La prise en compte des risques physiques : un enjeu de valeur verte

Comme évoqué dans un précédent article définissant la valeur verte d’un bâtiment, les bâtiments sont particulièrement exposés aux risques induits par les aléas climatiques. Or, ces aléas vont se multiplier et s’intensifier au cours des années à venir dans toutes les régions du monde. Alors que la valeur verte oriente traditionnellement les réflexions vers les performances environnementales et de durabilité des bâtiments, se pose la question de la prise en compte des enjeux climatiques. Quels impacts les possibles atteintes à l’intégrité physique des bâtiments pourraient avoir sur leur valeur ?

Une exposition aux aléas climatiques jouant sur la valeur des bâtiments

Du fait de leur emplacement fixe ainsi que de leur longévité, les biens immobiliers sont particulièrement exposés aux risques physiques. La société californienne Four Twenty Seven estime que, sur l’année 2019, 19 % des surfaces de vente et 16 % des bureaux en Europe étaient exposés aux inondations et/ou à la montée du niveau de la mer. Par ailleurs, en 2018, 35 % des sociétés d’investissements immobiliers cotées étaient exposées à des risques climatiques divers détaillés dans le schéma ci-dessous :

Qu’en est-il de l’évaluation de la valeur des actifs au exposés à ces risques ? La société Four Twenty Seven chiffre, aux Etats-Unis, la décote sur le prix de vente à 7 % pour des propriétés exposées au risque de montée de niveau marin., D’autres études, rapportées par l’UNEP FI (Finance Initiative du programme pour l’environnement des Nations Unies) dans un rapport d’août 2021, montrent que les propriétés américaines ayant été exposées à l’ouragan Sandy ont connu une décote d’environ 20% dans leur valeur, suivi d’une restauration partielle de celle-ci. Par ailleurs, les biens considérés en zones inondables à la suite de la réévaluation des expositions après l’ouragan ont également perdu en valeur (de l’ordre de 7 % de baisse dans les prix de vente). Ainsi, les évènements climatiques extrêmes, qui impactent les bâtiments, ont des conséquences sur l’estimation de valeur et sur le prix de vente des biens. Toutefois, ces effets se dissipent au fil du temps, et les prix retrouvent leur niveau antérieur au bout de trois années seulement en moyenne.

Ces chiffres interrogent : ils montrent en effet qu’une grande partie des acteurs sont directement concernés par ces risques. Dès lors se pose la question d’une décote brune applicable sur ces biens exposés. Ce pendant négatif du concept de valeur verte constitue en effet un défi quant à la préservation de la valeur face à des enjeux environnementaux et climatiques. De la même manière que les investisseurs souscrivent des contrats de converture de risque (hedging) pour parer aux variations de taux d’intérêts ou de changes sur les marchés financiers, investir sur la résilience des bâtiments reviendrait à une souscription de couverture d’un risque anticipé .

Par ailleurs se pose la question d’intégrer les effets de la vulnérabilité des parcs de bâtiment en amont de la survenue des aléas et de conserver une juste estimation du niveau de risque à moyen et long terme. Pour cela des règles claires doivent s’appliquer dans les modèles de valorisation lors de l’estimation de la valeur vénale des biens notamment.

La résilience des bâtiments : coût d’opportunité, potentiel d’attractivité

L’augmentation de la fréquence des évènements climatiques extrêmes pose la question du « coût d’opportunité » associé. Sans même évoquer les pertes humaines tragiques qui leur sont imputables, les vagues de chaleur, les inondations pluviales ou fluviales, les tempêtes, au-delà des pertes humaines tragiques et du coût des dégâts matériels, désorganisent les structures et la production des salariés. La continuité des activités accueillies par un bâtiment est primordiale quant à la préservation de la valeur de celui-ci, et notamment quant à la préservation de sa rentabilité.

D’une part, un immeuble qui ne remplit plus ses fonctions ne rapporte plus d’argent (s’il ne peut plus être utilisé de manière ponctuelle ou durable). D’autre part, un immeuble ne permettant plus à l’activité de se poursuivre du fait de sa mal-adaptation fait directement perdre de l’argent à l’acteur en question. Les critères de résilience des bâtiments – leur conférant par exemple une meilleure inertie en cas de vague de chaleur – pourraient ainsi être davantage pris en compte par les locataires du fait de la répétition des évènements extrêmes : pour mémoire, le nombre d’épisodes de vague de chaleur pourrait être multiplié par cinq à sept, et elles pourraient durer jusqu’à dix semaines selon les simulations du scénario 8.5 du GIEC.

Certes, l’amélioration planifiée des critères de résilience des bâtiments requiert des investissements : pour mener les travaux et les aménagements nécessaires afin de conserver une fonction d’usage intacte. Or, lorsque les valeurs des bâtiments sont calculées à partir de flux financiers (valorisation par Discounted Cash Flow), tous ces flux sont actualisés, et la tentation peut consister à les prévoir le plus tard possible, afin de maximiser la valeur calculée.

Pour autant, la résilience des bâtiments pourrait améliorer sa liquidité locative, le rendant ainsi en mesure d’être loué à des conditions plus avantageuses pour le bailleur (notamment avec un taux de mesure d’accompagnement réduit). A l’inverse, les bâtiments les plus vulnérables pourraient être plus difficiles à louer, à de moindres niveaux de loyers, et ce faisant, présenter une valeur moins élevée.

Dans tous les cas, les effets du changements climatiques se font déjà sentir, et c’est donc dès aujourd’hui que les acteurs doivent réfléchir à ces enjeux, afin de préserver la valeur des actifs qu’ils gèrent.

Au-delà de la valeur : le cas extrême de la destruction des bâtiments

Le ressenti de la population civile sur l’ampleur inédite des dégâts humains et matériels causés par les aléas climatiques s’appuie sur des chiffres vertigineux. Selon l’Agence Européenne de l’Environnement, les évènements climatiques ont causé la mort de 140 000 personnes en Europe en 40 ans. Dans le cas où les accords de Paris seraient respectés – ce qui constitue à aujourd’hui le meilleur scénario possible compte tenu des engagements et des pratiques – les dommages annuels assurés augmenteraient de plus de 20% d’ici 2050. Selon le réassureur Swiss Re, en 2021, les catastrophes naturelles ont coûté 250 milliards de dollars, dont 105 milliards ont été couverts par les assurances. Au demeurant, ces derniers ne s’y trompent pas, et identifient les risques climatiques comme un enjeu majeur de leurs business models des années à venir. Ainsi l’assureur Covéa a publié début février 2022 un livre blanc sur les impacts du changement climatique sur la sinistralité à horizon 2050. Quatre aléas sont ainsi passés au crible : les inondations, les tempêtes, la sècheresse et la grêle. L’ensemble de ces aléas connaît des augmentations significatives (+70% pour les seules sécheresses), à l’exception des tempêtes.

Au-delà des seuls propriétaires de patrimoine, un certain nombre d’acteurs financiers pourraient contraindre ces derniers à intégrer ces questions de résilience afin d’éviter la destruction du bien.

Ainsi, à mesure que les catastrophes naturelles vont avoir lieu, certaines zones verront leurs coûts assurantiels augmenter. Les assureurs s’alarment en effet de l’évolution des coûts des dégâts à assurer, et limitent dans certaines zones identifiées comme trop risquées leurs contrats aux assurances obligatoires.

Ensuite, les banques finançant l’acquisition ou le développement des bâtiments pourraient également regarder de plus près la vulnérabilité des actifs face à certains risques identifiés. Pour les bien financés via des financements hypothécaires en particulier, l’appréciation du risque pourrait être plus importante, afin de s’assurer que la garantie principale du prêt souscrit ne disparaisse pas.

 

Les risques liés au changement climatique entraînent des conséquences économiques et financières directes sur le secteur de l’immobilier. La difficile prise en compte des risques climatiques à leur juste niveau constitue un défi majeur à relever dans le secteur immobilier. Les réglementations dans le domaine environnemental et climatique pourront répondre, pour part, au besoin d’affiner la prise en compte des risques climatiques, en venant accompagner les acteurs dans la prise en compte des enjeux de résilience de leurs actifs, nécessaire à la préservation de la valeur de ceux-ci. Reste que les acteurs ayant anticipé ces évolutions bénéficieront pendant un certain temps d’un avantage compétitif par rapport au marché, et en recueillir une prime de valorisation matérialisant davantage la valeur verte de leurs bâtiments.

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