Matériaux biosourcés pour décarboner les bâtiments : Les défis du passage à l’échelle

Article rédigé par Noah Vicens

 

Les récents arbitrages de la RE2020 mettent en avant les matériaux biosourcés et l’analyse du cycle de vie pour les nouveaux bâtiments. Les matériaux biosourcés, qui se retrouvent au premier plan, semblent – enfin – prendre de l’importance dans le secteur de la construction et de la rénovation. Pourtant, seulement 12%[1] des matériaux utilisés dans le bâtiment (rénovation et construction neuve) sont biosourcés. Dans un contexte de pénuries des matériaux de constructions ajouté à une pression règlementaire de plus en plus forte, la transition du secteur du bâtiment est un défi de taille.

 

Des matériaux aux propriétés diverses

Les matériaux biosourcés sont des matériaux dérivés de la biomasse d’origine animale ou végétale. Les matériaux les plus utilisés dans la construction sont le bois, la paille, le chanvre, la ouate de cellulose, le liège, le lin et la laine de mouton. Ils sont utilisés dans de nombreux domaines de la construction et de la rénovation, par exemple pour l’isolation, ou le revêtement des façades. Ils répondent aux enjeux du développement durable en favorisant l’économie circulaire et le développement des territoires.

Les matériaux biosourcés sont très durables et possèdent d’excellentes propriétés, notamment en termes d’isolation, d’insonorisation, d’humidité, d’isolation thermique et de stockage du carbone.

Face au changement climatique, les matériaux biosourcés présentent de nombreux avantages : une très longue durée de vie, la capacité de stocker du carbone et, en même temps, une consommation d’énergie réduite pendant l’utilisation. Leur impact sur l’empreinte carbone des bâtiments est effectif dès la construction, contrairement aux approches qui ciblent l’exploitation des bâtiments dont les effets s’étalent sur des décennies. Les lots concernés par les matériaux bio et géosourcés représentent environ 54% du poids carbone moyen des bâtiments.[2]

Certains matériaux biosourcés sont disponibles en grande quantité sur le territoire pour le secteur du bâtiment. Notamment la paille qui permettrait d’isoler 500 000 logements par an si on utilisait seulement 5 % de la paille qui retourne au sol ; le chanvre dont la France est le 1er producteur européen ; ou encore le textile recyclé dont 1,2 millions de tonnes de déchets sont produits chaque année en France par les ménages et les entreprises, alors que la production d’isolant en textile recyclé ne représente que 3000 tonnes par an ce qui laisse une marge de développement immense au secteur.

 

 

Les biosourcés pour répondre aux enjeux réglementaires

La nouvelle règlementation RE2020 qui entrera en vigueur – pour les logements – en janvier 2022, a pour but de renforcer les exigences de la RT2012 et d’intégrer l’enjeu carbone afin d’atteindre l’objectif de neutralité carbone fixé dans la SNBC (Stratégie Nationale Bas Carbone) en 2050. Une des grandes nouveautés par rapport à la RT 2012 est la prise en compte de l’impact carbone des matériaux utilisés dans le bâtiment, de sa construction à sa démolition ainsi que le stockage carbone des matériaux utilisés via l’analyse du cycle de vie des bâtiments.

Le Décret Eco Energie Tertiaire (DEET) aborde quant à lui le sujet de la décarbonation via de objectifs de réduction significative des consommation énergétiques du parc tertiaire existant. De manière indirecte, les matériaux biosourcés peuvent être intégrés à une stratégie de mise en conformité, du fait de leurs performances énergétiques.

Ces deux règlementations vont donc amplifier la décarbonation de la construction neuve et des bâtiments déjà existants.

Or, 15 à 20 % de l’empreinte carbone d’un bâtiment provient des matériaux utilisés pour sa construction[3]. Les biosourcés sont les matériaux les mieux placés pour permettre cette transition du secteur. En effet, si tous les bâtiments de France étaient construits avec une quantité de matériaux biosourcés au niveau 3 du label Bâtiment Biosourcé, on compenserait 7,1% des émissions CO2 du bâtiment et 1,7% des émissions totales annuelles en France (en consommant seulement 3% de la biomasse disponible).[4]

Actuellement, la dynamique des matériaux biosourcés est principalement portée par le marché de la rénovation : les chantiers de rénovation représentent en moyenne 61 % des chantiers utilisant des matériaux biosourcés. En particulier le marché de l’isolation biosourcée a connu une croissance exponentielle sur les 5 dernières années, avec une augmentation de produits installés de 87 %[5]. Les produits biosourcés représentent déjà 10 % du marché de l’isolation et cette part pourrait doubler en cinq ans, en particulier grâce aux nouvelles règlementations sur les bâtiments.

Reste à voir si l’ensemble des acteurs du secteur vont suivre ce mouvement : aujourd’hui, seulement 12%[6] des matériaux utilisés dans le bâtiment (rénovations et construction neuves) sont biosourcés.

 

 

Le défi du passage à l’échelle reste entier

Pour permettre une réelle transition du secteur, la filière des matériaux biosourcés doit se développer et passer à une industrie de grande échelle. Ce développement est aujourd’hui freiné pour différentes raisons.

Le coût est souvent identifié comme un obstacle majeur à l’utilisation de ces matériaux en raison du manque de maturité du marché et de la volatilité des ressources. En réalité, les matériaux de construction biosourcés ne représentent qu’une petite partie du coût final d’un projet. En ayant une vision de coût global et intégrant les économies réalisées tout au long de l’exploitation, les matériaux biosourcés ne sont pas forcément plus chers.

De plus, les effets d’échelle tendent à favoriser les méthodes traditionnelles (notamment les matériaux dérivés des minéraux et du pétrole), alors que les filières biosourcées ne proposent souvent pas de produits suffisamment compétitifs en termes de procédés. En effet, l’utilisation de matériaux biosourcés dans les bâtiments implique l’utilisation de méthodes de construction qui ne sont pas courantes dans le secteur de la construction, ce qui peut susciter des objections de la part de certaines autorités réglementaires.

Dans certaines régions, la production est fragmentée en petits secteurs avec peu d’unités de transformation des matières premières. Certains acteurs hésitent alors à entrer sur le marché par crainte de la concurrence potentielle de différents secteurs tels que l’agriculture, l’énergie et l’industrie. Ainsi, bien que le domaine des matériaux biosourcés soit en pleine expansion, les maîtres d’œuvre sont régulièrement confrontés au problème de ne pas pouvoir identifier et accéder facilement aux fabricants et producteurs dans leur région.

 

La France est sans aucun doute un précurseur dans ce domaine et l’un des pays où il y a le plus d’initiatives publiques visant spécifiquement ce domaine de l’utilisation de matières premières biosourcées dans les bâtiments (tant au niveau national que local). Pourtant l’industrialisation de la filière reste un défi de taille. Là où les acteurs du secteur en sont encore au stade expérimental, le passage à grande échelle devient de plus en plus pressant face aux objectifs de réduction de moitié des GES à l’horizon 2030 de la SNBC.

 

[1] Chiffres du Congrès National du Bâtiment Durable (CNBD)

[2] CNBD

[3] CNBD

[4] Source : Arp Astrance

[5] Source : https://www.batiweb.com/actualites/vie-des-societes/forte-croissance-du-marche-des-isolants-biosources-37764

[6] CNBD

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