Du déchet à la ressource : Retour sur les ambitions et outils de l’économie circulaire en 2018

L’économie circulaire n’est pas une notion récente, cependant, elle prend de l’ampleur aujourd’hui car elle fait l’objet d’une prise en compte dans des textes législatifs et/ou règlementaires, et ce à l’échelle européenne et nationale. Nous l’avions identifié comme l’un des sujets à suivre en 2018 et les diverses initiatives de ce début d’année le confirme.
 

Un bref historique

Ce concept est apparu dès les années 70 pour caractériser un système économique d’échange et de production qui, à tous les stades du cycle de vie des produits (biens et services), vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à diminuer l’impact sur l’environnement tout en développant le bien-être des individus (définition de l’ADEME).
Selon le Ministère de la Transition écologique et solidaire, il s’agit de rompre avec le modèle de l’économie linéaire (extraire, fabriquer, consommer, jeter) qui ne peut plus perdurer dans le contexte actuel. En effet, la société de consommation née de la révolution industrielle, la mondialisation ainsi que la croissance démographique ont engendré un prélèvement important des ressources naturelles. Parallèlement, la gestion des déchets devient une problématique centrale, car ceux-ci menacent l’équilibre des écosystèmes tels que les océans (la notion de 7ème continent fait, à ce sujet, son apparition).
Au cœur des problématiques de finitude des ressources et de gestion des déchets, se trouvent des questions économiques portant à la fois sur la consommation et la production. Pour limiter la production de biens et améliorer leur utilisation, les notions de recyclage, de réemploi ou encore de revalorisation ont émergé. Pour favoriser l’essor de ces pratiques, des synergies entre les différents acteurs doivent être identifiées et valorisées. Les notions de territoire et de partenariats entre acteurs sont au cœur de l’économie circulaire.
La réglementation évolue-t-elle dans ce sens ?
 

2018 : une année riche en promesses pour l’économie circulaire

La directive européenne du 19 novembre 2008 sur les déchets, transposée en droit français, et intégrée dans le Code l’environnement, constitue le cadre de référence de ce sujet. Celle-ci précise les définitions importantes et les grands principes liés à la gestion des déchets. Parmi ces derniers, on retrouve la priorité donnée à la prévention qui implique de réduire la production et la nocivité des déchets en amont. La règlementation européenne établit également une hiérarchie des actions à mener suite à la prévention : privilégier d’abord la préparation en vue de la réutilisation, puis le recyclage et la valorisation des déchets organiques par retour au sol, puis les autres valorisations possibles (énergétique par exemple), et enfin l’élimination du déchet. Au-delà de cette hiérarchie, l’Europe soutient que la gestion des déchets ne doit pas constituer une nuisance pour la santé humaine ou pour l’environnement. Enfin, elle réaffirme la responsabilité du producteur quelle que soit sa nature juridique (principe du pollueur-payeur).
Dans cette logique, deux textes importants ont été publiés au cours du mois d’avril 2018, ceux-ci comptent encadrer plus particulièrement l’ « économie circulaire ». En effet, le Parlement européen a adopté officiellement le paquet économie circulaire le 18 avril, le gouvernement français a quant à lui publié sa feuille de route Economie Circulaire le 23 avril.
 

Au niveau européen : le Paquet économie circulaire

Alors qu’en 2016, la France a recyclé et/ou composté 42% de ses déchets municipaux, mis en décharge 22% et incinéré 36% de ceux-ci, le paquet économie circulaire fixe des objectifs (par pays) plus ambitieux :

  • Recycler et/ou composter aujourd’hui 44% des déchets municipaux, 55% d’ici 2025, et 65% d’ici 2035 ;
  • Limiter à 10% maximum la mise en décharge d’ici 2035 ;
  • Etablir une collecte distincte des textiles et des déchets dangereux ;
  • Réduire le gaspillage alimentaire de moitié d’ici 2030.

 

En France : l’élaboration d’une Feuille de route économie circulaire

A l’échelle nationale, la feuille de route du gouvernement établit « 50 mesures pour une économie 100% circulaire ». Plusieurs mois de concertation ont permis l’élaboration de cette dernière, les parties prenantes ont travaillé par ateliers thématiques, l’opinion citoyenne a été recueillie par le biais d’une plateforme en ligne à deux reprises, plus de 45 000 votes et 4 800 contributions ont été émis lors des deux consultations.
Parmi les principales mesures, le gouvernement prévoit par exemple l’adaptation de la fiscalité, pour que la valorisation des déchets soit moins couteuse que leur élimination, la mise en place d’un indice de réparabilité des produits, l’harmonisation des couleurs des poubelles d’ici 2022 sur l’ensemble du territoire ou encore l’élaboration d’un système de consigne solidaire dans les collectivités. Les grands objectifs sont les suivants : réduire la consommation de ressources de 30% par rapport au PIB d’ici 2030, et réduire de 50% le volume de déchets (non dangereux) mis en décharge d’ici 2025.
Au-delà des grandes annonces, la feuille de route établit des mesures spécifiques à certains secteurs, et notamment celui du bâtiment.
 

Quelles implications pour le secteur immobilier ?

Globalement, en ce qui concerne l’aménagement intérieur, la feuille de route promet de développer l’offre de solutions alternatives aux circuits traditionnels. Par exemple, le gouvernement entend :

  • Renforcer et cartographier l’offre des acteurs du réemploi, de la réparation et de l’économie de la fonctionnalité
  • Renforcer les obligations des fabricants et des distributeurs en matière d’information sur la disponibilité des pièces détachées pour les équipements électriques et électroniques et les éléments d’ameublement.
  • Afficher de manière obligatoire à partir du 1er janvier 2020, pour les équipements électriques et électroniques, une information simple sur leur réparabilité.

Plus largement concerné par la feuille de route (notamment à partir de la page 29), le secteur de la construction serait responsable de plus de 70% des déchets en France. Plusieurs mesures lui sont donc associées.
Tout d’abord, le gouvernement souhaite étendre le périmètre du « diagnostic déchets avant démolition » (obligatoire depuis 2009) aux travaux de rénovation. Il s’agit ici de « passer à une logique de diagnostic/inventaire pour le réemploi et la valorisation des ressources et déchets de chantier ». Au-delà de l’extension du périmètre d’application, le but est d’améliorer les compétences des acteurs réalisant le diagnostic et de sensibiliser les maîtres d’ouvrage. Le développement d’un dispositif dématérialisé permettant de collecter les données et de faire le lien entre l’offre et la demande des déchets de chantier est envisagé.
La feuille de route prévoit l’élaboration, avec les acteurs du secteur, de guides techniques « permettant la reconnaissance des performances des matériaux réutilisés et réemployés », et ce d’ici 2020. Plus largement, le gouvernement souhaite améliorer la compréhension de la règlementation applicable aux déchets, avec une attention particulière portée sur les déchets de chantiers de BTP.
L’Etat souhaite aussi que la commande publique soit exemplaire en termes d’économie circulaire. Différents dispositifs comme les chartes d’achat public durable seront à disposition des acteurs publics. Mais l’Etat veut également fournir des outils de diagnostic aux autres acteurs, diagnostic intégrant des analyses en cycle de vie et les externalités environnementales des achats effectués. Le développement d’outils numériques (comme des plateformes numériques de sourçage) serviront d’appui à ces évolutions.
Enfin, la feuille de route entend revoir le fonctionnement de la gestion des déchets des bâtiments afin de diminuer la mise en décharge et faciliter un tri efficace des matériaux de construction. Alors que le gouvernement annonce la création d’une responsabilité élargie du producteur (REP) pour les emballages des cafés/hôtels/restaurants, pour les jouets, les articles de sport ou encore les cigarettes, l’idée de créer une REP pour le secteur de la construction est envisagée. Cela s’inscrit dans la lignée des conclusions du Rapport Vernier, publié le 14 mars 2018, qui préconise l’extension du principe pollueur-payeur aux déchets du bâtiment.
Le Rapport Vernier estime que les obligations pour certains distributeurs de matériaux de mettre en place un réseau de lieux de reprise des déchets est un « dispositif très insuffisant » et qu’il « convient d’assortir cette obligation d’une écocontribution permettant de financer le bon tri et le recyclage des déchets. », ainsi que d’assurer l’accès gratuit à ces lieux de reprise.
 

Vers une responsabilité élargie du producteur pour le secteur de la construction ?

Le principe de REP existe en France depuis 1975, il est notamment traduit dans le Code de l’environnement (L. 541-10). Celui-ci peut engendrer une « obligation aux producteurs, importateurs et distributeurs [des] produits ou des éléments et matériaux entrant dans leur fabrication de pourvoir ou de contribuer à l’élimination des déchets qui en proviennent ». Au-delà de la prise en charge (notamment financière) de la gestion des déchets par les producteurs, la REP répond à 3 objectifs selon l’ADEME :

  • « Développer le recyclage de certains déchets et augmenter la performance de recyclage de ces déchets ;
  • Décharger les collectivités territoriales de tout ou partie des coûts de gestion des déchets et transférer le financement du contribuable vers le consommateur ;
  • Internaliser dans le prix de vente du produit neuf les coûts de gestion de ce produit une fois usagé afin d’inciter les fabricants à s’engager dans une démarche d’écoconception. »

La possibilité de création d’une REP pour les déchets du bâtiment inquiète le secteur. Différents acteurs, dont l’Association française des industries des produits de construction (AIMCC), la Capeb et la Fédération du Négoce de Bois et des Matériaux de construction (FNBM), ont exprimé leur opposition à l’application d’une REP dans un communiqué le 10 avril 2018. Les principales raisons du désaccord résident dans le fait que cette décision serait précipitée et se substituerait à des dispositifs actuels qui démontrent pourtant de bons résultats.
En effet, la communication insiste sur le fait que, « depuis de nombreuses années, les filières s’organisent et s’engagent afin de proposer des solutions de valorisation des déchets et réutilisation des produits issus des chantiers de construction, de rénovation et de démolition ». Aussi, les efforts pour mettre en œuvre le décret « distributeurs » commencent seulement à porter leurs fruits, il serait un peu prématuré d’en faire un bilan selon ces acteurs.
La communication insiste sur le point suivant : « détourner [les] flux (déchets issus des bennes sur chantier, déchetteries et opérations de démolition) en mélange de l’enfouissement pour qu’ils soient collectés séparément pour être recyclés de manière optimale ». Sur ce point, les filières se seraient d’ores et déjà organisées, leurs efforts auraient permis d’augmenter le taux de valorisation des déchets BTP à 68% en 2017.
De plus, le secteur de la construction démontre certaines spécificités qui rendent complexe l’application d’une REP. D’abord ce secteur compte beaucoup d’acteurs appartenant à des filières différentes, leurs interactions sont multiples, ainsi cette démarche nécessiterait une réelle réflexion en amont. Aussi, les produits utilisés dans la construction sont assemblés de manière « diverse et parfois irréversible », ce qui rend caduque certains procédés de revalorisation.
La mise en place d’une REP pour les déchets du bâtiment doit selon ces acteurs, faire l’objet d’une large concertation avec le secteur, partir des réalités du terrain, et donner lieu à un travail approfondi (au moins 2 ans). Cette mesure, simplement envisagée dans la feuille de route, est donc loin de faire l’unanimité.
Une feuille de route trop peu ambitieuse ?
 
Au-delà des débats qui se profilent dans le secteur du bâtiment, la feuille de route a également déçu par son manque d’audace. C’est par exemple l’avis exprimé par la région Ile de France qui voit dans la feuille de route une attention trop importante portée aux déchets par rapport à la question de l’utilisation des ressources, une approche centrée sur l’échelle nationale (à l’instar des échelles plus locales), une absence de coordination entre les ministères, et un « manque de mobilisation des acteurs en amont (recherche et innovation, responsabilité sociétale des entreprises, etc) », qui se traduisent finalement des évolutions règlementaires timides. Comment les acteurs de l’immobilier peuvent-ils prendre les devants ?
 

Quels outils pour les acteurs immobiliers ?

Alors qu’un label économie circulaire est en cours d’élaboration pour les collectivités territoriales et devrait être officialisé début 2018, les acteurs immobiliers ont déjà quelques outils et exemples pour inspirer leurs démarches.
 
Le label C2C (Cradle to cradle), créé en 2010, permet par exemple de garantir des conditions d’utilisation de matériaux, énergie, eau et main d’œuvre qui soient en adéquation avec une démarche responsable. Il est géré par le Cradle to Cradle Products Innovation Institute, une ONG internationale qui valorise les produits réutilisables et sûrs pendant tout leur cycle de vie. Le label évalue les progrès d’un projet sur 5 thématiques : l’impact des matériaux sur la santé, la réutilisation des matériaux, la gestion de l’impact carbone et des énergies renouvelables, la gestion de l’eau, et enfin l’approche sociale du projet.
Un seul projet immobilier est à ce jour labellisé C2C, il s’agit du bâtiment Ampère E+ (investisseur : PRIMONIAL, maîtrise d’ouvrage : SOGEPROM, maîtrise d’œuvre : Ateliers 2/3/4/
Jean MAS). Auditionné par Lateral Thinking Factory consulting, ce projet a été évalué à l’aide d’une grille disponible ici, qui reporte à la fois l’état d’avancement du projet sur chaque sous-thématiques (inventaire et traçabilité, matériaux non toxiques, circuit-court, etc), mais aussi sur son évolution potentielle. Cette grille peut constituer un outil pour cibler les problématiques liées à l’économie circulaire.
 
D’autres initiatives émergent sur la question plus spécifique des chantiers. C’est par exemple le cas de Bouygues Bâtiment Nord-Est, en partenariat avec Linkcity Nord-Est, Nodi et Neo-Eco, qui s’est engagé à mener un chantier « Zero déchets » sur l’ancien site logistique des 3 Suisses près de Lille. Il s’agit dans un premier temps de déconstruire de façon raisonnée, avec un travail d’identification et de revalorisation important. Ensuite, la société entend respecter la « règle des 3 R », qui revient à réduire la quantité de produits neufs construits, à réutiliser tout ou partie des matériaux présents plutôt que de les transformer en déchets, et à recycler les matières premières. A titre d’exemple, le béton sur site va être concassé et transformé en granulats qui seront réintégrés dans le béton du nouveau site, dans des opérations de voiries ou dans la fabrication de carrelage. La réutilisation des matériaux ne se restreint pas au projet en lui-même, la plupart d’entre eux sont repris par d’autres entreprises. Cela bénéficie à la fois à l’entreprise, mais aussi à Bouygues Bâtiment qui réduit ses déchets, et donc le coût de leur traitement.
 
Parmi les outils disponibles pour les acteurs, on comptait déjà la plateforme collaborative DEMOCLES : lancée en 2014 par Récylum avec le soutien de l’ADEME et de la Fédération Française du Bâtiment (FFB), elle réunit les différents acteurs du bâtiment afin d’améliorer la gestion des déchets du second œuvre issu de chantiers de réhabilitation lourde et de démolition. Afin d’atteindre les objectifs fixés pour le secteur de la construction, la FFB vient de mettre en ligne deux nouveaux outils. Dorénavant, le site www.dechets-chantier.ffbatiment.fr permet de localiser les points de collecte des déchets à proximité des chantiers, ainsi que de répertorier les différentes solutions de valorisation des déchets, filière par filière. Le deuxième outil propose des fiches d’informations essentielles qui permettent aux acteurs d’améliorer l’organisation de la valorisation des matériaux de chantier. Ces fiches sont en accès gratuit sur le site du Sned ou compilées dans ce guide. Pour les équipements électriques, les acteurs peuvent d’adresser à la filière de collecte et de recyclage lancée par Récylum depuis 2005.
 
Pour approfondir cette thématique, l’OID organise un Atelier sur l’économie circulaire en septembre 2018. Contactez-nous pour en savoir plus.
 
 

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