Quelles implications pour le secteur immobilier des quatre autres objectifs environnementaux de la taxinomie européenne ?

Le 5 avril 2023, la Commission Européenne a publié un ensemble de documents provisoires pour consultation, détaillant les critères de contribution substantielle pour les quatre objectifs environnementaux de la taxinomie, autres que climatiques, aussi appelés « Taxo 4 ». Il s’agit de :

  • L’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines ;
  • La transition vers une économie circulaire ;
  • La prévention et la réduction de la pollution ;
  • La protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

Des propositions de modifications de l’acte délégué déjà en vigueur couvrant les objectifs environnementaux d’atténuation du changement climatique et d’adaptation, ainsi que de l’acte délégué relatif à la divulgation de la taxinomie ont été également publiés. Ces documents, sont ouverts et en phase de consultation pour tous jusqu’au 3 mai 2023. Qu’attendre de ces nouveaux critères, très scrutés par l’ensemble des acteurs économiques de l’Union ? Que signifient-ils pour le secteur du bâtiment ?

 

Genèse de la « Taxo 4 » et critères pour le secteur de l’immobilier

La taxinomie européenne, règlement (UE) 2020/852, s’impose aujourd’hui comme la définition européenne de ce qu’est une activité économique durable. Sa mise en œuvre concrète, et le calcul des premiers indicateurs en 2023, portent aujourd’hui sur les deux objectifs pour lesquels les critères sont connus depuis juin 2021 : les objectifs climatiques, d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. 2023 marque en effet la première année de reporting sur les indicateurs d’alignement, autrement dit sur le niveau de durabilité des flux financiers associés à une activité économique. Mais cette durabilité se concentre aujourd’hui uniquement sur les enjeux climatiques.

Or, la logique de la taxinomie européenne se veut systémique. Par ce texte, les autorités européennes entendent en effet circonscrire l’ensemble des enjeux environnementaux à prendre en compte dans la transition écologique et sociétale à laquelle nous faisons face, et donc couvrir d’autres sujets que le climat. Les critères techniques, de contribution substantielle et d’absence de préjudice, pour ces autres thématiques étaient attendus pour 2022. Mais malgré plusieurs textes provisoires, c’est en avril 2023 que la Plateforme pour la Finance durable (organisme en charge du développement des critères) a finalement publié des projets aboutis concernant les quatre autres objectifs environnementaux. Les critères portant sur la gestion durable de l’eau, la prévention et la réduction de la pollution, l’économie circulaire et la préservation de la biodiversité et des écosystèmes sont ainsi en consultation jusqu’au 3 mai. Il est à noter que celle-ci porte également sur les actes délégués déjà en vigueur, sur l’atténuation et l’adaptation au changement climatique en vue de leur apporter des modifications. Tous ces textes devraient être votés définitivement le 30 juin 2023, avec les éventuelles modifications relatives à la phase de consultation.

La Plateforme pour la Finance durable a adopté un principe de hiérarchisation des impacts pour le choix des activités concernées par ces quatre autres objectifs environnementaux. Seuls les activités qui peuvent avoir un impact négatif important ont fait l’objet de nouveaux critères de contribution substantielle. A ce titre, le nombre de secteurs économiques couverts par ces nouveaux projets d’actes délégués est significativement inférieur à celui visé par les objectifs climatiques. Par exemple, seules deux activités économiques sont éligibles selon l’objectif « Préservation et restauration de la biodiversité et des écosystèmes » contre plus de 70 pour les objectifs climatiques.

Le secteur du bâtiment n’est ainsi pas concerné directement par les quatre nouveaux textes. Le secteur « Construction et immobilier » n’apparaît explicitement que dans un projet d’acte délégué, celui portant sur l’objectif « Transition vers une économie circulaire ». Trois activités sont particulièrement ciblées : la construction neuve, la rénovation de bâtiments existants et la démolition de bâtiments et infrastructures.  Toutefois, les acteurs du secteur immobilier peuvent également valoriser parmi leurs flux financiers des CAPEX individuellement alignés. Il s’agit de dépenses d’investissement qui sont issues elles-mêmes d’une activité durable au sens de la taxinomie européenne. Dans les actes délégués portant sur les objectifs climatiques, il s’agissait des activités 7.3 à 7.6 concernant par exemple l’installation d’équipements d’efficacité énergétique.

De manière indirecte, le secteur du bâtiment peut ainsi être relié aux activités suivantes :

  • Utilisation durable et protection des ressources aquatiques et marines: activité « 4.1 Fourniture de solutions basées sur les données IT/OT pour la réduction des fuites d’eau »
  • Prévention et réduction de la pollution: activité « 2.4 Assainissement des sites et zones contaminés peut concerner la décontamination ou la démolition de bâtiments, ainsi que la restauration de sites pollués »
  • Protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes: activités « 1.1 Conservation, dont restauration, des habitats, des écosystèmes et des espèces » et « 2.1 Hôtels, hébergements de vacances, campings et hébergements similaires »

Toutes ces activités pourront permettre aux acteurs de la promotion et de la gestion immobilière de valoriser des investissements alignés avec la taxinomie européenne, donc durables.

Focus sur la « Transition vers une économie circulaire » et le secteur du bâtiment

Comme évoqué précédemment, le projet d’acte délégué qui a un impact direct et significatif sur le secteur de l’immobilier est celui à propos de la « Transition vers une économie circulaire ». Toute activité de construction, de rénovation ou de démolition pourra valoriser des flux financiers alignés selon cet objectif. Mais quels sont les critères de contribution substantielle à respecter ?

Pour l’activité de construction neuve, les critères à respecter sont les suivants :

  1. Préparation d’au moins 90 % des déchets non dangereux pour réutilisation ou recyclage pour l’activité de construction, sauf certains matériaux naturels ;
  2. Calcul du potentiel de réchauffement planétaire du bâtiment à chaque étape du cycle de vie ;
  3. Intégration dans le design des concepts d’adaptabilité et de déconstruction ;
  4. Utilisation privilégiée de matières premières secondaires (i.e. recyclées, réemployées ou réutilisées). Le texte impose des seuils maximaux de matières premières primaires autorisées pour le béton, la pierre naturelle ou agglomérée, les briques, tuiles et céramiques, les produits biosourcés, le verre, les plastiques non biosourcés, les métaux et le plâtre (entre 30 et 80% pour la construction) ;
  5. Utilisation d’outils électroniques pour décrire les caractéristiques du bâtiment (dont matériaux et composants). Stockage numérique des informations et conservation à long terme des informations via des outils nationaux (cadastre ou registre public).

Les critères de contribution substantielle pour la rénovation de bâtiments existants sont similaires. Seuls les objectifs quantifiés diffèrent : 70% des déchets non-dangereux seulement doivent être préparés en vue de leur valorisation matière, et les seuils à respecter en termes de matériaux primaires sont moins exigeants. De plus, au moins 50 % du bâtiment d’origine doit être conservé. Cette proportion doit être calculée sur la base de la surface brute de plancher conservée du bâtiment d’origine.

En cohérence avec l’esprit matriciel de la taxinomie européenne, les critères d’absence de préjudice aux autres objectifs environnementaux, aussi appelés DNSH, restent similaires à ceux adoptés dans les actes délégués climatiques. Ainsi, pour la construction il faut veiller à ne pas causer de préjudice important à l’atténuation du changement climatique, à l’adaptation, à la gestion durable de l’eau, à la pollution et à la biodiversité. Pour l’activité de rénovation de bâtiments existants, les critères DNSH sont restreints. Par exemple, il n’y en a aucun sur la biodiversité. Enfin, la durabilité ne saurait être déclarée sans vérifier le respect des garanties minimales. Elles portent sur la mise en place de processus en interne sur le respect des droits de l’Homme, la lutte anti-corruption, la fiscalité et la concurrence déloyale.

Dernier point important à retenir de ces nouveaux textes, un changement de calendrier est proposé. Le reporting 2024, sur l’exercice 2023, ne devrait ainsi porter que sur les indicateurs d’éligibilité pour les quatre autres objectifs environnementaux. Bien que cela ne soit pas explicitement écrit, c’est donc à partir de 2025 que les entreprises devront publier leurs indicateurs d’alignement taxinomique sur l’ensemble des six objectifs environnementaux.

 

Les critères techniques tant attendus sur les quatre autres objectifs environnementaux sont donc sur le point d’être entérinés. Bien que le secteur de l’immobilier soit directement impacté par l’objectif « Transition vers une économie circulaire », l’ampleur des changements s’annonce moins grande que pour les objectifs climatiques. Il ne faut toutefois pas oublier que les critères techniques de la taxinomie devraient être revus périodiquement. Vous pouvez consulter l’intégralité des textes provisoires ici. Les projets d’actes délégués sur les quatre objectifs environnementaux de la taxinomie sont ouverts à la consultation pour toute personne, citoyen ou non de l’espace européen, jusqu’au 3 mai. La Commission européenne les utilisera pour publier des actes délégués définitifs au second trimestre de 2023. L’OID souhaite participer à cette consultation, et construire une réponse spécifique au secteur immobilier avec l’aide de ses membres.

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