Le 30 novembre dernier, l’Observatoire de l’Immobilier Durable (OID), en partenariat avec l’Institut de l’Epargne Immobilière et Foncière (IEIF), a présenté les résultats de la cinquième édition du Baromètre de l’Immobilier Responsable. Cette publication annuelle analyse l’évolution des pratiques ESG de l’ensemble des acteurs du secteur immobilier. Les trois invités de la table-ronde se sont ensuite interrogés sur les dimensions de la sobriété nécessaire à l’immobilier, et comment concilier ce nouvel impératif avec les activités d’investissement et de promotion immobilière.
Comment appliquer le concept de sobriété au secteur immobilier ?
A l’heure de la crise énergétique européenne, le mot « sobriété » est repris à tous les niveaux, à l’instar du Plan de Sobriété Energétique annoncé par le gouvernement français début octobre. Quelles dimensions sont recouvertes par le concept de « sobriété » pour l’immobilier ?
Le 6ème rapport du GIEC tente de définir cette notion multidimensionnelle qui inclut « toutes les mesures qui permettent d’éliminer l’utilisation d’énergie, de matériaux, de terres et d’eau tout en garantissant le bien-être de tous dans le cadre des limites planétaires ». Il peut donc s’agir pour le secteur du bâtiment de sobriété énergétique, mais également d’autres formes nécessaires à une transition écologique : la sobriété foncière (afin de limiter l’artificialisation des sols), la sobriété dans l’utilisation de matériaux pour les opérations de développement, ainsi que la sobriété des consommations en eau liées à l’occupation du bâti. Stéphane Villemain, responsable de l’investissement durable de Ivanhoé Cambridge, a précisé que le concept de sobriété n’est pas autant utilisé à l’international : même d’un point de vue sémantique il n’y a pas de terme adapté en anglais pour distinguer sobriété et efficacité énergétique.
La réglementation française est également en avance sur les outils à disposition des acteurs pour mettre en œuvre la sobriété. Loïs Moulas, directeur général de l’OID, a rappelé à juste titre que le Décret Tertiaire, dispositif français, impose aux acteurs de communiquer leurs consommations réelles et de les réduire, ce qui incite donc à entreprendre des actions concrètes dans cet objectif. A l’inverse, de nombreuses législations de pays européens voisins sont basées sur des consommations conventionnelles, ce qui ne pousse pas à modifier l’usage quotidien d’un bâtiment. Pour Stéphane Villemain, l’Europe et la France ont une avance marquée en matière de reporting ESG et de prise en compte des enjeux extra-financiers dans l’économie. Par exemple de grandes villes nord-américaines commencent seulement maintenant à imposer aux acteurs de l’immobilier de publier leurs consommations énergétiques, tandis que cette exigence règlementaire existe en France depuis une décennie.
Par quelle(s) voie(s) la sobriété s’imposera-t-elle comme paradigme nécessaire pour l’immobilier ?
Après avoir posé les dimensions de la sobriété pour le secteur de l’immobilier, une question subsiste : est-ce que la réglementation extra-financière doit intégrer la sobriété ? Comment peut-elle le faire ?
Emilie Jaskula, Head of Asset Management France chez AXA IM Alts, a déclaré : « A la lecture du baromètre, il semble que ce soit le règlementaire, avant même le financier, qui fixe les priorités RSE ». Pour elle, cette tendance peut s’observer au regard des stratégies ESG où les thématiques environnementales semblent avoir pris le pas sur les objectifs sociaux. Ceci est renforcé par le fait que le projet de Taxinomie sociale européenne, qui aurait pu encourager la montée en puissance des enjeux sociaux, semble avoir été reléguée au second plan. Diego Harari, directeur Innovation et Développement durable de VINCI Immobilier, soutient cette analyse. Selon lui : « A partir du moment où on a une méthode et un cadre, les acteurs réagissent rapidement. Le cadre de la RE2020 permet d’accélérer et d’impulser un changement profond de compétences et de regards ». Il a confié observer les limites du marché dans son activité professionnelle. Ses clients sont rarement prêts à payer plus pour un bâtiment plus durable. Selon lui, il n’existe pas aujourd’hui vraiment de valeur verte. L’Etat joue donc un rôle clef dans l’alignement de la chaîne de valeur immobilière vers des pratiques plus sobres. Par exemple, l’interdiction récente de location de toutes les passoires thermiques (logements dont le DPE est inférieur à F) à partir de 2028 incite fortement les acteurs de l’immobilier à améliorer l’isolation de leurs actifs.
« Ce qui est différenciant en termes de sobriété aujourd’hui sera la norme de demain » indique Stéphane Villemain, à l’instar de l’alignement taxinomique, dont on peut espérer qu’il sera majoritaire en 2050. Cette conviction se retrouve dans leur stratégie d’investissement et d’allocation du capital, qui vise notamment à diminuer le risque de décote brune des actifs. Il explique que cette stratégie permet une réelle décarbonation des actifs. Enfin, il a lui aussi souligné l’importance de l’alignement de la chaîne de valeur, à la fois sur des objectifs financiers et extra-financiers. Pour cela il évoque l’indexation d’une partie de la rémunération des parties prenantes et collaborateurs sur l’atteinte d’objectifs ESG.
Comment décliner concrètement le concept de sobriété à l’échelle du bâtiment ?
Une fois que les sobriétés énergétique, foncière et de ressources sont posées comme des impératifs dans le secteur de l’immobilier, comment les mettre en œuvre concrètement à l’échelle d’un bâtiment ?
En tant que Head of Asset Management, Emilie Jaskula détaille les actions réalisées lors de l’occupation des bâtiments, gérés par AXA IM Alts pour le compte de clients, pour favoriser la sobriété. Des actions importantes et simples à mettre en place visant à économiser des ressources, sont déployées sur le portefeuille d’actifs : installation de lampes LED, détecteurs d’eau, capteurs de mouvement, etc. Les property managers ont un rôle essentiel à jouer dans la construction et l’implémentation de stratégies d’économie d’énergie, notamment en impliquant les locataires. Enfin le rôle central des GTB s’accentue encore, afin de mesurer finement les consommations énergétiques pour les maîtriser.
La sobriété foncière concerne plus directement les promoteurs immobiliers que les sociétés de gestion, qui gèrent en majorité un patrimoine déjà existant. Diego Harari a déclaré que la prise en compte de l’artificialisation a déclenché « un réveil soudain de la profession : dans un monde fini, les problématiques territoriales sont réelles. Plus on se projette, plus on se rend compte que l’enjeu est grave ». Afin de construire une stratégie pour le groupe VINCI immobilier, une métrique a été définie en interne pour calculer l’artificialisation produite. La sobriété foncière apparaît comme fondamentale, ce qui a entraîné l’adoption d’un objectif interne de zéro artificialisation nette à horizon 2030.
Outre les opérations de renaturation, encourager la réversibilité des usages des bâtiments favorise à la fois la sobriété foncière et la sobriété dans l’utilisation des ressources. De plus, revaloriser un bâtiment pour répondre aux nouvelles attentes des utilisateurs permet également de diminuer l’impact environnemental lié à la démolition et/ou à la construction. Sur la question du recyclage urbain, Emilie Jaskula explique qu’il est parfois difficile d’éviter la démolition lorsqu’un immeuble est inadapté ; aussi, la réversibilité doit être pensée dès la construction. Diego Harari précise également que la réversibilité constitue un coût supplémentaire, et qu’il n’existe pas aujourd’hui suffisamment d’incitation règlementaire. De plus prévoir la possibilité de transformation d’un bâtiment ne permet souvent pas que l’usage premier soit optimal. Actuellement, Vinci est sollicité pour concevoir le futur village des athlètes olympiques, dont la réversibilité est primordiale en raison de la dimension éphémère de cet usage premier en 2024. Cette caractéristique a été explicitement requise par les autorités publiques via la création d’un modèle spécifique de permis de construire afin de répondre à ce besoin.
Pour conclure, la sobriété dans le secteur de l’immobilier, dans toutes ses dimensions, impose aux acteurs d’opérer un changement de leur modèle d’affaire afin de garantir un futur désirable. La sobriété énergétique apparaît comme le défi majeur de cet hiver, et nécessite une appropriation par toutes les parties prenantes du secteur immobilier. La problématique autour de l’artificialisation remet également en question le modèle de développement urbain et exige une redéfinition fondamentale du métier de promoteur. Les enjeux environnementaux actuels sont tels que des changements structurels deviennent impératifs pour le secteur de l’immobilier, dont l’impact n’est plus à démontrer.
L’OID remercie chaleureusement les intervenants pour leur participation à la conférence, et remercie l’ensemble des présents.
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