Loi de restauration de la nature : Nouvel acte de la politique écologique de l’UE

Plus de 30 ans après l’impulsion qui a créé le réseau d’aires protégées Natura 2000, l’Union européenne entame le nouvel acte législatif de sa politique écologique. La Stratégie Biodiversité de l’UE avait amorcé l’idée d’un plan de restauration des écosystèmes dégradés. C’est la mission portée par le règlement “Nature Restoration Law” face aux 80% d’habitats en mauvais état de conservation dans l’UE. Les débats au Parlement européen ont prouvé la transversalité de ce sujet ainsi que les ambitions et limites du texte, qui, d’ailleurs, s’est heurté au veto de certains pays à la porte de son adoption définitive.

Alors qu’il était presque un impensé des politiques publiques au début des années 2000, le sujet de la biodiversité alimente aujourd’hui les réflexions et les délibérations politiques, et ce n’est pas sans lien avec l’émergence du reporting Biodiversité. Jusqu’ici, la politique en matière d’écologie de la conservation reposait notamment sur le réseau d’aires protégées Natura 2000 qui fut le premier acte législatif de l’UE pour la protection des espèces d’intérêt communautaire et la préservation des habitats remarquables ou menacés. Dans l’Hexagone, le réseau Natura 2000 couvre 13% du territoire terrestre. Soumise à une obligation de résultats, la France se doit de prouver que l’état de conservation de ces mêmes espèces et habitats est stable ou s’améliore sur l’ensemble du territoire. A cet effet, un rapport détaillé a été publié en 2021 par l’OFB, le MNHN et le CNRS.  L’étude a montré un effet limité du réseau Natura 2000 français sur les populations d’oiseaux communs : le déclin des oiseaux agricoles est ralenti mais la tendance à la baisse n’est pas inversée. Par ailleurs, aucun effet n’est détecté sur les espèces forestières ou bien sur la baisse du niveau de spécialisation des communautés d’oiseaux. Outre les questionnements sur les mesures de conservation mises en place ou bien la pertinence géographique des sites Natura, les cadres politiques de l’UE sont arrivés à la conclusion que “Conserver ce qui reste de la nature ne [suffisait] pas” – dixit Bruno Pozzi, directeur du PNUE pour l’UE – donnant ainsi l’impulsion au second acte de la stratégie Biodiversité européenne qui consiste à déployer une politique de restauration avec le Règlement “Nature Restoration Law”.

Avec la Loi de restauration de la nature, les 27 Etats membres s’engagent à restaurer au moins 20% des zones terrestres d’ici 2030 pour améliorer la qualité des habitats et des espèces tout en veillant à ce que les zones en bon état ne se détériorent pas de manière significative. Chaque pays établira un plan national de restauration des écosystèmes avec la cartographie des habitats concernées par le règlement, leur état de conservation ainsi qu’un plan d’action d’ici 2030 ; les autres échéances se positionnant en 2040 et 2050. Des objectifs sont définis par type d’écosystème (terrestres, marins, agricoles, etc.) en priorisant dans un premier temps les sites du réseau Natura 2000.
Pour les écosystèmes urbains, d’ici à 2030, il s’agira d’éviter la perte nette de la surface nationale des espaces verts urbains et du couvert arboré urbain, exclusion faite des aires urbaines où la part des espaces verts dépasse 45 % et la part du couvert arboré urbain dépasse 10 %. Puis, à partir de 2031, la surface totale nationale des espaces verts urbains, incluant les espaces dans les bâtiments et infrastructures, devra augmenter. Par ailleurs, le règlement demande aux Etats membres de contribuer à l’objectif européen de plantation de 3 milliards d’arbres Supplémentaires d’ici à 2030 avec un point de vigilance sur le respect des principes écologiques (diversité des essences et de la structure d’âge, priorité aux essences d’arbres indigènes sauf cas spécifiques liés au contexte local ou à la résilience face au changement climatique). Pour les milieux aquatiques, il faudra restaurer au moins 25 000 km de cours d’eau à courant libre à l’échelle européenne. De plus, un article du règlement est consacré aux écosystèmes forestiers dont les indicateurs de biodiversité devraient augmenter (indice des oiseaux communs spécialistes des milieux forestiers évoqués ci-haut, indicateurs relatifs au bois mort, à la connectivité, la diversité des essences, l’indigénat des arbres ou encore le stock de carbone organique).

Par sa valeur de règlement, la Loi de restauration de la nature s’imposera dans toutes les législations nationales dès son entrée en vigueur. Les Etats devront alors soumettre leurs plans nationaux de restauration sous deux ans. La dernière mouture du règlement a passé l’épreuve du Parlement européen le 27 février dernier mais elle ne parvient pas à trouver une majorité qualifiée au Conseil européen où le vote de la loi a été ajourné au 17 juin 2024. Sept pays (Suède, Pologne, Finlande, Pays-Bas, Autriche, Italie, rejoints la veille du vote par la Hongrie) se sont notamment soulevés contre les dispositions relatives aux écosystèmes agricoles – qui ne sont pas abordés ici – prévoyant la remise en eau des tourbières, la plantation de haies ou encore la création de mares. Leurs arguments opposent l’activité économique et la protection de la biodiversité alors même que la Commission européenne estime que chaque euro investi dans la restauration engendre 8 à 38 euros de bénéfices.

L’avenir de cette loi est compromis alors qu’elle suscitait l’espoir d’unifier la politique de l’UE en la matière avec des mesures coordonnées et une évaluation périodique. Le texte, à proprement parler, est historique, c’est indéniable. Toutefois, on peut d’ores et déjà soulever des points qui font planer le doute sur l’efficience des mesures qui seraient mises en œuvre dans le contexte français.
Premièrement, le texte ne fournit aucune mesure concrète, laissant les Etats trouver seuls les moyens de répondre aux objectifs énoncés. Or, en France le budget environnemental croit : 3,3 milliards d’euros ont été alloués à la protection de la biodiversité en 2021, soit une hausse de 14%. Pourtant, le bilan est mitigé : la question n’est donc pas davantage celle des moyens que celle de l’efficience des actions sur le terrain. L’exemple du réseau Natura 2000 illustre ce phénomène.
Deuxièmement, la conservation et la restauration interviennent généralement sur des territoires différents donc la priorisation du réseau Natura 2000, pour le déploiement des mesures de restauration, est très limitante. En effet, les besoins en termes de restauration de biodiversité sont localisés dans les zones où les territoires sont dégradés ou avec des enjeux de reconquête de biodiversité fort, ce qui n’est pas forcément le cas des sites Natura 2000 qui sont les zones à plus forte naturalité du territoire hexagonal.
Troisièmement, les principes de conservation et restauration de la biodiversité sont les deux faces d’une même pièce. Les milieux restaurés, lorsqu’ils atteindront un bon état, pourraient rentrer sous le joug d’une politique de conservation. Voilà qui donne matière à réfléchir pour respecter le principe de non détérioration significative de l’état des habitats.  

Les acteurs de l’immobilier sont directement concernés par une partie des dispositions du règlement, s’il est adopté. Pour ce qui est des espaces verts urbains, le principe de zéro perte nette de surfaces entre en résonance avec la démarche ZAN (Zéro Artificialisation Nette). L’Etat et les régions devront sans doute s’assurer que les Plans locaux d’urbanisme (PLU) permettent d’atteindre cet objectif à l’échelle nationale. Le nerf de la guerre sera donc la collecte et la centralisation des données avec un premier pas qui a été fait avec le Référentiel National des Bâtiments. D’ailleurs, les seuils annoncés (45% pour les espaces  verts et 10% pour le couvert arboré) pourraient faire office de référence par la suite.  
S’agissant du compteur d’arbres plantés, les arbres supplémentaires plantés par les entreprises de l’immobilier seront probablement pris en compte. Le terme “supplémentaire” a ici toute son importance puisque l’on observe déjà les dérives du plan France Relance qui poursuit l’objectif de planter 1 milliards d’arbres en France d’ici à 2030 : les associations ont constaté des plantations sur des parcelles qui ont été préalablement rasées, ce qui gonfle artificiellement le bilan final. Enfin, il faut dire que les compteurs de plantations sont des leurres qui alimentent une vision biaisée de la forêt. D’une part, elles résument les fonctions de la forêt au seul stockage du carbone avec d’ailleurs des plantations souvent dominées par un petit nombre d’essences choisies pour leur valeur économique ou leur vitesse de croissance, ce qui met en exergue la vision utilitariste de la biodiversité. D’autre part, cette idée laisse croire qu’une plantation d’arbres est équivalente à une forêt : une forêt croit par elle-même et abrite tout un écosystème capable d’une plus grande résilience qu’une plantation face aux pathogènes, aux aléas climatiques et même en ce qui concerne le stockage du carbone. 

L’adoption définitive de la Loi sur la restauration de la nature consoliderait l’engagement de l’UE pour la protection de la biodiversité en établissant un objectif de restauration de 20% des terres et des mers dégradées d’ici 2030. Le texte en lui-même ne fournissant pas de mesures ni de plan d’action, il revient aux Etats membres de réfléchir et de déployer des mesures qui soient efficaces et qui permettent de constater des résultats importants sur les habitats et les espèces. La feuille de route française répondra probablement à la plupart des points soulevés ici. Il est alors indispensable que l’action des Etats membres soit mue par les principes écologiques pour générer des bénéfices pérennes. 

[1] Majorité qualifiée :  au moins 55 % des États membres [c’est-à-dire 15 États] représentant au moins 65 % de la population de l’Union européenne.

Source complémentaires :   

France Nature Environnement. Europe : Dernière chance pour sauver la biodiversité ! , 23/11/2023 Disponible ici.

Kira Taylor. Les négociateurs de l’UE adoptent une loi historique pour restaurer la nature en Europe, traduit par Nils Bouchaert, 10/03/2023. Disponible ici.

Conseil européen Communiqué. Restauration de la nature: le Conseil et le Parlement parviennent à un accord sur de nouvelles règles visant à restaurer et préserver les habitats dégradés dans l’UE, 22/11/2023. Disponible ici.

CAZALIS, Victor. Efficacité des aires protégées: la pierre angulaire de la conservation de la biodiversité permet-elle réellement de protéger la nature?. 2020. Thèse de doctorat. Université Montpellier. Disponible ici

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