La communauté scientifique est unanime sur l’ampleur de la crise environnementale et climatique. Des récentes simulations par un groupe de scientifiques français indiquent que le réchauffement climatique sera plus radical que les prévisions du GIEC de 2014. Dans le pire des scénarios, la hausse de la température moyenne à la surface du Globe est estimée à environ 7°C pour 2100 (CLIMERI-France, 2019).
Face à cette urgence et au coût de l’inaction qui ne cesse d’augmenter, les acteurs de la finance intègrent de plus en plus les aspects ESG dans la gestion de leurs actifs (1458 milliards d’encours de la gestion Investissement Responsable 2018 contre 1081 milliards en 2017, soit une augmentation de 40% par an, selon les chiffres 2019 de l’Association Française de la Gestion Financière). Aussi, une étude publiée dans la revue Nature Climate Change en 2016 estime à 2 500 milliards de dollars le montant des actifs financiers totaux dans le monde, qui pourraient être détruits du fait d’un réchauffement climatique de 2,5 degrés d’ici à la fin de ce siècle. En revanche, rester sous les 2°C permettrait de limiter la destruction des actifs financiers à environ 1 700 milliards de dollars. Cela s’expliquerait par la hausse des températures et des sécheresses qui auront des répercussions sur différents secteurs d’activité, notamment les secteurs agricoles et touristiques. Agir pour limiter le réchauffement climatique serait donc rentable pour les investisseurs. En d’autres termes, les acteurs financiers sont incités à exclure de leurs portefeuilles tout financement d’activités non conformes au développement durable.
La dernière étude de Morningstar publiée en août 2019 annonce que les fonds durables en Union européenne s’élèvent à 595 milliards d’euros fin juin 2019, soit 20,5 % de plus qu’en fin 2018. Parallèlement, les réglementations en faveur de la finance durable ne cessent de croitre, les Principles of Responsible Investment (PRI) recensent 732 réglementations sur la finance durable dans le monde (PRI, 2019). Il s’agit de réglementations rigoureuses, à caractère de plus en plus technique, incitatives à l’action mais non nécessairement contraignantes. Il est également observé que les investisseurs ont tendance à s’impliquer dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques en termes de Finance Responsable.
On observe ainsi que les acteurs financiers prennent conscience de leur responsabilité dans le réchauffement climatique et font des efforts afin d’accélérer la transition écologique et solidaire.
Dans le contexte de la semaine de la Finance Responsable ayant débuté le 26 septembre 2019, cet article abordera les potentiels impacts du Plan d’action pour la finance durable de la Commission européenne pour les investisseurs internationaux.
Contexte européen de la finance responsable
Rappel des objectifs du plan d’action de la Commission Européenne pour une finance durable
Les objectifs du Plan d’action sont de réorienter les flux de capitaux vers une économie plus responsable, d’intégrer la durabilité dans la gestion des risques et de favoriser la transparence et les investissements durables. Il repose sur le travail d’une année du Groupe d’Experts de Haut-Niveau sur la finance durable (HLEG).
La feuille de route qui expose les travaux à mener et les actions auxquelles participeront tous les acteurs concernés du système financier est composée des éléments suivants :
- Réalisation d’un dictionnaire des activités vertes pour faciliter l’identification des domaines durables par les investisseurs, la Taxinomie;
- Création de standards et labels pour les produits financiers verts ;
- Clarification des obligations des gestionnaires d’actifs et des investisseurs institutionnels relatives aux critères ESG ;
- Intégration de la durabilité dans les exigences prudentielles;
- Incitation à une transparence des informations (publications), notamment extra-financières, des entreprises.
Ainsi, l’adoption de ce plan d’action traduit la mobilisation des acteurs financiers européens pour faire face au changement climatique.
Autres initiatives européennes en faveur de la finance responsable
A l’échelle européenne, il existe plusieurs initiatives complémentaires ayant inspiré les objectifs de la Commission européenne précédemment présentés.
Le Network for Greening the Financial System (NGFS), lancé lors du One Planet Summit organisé à Paris en décembre 2017, est une collaboration de régulateurs sur la Finance Responsable regroupant 36 banques centrales au niveau mondial. Les membres de ce groupe ont déjà publié deux rapports évoquant les impacts du changement climatique sur la stabilité financière et le message est très clair : le secteur financier doit s’impliquer dans la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris.
On retient de ces rapports quatre recommandations aux banques centrales et aux superviseurs :
- Intégrer les risques liés au climat dans le suivi de la stabilité financière et la micro-supervision ;
- Intégrer les facteurs de durabilité dans la gestion des portefeuilles ;
- Partager et rendre publiques les informations pertinentes pour l’évaluation du risque climatique dans l’objectif de combler les lacunes relatives aux données disponibles ;
- Encourager une collaboration entre les banques centrales, les autorités de contrôle et les institutions financières.
L’initiative Finance for Tomorrow, lancée en juin 2017, a pour mission de faire de Paris la référence mondiale de la finance verte tout en cherchant à renforcer la collaboration européenne et internationale sur ces sujets. Le groupe a publié le 9 septembre 2019 un rapport dont l’objectif est d’apporter des clés de compréhension des différents outils disponibles pour tous les acteurs concernés par la gestion du risque climatique en finance, que ce soit des investisseurs, des entreprises ou d’autres parties prenantes. Ce rapport réalise un état de l’art sur le rôle de la finance face à la situation critique du climat et apporte une certaine lisibilité exprimée sous la forme de cartographie et fiches thématiques.
Le Green Finance Institute est une initiative de la City of London Corporation (organe de gouvernance de la Cité de Londres) et vise 3 objectifs : promouvoir la finance verte au niveau international ; plaider en faveur de propositions réglementaires et politiques susceptibles d’améliorer le secteur de la Finance Verte dans le monde entier ainsi que promouvoir Londres et le Royaume-Uni en tant que centres mondiaux de premier plan pour la proposition de services financiers et professionnels écologiques. On observe donc une intensification d’initiatives en faveur de la Finance Durable en Europe. Cependant, chacune de ces initiatives dispose de méthodes et de niveaux d’engagement propres aux membres. Le Plan d’action pour la finance durable de l’Union européenne définira un cadre uniforme de pratiques et d’actions sur la finance responsable pour toute l’Union européenne.
En effet, même si la Taxinomie s’appliquerait aux fonds réglementés dans l’UE, la Commission européenne a demandé au groupe d’experts techniques de prendre en compte la dimension internationale chaque fois que possible et s’est engagée à soutenir le développement de Taxinomies internationales.
Contexte International de la finance responsable
Quelles influences de la Taxinomie européenne sur les investisseurs mondiaux ?
La croissance rapide de la Finance durable partout dans le monde conduit à une volonté d’institutionnalisation de l’intégration des aspects ESG dans la gestion financière.
Nous pouvons évoquer le gouvernement canadien qui s’est doté d’un groupe d’experts sur la Finance responsable. Le groupe d’experts a publié un rapport « Mobilizing Finance for Sustainable Growth » qui propose 15 recommandations au gouvernement afin de mettre en œuvre ses objectifs en termes de Finance durable.
Barbara Zvan, membre de ce groupe explique dans le webinar « Global update on the future of sustainable finance » que la finance ne va pas résoudre le changement climatique mais elle a un rôle crucial à jouer pour soutenir l’économie réelle pendant la transition écologique. Pour elle, la Finance Durable doit devenir un courant dominant et pour ce faire, il serait intéressant de considérer l’idée d’une Taxinomie internationale, où les particularités du contexte national seraient prises en compte.
Morgan Després, responsable du groupe NGFS, insiste lors de ce même webinar, sur la nécessité d’une série de Taxinomies dans le monde, relatives aux activités vertes aussi bien qu’aux activités marrons. Cela aiderait à aller vers une clarification et une transparence totales vis-à-vis des acteurs financiers.
La Chine est également très sensible au sujet de la Finance Durable. En effet, le pays a déjà réalisé sa propre Taxinomie des activités vertes et fait à présent l’effort de l’harmoniser avec la version européenne. Il s’agit du Green Industrial Guidance Catalogue qui a comme objectif de promouvoir le développement durable en donnant une définition claire d’«industrie verte» et d’harmoniser les différentes normes en matière de durabilité.
Focus sur le Sommet Action Climat des Nations Unies du 23 septembre 2019
Le discours alarmiste de la militante pour la lutte contre le réchauffement climatique, Greta Thunberg, lors du sommet ou encore les quatre millions de manifestants du monde entier d’il y a quelques jours, ne semblent pas avoir été suffisants pour obtenir une réaction de la part de certains acteurs. Certains pays ont boycotté l’évènement et d’autres n’ont pris aucun engagement.
Malgré ces aspects décevants, il y eut quelques bonnes nouvelles :
- L’adhésion de Moscou à l’Accord de Paris sur le climat ;
- 500 millions de dollars récoltés pour l’Amazonie ;
- 19 grandes entreprises, avec un chiffre d’affaires cumulé de 500 milliards de dollars, se sont alliées pour protéger la biodiversité ;
- 12 investisseurs institutionnels se sont engagés à avoir des portefeuilles neutres en carbone d’ici 2050.
De cet évènement ressort que les parties prenantes discutent encore d’engagements alors qu’il devient urgent d’agir pour atténuer l’effet du réchauffement climatique. La finance durable fait partie des leviers à exploiter pour transformer les pratiques des acteurs.
Conclusion
Il convient de dire que la Finance Durable doit devenir tout simplement la normalité. Autrement dit, la gestion des risques climatiques doit devenir une activité courante dans les services financiers et faire partie intégrante des décisions, produits et services professionnels courants. Pour cela, il faudrait créer un cadre réglementaire propre à la finance responsable et non adapter celui qui découle de la finance classique.