Le 4 mars 2022, 3 projets de décrets ayant pour but d’intégrer l’artificialisation des sols comme principe général du code de l’urbanisme sont soumis à consultation publique jusqu’au 25 mars prochain par le ministère de la transition écologique. C’est ainsi l’occasion de revenir sur les enjeux de l’objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) et sur les conséquences de ces projets de décrets pour les professionnels de l’immobilier.
Selon France Stratégie, les surfaces artificialisées ont augmenté de 70% entre 1981 et 2020. En parallèle de ce phénomène, la démographie a augmenté de seulement 19%. Cet important décalage entre artificialisation et hausse de la population souligne une consommation déraisonnée du territoire national. Or, l’artificialisation n’est pas sans conséquence pour l’environnement et nos sociétés. Elle participe à l’érosion de la biodiversité, perturbe les cycles naturels perpétués par les sols (eau, carbone, azote…) et freine l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.
Depuis quelques années, les pouvoirs publics se sont saisis de cette problématique et affichent leur volonté de freiner voire stopper ce processus. La Loi Climat et Résilience d’août 2021 place l’artificialisation des sols comme un des grands enjeux de l’urbanisme avec notamment l’objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN) à l’horizon 2050. Afin d’atteindre l’objectif national ZAN, la consommation des ENAF (espaces naturels agricoles et forestiers) doit être divisée par deux d’ici 2031 par rapport à la période référence de 10 ans précédant la promulgation de la loi Climat et Résilience (2021).
Le principe de l’artificialisation d’un sol enfin défini
La loi Climat et Résilience fait ainsi entrer pour la première fois dans les documents législatifs une définition de l’artificialisation. L’article L. 101-2-1 du code l’urbanisme intègre la fonction écologique des sols selon la définition de l’artificialisation suivante : « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques, climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ». Afin de mesurer l’artificialisation et de prendre en compte ce phénomène de manière concrète dans les outils de planification permettant d’atteindre l’objectif ZAN, trois projets de décrets sont actuellement soumis à consultation publique jusqu’au 25 mars 2022.
Trois propositions de décrets pour instaurer l’objectif ZAN
Le premier projet de décret propose une nomenclature des typologies des sols afin de qualifier toute surface du territoire couverte par un document de planification comme artificialisée ou non suivant leur couverture et leur usage.
La mesure de l’artificialisation ainsi que l’atteinte de l’objectif ZAN ne s’applique pas à l’échelle du projet immobilier mais à celle du territoire. Le second décret fixe donc le rôle des SRADDET (Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires) dans la gestion économe de l‘espace. C’est au sein de ce document que seront fixées les orientations sur chacune des thématiques que couvre le SRADDET sous forme d’objectifs à atteindre pour les documents locaux d’urbanisme (PLU, cartes communales…).
Enfin, le troisième décret précise les modalités du rapport local de suivi de l’artificialisation des sols à l’échelle des communes ou des EPCI. Tous les trois ans, les maires ou présidents des EPCI doivent présenter le rythme d’artificialisation et de consommation des ENAF sur leurs territoires et les mettre au regard des objectifs fixés localement.
Une nomenclature attendue : qu’est-ce qu’un sol artificialisé ?
La nomenclature a été conçue pour que les surfaces puissent être mesurables conformément aux standards du Conseil National de l’Information Géographique (CNIG) qui s’appuie sur la directive européenne INSPIRE. La nomenclature proposée en annexe de l’article R. 101-1 du code de l’urbanisme est la suivante :
La nomenclature permet d’identifier plus précisément les sols artificialisés ou non. Si cette classification permet de donner plus de détails sur les différents types de sols artificialisés ou non, elle maintient aujourd’hui toujours une approche strictement binaire, qui ne permet pas une distinction fine des fonctions écologiques des différents sols. En effet, deux sols considérés comme artificialisés mais de catégorie respectivement 1 (sol imperméabilisé) ou 5 (un jardin en gestion différenciée par exemple) seront tous deux catégorisés comme artificialisés selon cette nomenclature. L’introduction de coefficients permettant de rendre compte de manière plus fine des fonctions écologiques des sols selon leur typologie serait donc nécessaire afin d’éviter des contradictions entre l’objectif ZAN et les effets positifs sur la biodiversité. Par ailleurs, les potentiels écologiques peuvent varier en fonction de la stratégie de gestion du sol (parc en gestion écologique ou pelouse de golf font tous deux partie de la catégorie 5). Ces aspects sont aujourd’hui absents de la nomenclature.
L’enjeu de ce décret définissant l’artificialisation du sol est d’autant plus important que la loi Climat et Résilience fait entrer la réduction du rythme de l’artificialisation dans les documents d’urbanisme. En effet, la déclinaison de la définition à l’échelle des collectivités locales entraine des choix concrets et opérationnels en termes de projets immobiliers et de formes urbaines. Le décret précise que les objectifs de réduction du rythme de l’artificialisation doivent être inscrits dans les SRADDET par tranches de 10 ans, et que la présente nomenclature ne s’appliquera qu’à la seconde tranche des 10 ans. L’objectif de réduction du rythme d’artificialisation à horizon 2031, quant à lui, sera basé à la consommation des ENAF sans tenir compte de la nomenclature. La mesure de leur consommation s’effectue par la somme des espaces réellement consommés et non pas selon les zonages des documents d’urbanisme comme le PLU (zone à urbaniser, zone urbanisée, zone naturelle…).
Quelles conséquences pour les professionnels de l’immobilier ?
La concrétisation de l’enjeu de lutte contre l’artificialisation à l’échelle locale introduit la nécessité pour les acteurs de l’immobilier d’être en capacité de catégoriser les sols dès la phase de conception des projets immobiliers afin de communiquer dessus auprès des collectivités. L’approche ZAN reste une approche quantitative ne permettant pas de traiter de la complexité de l’impact biodiversité sur un projet immobilier, et une approche plus complète doit être menée en ayant recours aux connaissances et compétences d’écologues. Avec la hausse de l’importance de l’enjeu d’artificialisation, le marché de l’immobilier et les flux financiers associés vont être modifiés, s’orientant par exemple vers des projets promouvant la densification, le renouvellement urbain et des coefficients de pleine terre importants. C’est alors un changement de paradigmes et de nos imaginaires sur le logement idéal qui doit s’opérer. La recherche de nouvelles formes urbaines adaptées à cet enjeu spatial, ou encore la révision des usages des bâtiments (en favorisant la multiplicité fonctionnelle par exemple), sont autant de sujets d’innovation qui vont modifier le marché de l’immobilier.
L’introduction de la notion d’artificialisation dans les documents d’urbanisme ainsi que les outils mis à disposition afin d’atteindre des objectifs quantitatifs s’opposent aux pratiques d’étalement urbain et de mitage qui ont constitué le modèle de planification et de développement de nos villes ces dernières années. L’objectif de Zéro Artificialisation Nette remodèle les paradigmes de consommation de l’espace dans l’aménagement du territoire afin de réduire l’impact de nos villes et infrastructures sur l’environnement (biodiversité, cycle de l’eau, pollution, atténuation et adaptation au changement climatique…). Pour une approche plus fidèle à la qualité écologique des sols, l’ajout permettant de différencier les catégories de surfaces, voire de différencier des typologies de sols au sein même d’une catégorie reste aujourd’hui souhaitable.