Densité dans les zones urbanisées, renouvellement urbain, coefficient d’occupation des sols, baisse du taux de vacance, renchérissement des prix du foncier non bâti, renaturation … Alors que France Stratégie, institution rattachée au Premier Ministre, a identifié les principaux leviers pour atteindre l’Objectif Zéro Artificialisation Nette annoncé par le gouvernement en 2018, comment les acteurs de l’immobilier peuvent-ils se saisir de ce nouvel enjeu et anticiper les évolutions à venir ?
Le contexte réglementaire de mise en œuvre
En 2018, le Plan Biodiversité fixe un nouvel objectif à atteindre au niveau national : le Zéro Artificialisation Nette d’ici 2050. Il s’inscrit dans la lignée des objectifs établis par la Commission Européenne qui, dès 2011, annonçait : « Notre objectif [consiste] à supprimer, d’ici à 2050, toute augmentation nette de la surface de terres occupée [par le logement, l’industrie, les infrastructures routières ou les loisirs] ». France Stratégie, think tank du Premier Ministre, s’est vu chargé de la rédaction d’un rapport identifiant les moyens d’atteindre cet objectif, qui a par la suite été publié en 2019.
L’artificialisation y est définie comme la perte d’espaces naturels, agricoles et forestiers au profit d’espaces urbanisés, de logements, d’infrastructures, de bâtiments de commerce, etc. L’artificialisation en France augmente annuellement à un rythme estimé de 16 000 à 60 000 hectares, en fonction de la méthodologie utilisée. En outre, ce rythme est découplé de l’accroissement démographique observé depuis 1981 (+70% pour l’artificialisation contre +19% pour la population), ce qui témoigne d’une gestion inefficace des territoires.
Les fondements de l’objectif
L’objectif, qui s’inspire de la démarche Eviter – Réduire – Compenser, vise à lutter contre une artificialisation des sols qui « engendre partout une perte de biodiversité, de productivité agricole, de capacité de résilience face au risque d’inondation, au changement climatique et à la précarité énergétique, une banalisation des paysages et en conséquence une perte d’attractivité, y compris économique, des territoires », comme annoncé par le Gouvernement dans une instruction le 29 juillet 2019.
En effet, l’imperméabilisation rapide et massive des sols détruit la biodiversité locale et empêche les cycles de régulation naturels de perdurer, tels que le cycle de l’eau ou du carbone. Limiter l’artificialisation pourrait dès lors permettre de lutter contre le dérèglement climatique ou encore accroitre la résilience face aux aléas climatiques. Néanmoins, les zones artificialisées ne sont souvent que partiellement imperméabilisées, et la définition adoptée par le gouvernement ne permet pas, pour l’instant, de différencier la création d’un parc urbain intégrant une biodiversité végétale et animale potentiellement supérieure à celle en milieu agricole, d’un parking goudronné entièrement imperméable.
Les solutions et moyens identifiés pour y parvenir
Face à l’urgence d’agir sur le grignotage progressif des espaces naturels, plusieurs leviers ont été identifiés, parmi lesquels deux coefficients : le renouvellement urbain et la densité. Le renouvellement urbain correspond à la part de surface de construction sur un terrain déjà artificialisé : pour la période 2006-2014, il s’établit à 0,43 d’après le CGDD (Commissariat Général au Développement Durable), ce qui signifie que 43% des mètres carrés construits sur la période l’ont été sur des terres qui étaient déjà artificialisées. La densité, quant à elle, rapporte la surface de plancher du bâtiment à la taille de la parcelle. Plus la surface de plancher augmente, par exemple en ajoutant des étages à un bâtiment, plus la densité augmente. D’après les estimations du Cerema, la densité des nouvelles constructions pour la période 2007-2015 s’élève à 0,16 (pour une parcelle de 1000m2, cela signifie un bâtiment plain-pied de 160m2, ou un bâtiment R+1 de 80m2).
Afin de permettre l’atteinte de l’objectif ZAN, les collectivités territoriales pourraient donc se voir attribuer des objectifs de densité et de renouvellement urbain, renforcés par de nouveaux dispositifs fiscaux adaptés (exclusion des constructions sur terres non artificialisées du dispositif Pinel et des prêts à taux zéro, taxe d’aménagement incitative etc.). Les nouvelles constructions pourraient alors être soumises à un coefficient d’occupation des sols (COS) minimal. De surcroit, France Stratégie identifie le renchérissement du prix du foncier non bâti et la sous-occupation des bâtiments en France comme deux facteurs aggravant l’artificialisation des sols. Enfin, la renaturation de sols pollués pourrait permettre de compenser les hectares artificialisés, éventuellement à travers la mise en place d’un marché de droit à artificialiser, bien que le rapport précise que les coûts de renaturation soient encore trop élevés pour mettre en place un tel dispositif. À la suite d’une période de concertation des parties prenantes, France Stratégie prévoit la mise en œuvre d’un cadre réglementaire fixe d’ici à deux ans.
Les implications pour les entreprises de l’immobilier
Les entreprises de l’immobilier, qui façonnent à bien des égards les paysages urbains, vont donc devoir développer de nouveaux modèles sobres en consommation d’espace. Cela passera notamment par davantage de verticalité : augmenter la densité des constructions de 0,16 à 0,3 revient par exemple à rehausser d’un étage les nouvelles constructions de plain-pied afin de doubler la surface de plancher. L’enjeu pour les acteurs de l’immobilier va donc surtout résider dans leur capacité à développer des solutions innovantes sans empiéter sur de nouveaux terrains, en construisant avec l’existant. Il faudra alors concilier les objectifs en termes de densité et de renouvellement urbain avec les attentes des utilisateurs, alors même que la crise sanitaire et la période de confinement ont fait naître chez de nombreux individus le désir d’augmenter la surface de leurs espaces de vie.
En termes d’utilisation d’espace, l’habitat représente environ 42 % des surfaces artificialisées estimées, devant les infrastructures de transport (28 %), et le foncier de services (16 %). Malgré la faible part de bâtiments à vocation tertiaire dans l’occupation des sols artificialisés, ces derniers sont confrontés à des problématiques spécifiques. En effet, les entreprises ont souvent tendance à situer leurs locaux à la périphérie des villes, à la recherche d’un foncier favorable, et contribuent ainsi au phénomène d’étalement urbain et de périurbanisation. Les entreprises pourraient trouver avantage à installer leurs bureaux dans les villages environnant des métropoles, dans une logique de densification des centres déjà urbanisés, permettant aux ménages de retrouver cette proximité avec la nature environnante tout en conservant une proximité au lieu de travail. La région Nord-Pas-de-Calais a ainsi relevé 16 opérations de densité dans un guide de la densité en milieu rural, et souligne l’importance de la multifonctionnalité des espaces densifiés : logement, espaces verts, commerce, équipements publics …
Densification, renouvellement urbain, c’est finalement toute l’architecture des territoires qui doit être repensée aujourd’hui afin d’atteindre l’objectif zéro artificialisation nette d’ici à 2050. D’ici deux ans, d’après les recommandations de France Stratégie, un périmètre réglementaire devrait être établi et permettre de préciser les contours de ce nouvel objectif national.
Sources :
- https://politiquedulogement.com/2019/10/zero-artificialisation-nette-des-sols-en-2050/
- France Stratégie (2019), Objectif « zéro artificialisation nette » : quels leviers pour protéger les sols ?
- Conseil Régional Nord Pas de Calais (2016), 1001 façons de construire à la campagne – La densité en milieu rural
- Instruction du Gouvernement du 29 juillet 2019 relative à l’engagement de l’État en faveur d’une gestion économe de l’espace