre VI de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016) : « Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d’absence de perte nette, voire de gain de biodiversité. Elles doivent se traduire par une obligation de résultats et être effectives pendant toute la durée des atteintes. Elles ne peuvent pas se substituer aux mesures d’évitement et de réduction. Si les atteintes liées au projet ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, celui-ci n’est pas autorisé en l’état. »
Les projets soumis à étude d’impact sont inscrits dans l’annexe de l’Art. R122-2 du code de l’environnement. Le décret du 4 juin 2018 modifie les catégories de projets, plans et programmes relevant de l’évaluation environnementale en réduisant le champ des projets qui y sont soumis. L’objectif du ministère est de focaliser les études d’impact sur les travaux les plus significatifs en écartant le critère du « terrain d’assiette » pour les constructions.
Cette modification des obligations relatives aux mesures d’évitement, de réduction et de compensation des dommages causés au milieu naturel sur lequel s’implante un projet trouve un écho dans la récente étude du Museum National d’Histoire Naturelle sur la séquence ERC. Celle-ci déplore que les mesures de compensation ne soient pas à la hauteur des pertes provoquées. Le même constat avait été établi lors d’une commission d’enquête sénatoriale en mai 2017, à propos des mesures compensatoires affiliées à de grands projets d’infrastructures : « Les porteurs de projets ont tendance, comme par le passé, à ignorer les deux premiers volets du triptyque ERC au bénéfice de la seule compensation qui, elle-aussi, demeure encore mal connue et mal appliquée. », avait pointé la députée Nathalie Bassire, rapporteure de la mission avec Frédérique Tuffnell.
L’examen des projets au cas par cas : définition
Par ailleurs, un grand nombre de projets sont étudiés au cas par cas, et finalement peu sont effectivement soumis à étude d’impact.
La loi du 12 juillet 2010 et le décret du 29 décembre 2011 portant réforme des études d’impact ont introduit la procédure de l’examen des projets au cas par cas. Cette procédure est entrée en vigueur le 1er juin 2012. Elle a été modifiée et renforcée par l’ordonnance du 3 août 2016 relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets. L’examen au cas par cas des projets, en fonction du degré des impacts que celui-ci aura sur l’environnement et la santé humaine, donne lieu à décision d’obligation ou de dispense d’étude d’impact. « Il s’agit donc d’examiner, en amont des procédures d’autorisation, les enjeux environnementaux du territoire concerné par le projet, les impacts potentiels de ce projet sur l’environnement et la santé, la façon dont ces impacts sont évalués et les mesures prévues pour les éviter ou les réduire afin de décider si une étude d’impact est nécessaire dès lors que l’impact est notable. La procédure d’examen au cas par cas donne lieu à une décision de l’autorité environnementale portant obligation de réaliser une étude d’impact ou dispensant le projet d’étude d’impact. »
Dans sa thèse soutenue en juin 2018, Charlotte Bigard rappelle qu’en 2015, 2 222 dossiers ont été soumis au cas par cas (dont 808 en urbanisme) et parmi ces dossiers, seulement 12,5% ont finalement été soumis à étude d’impact (CGDD, 2016). D’autre part, beaucoup de projets ne sont pas listés et donc non soumis à étude d’impact. C’est le cas par exemple de tout projet d’urbanisation de moins de 4 ha et d’un terrain d’assiette inférieure à 10 ha. C’est ainsi qu’en matière d’urbanisation en France, Charlotte Bigard ajoute : « entre 1992 et 2004, 410 milliers d’hectares sur 800 milliers ont été artificialisés par des maisons individuelles, et depuis 2006 cette tendance se poursuit car près de la moitié des terres artificialisées sont destinées à l’habitat individuel. Par conséquent, environ la moitié de l’artificialisation française est issue de petits projets ne nécessitant pas d’étude environnementale. ».
Quels risques juridiques pour les acteurs immobiliers ?
Le constat récurrent d’une justification insuffisante des mesures d’évitement donne lieu aujourd’hui à un contrôle de plus en plus poussé des projets immobiliers, renforcé depuis le 1er mars 2017. Ainsi, la simple « esquisse des principales solutions de substitution » a été remplacée par une « description » des dites solutions (Code de l’environnement, art.R.122-5). Le contrôle de l’application progressive de la séquence ERC (évitement et réduction) est de plus en plus précis. Le juge assure l’application du principe de prévention. Cela peut se traduire par l’annulation du permis de construire (Exemples : Cours Administrative d’Appel de Lyon, 18 octobre 2016, n°14LY01848 : défrichement zone humide ; Tribunal Administratif de Rennes, 7 juillet 2017, n°1402028 : défrichement, ICPE, dérogation Etudes Préliminaires et Permis de Construire parc éolien – art. R.111-27) lorsque la justice considère que l’impact aurait dû être évité, et qu’il ne peut être supprimé ou suffisamment atténué par la fixation de prescriptions, y compris dans le cadre d’une Déclaration d’utilité publique. Le contrôle du respect du principe de prévention est autonome de celui de l’utilité publique de l’opération projetée et doit être effectué préalablement à celui-ci.
Face à ce constat, argumenté par les chiffres de la récente étude publiée par France Stratégie en 2019, attestant la rapidité et l’ampleur de l’artificialisation des sols en France, les principes de la séquence ERC a inspiré l’instruction du 29 juillet 2019 publiée par le gouvernement, relative à l’engagement de l’État en faveur d’une gestion économe de l’espace : doctrine « zéro artificialisation nette du territoire ». Celle-ci s’appuie sur 4 leviers pour atteindre cet objectif : revoir la notion de surface de plancher, privilégier le renouvellement urbain, promouvoir la densité du bâti, et désartificialiser (CGDD, Trajectoires vers l’objectif « zéro artificialisation nette », Éléments de méthode, décembre 2019).
Retrouvez l’article de l’OID sur l’Artificialisation des sols.