Après de nombreux rebondissements, la navette parlementaire est en route pour concrétiser l’application de l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) des sols dans les territoires. C’est une étape réglementaire majeure pour l’état futur de nos sols : socle indispensable pour la préservation de la biodiversité et des services de support associés. Entre enjeux environnementaux et enjeux de développement territorial, les contraintes sont fortes. Retour sur les dernières actualités qui concrétisent l’application du ZAN à l’échelle des régions et des collectivités.
Une proposition de loi en cours qui inscrit le ZAN dans la stratégie des territoires
Inscrit dans le cadre réglementaire par la loi Climat et Résilience en 2021, l’objectif ZAN s’applique en deux temps. L’ambition est de réduire de moitié le rythme d’artificialisation national des sols d’ici 2031, jusqu’à atteindre un bilan nul d’ici 2050. Pour la première tranche de 10 ans (jusqu’en 2031), la consommation des Espaces Naturels Agricoles et Forestiers (ENAF) sera décomptée pour évaluer le rythme d’artificialisation des sols. Puis, entre 2031 et 2050, une nomenclature propre au ZAN viendra définir les surfaces artificialisées et non artificialisées. Le bilan total des surfaces pouvant être artificialisées d’ici 2050 est défini au niveau national et découpé en enveloppe à l’échelle des régions. Afin de rendre ces objectifs atteignables, la méthode de suivi de l’artificialisation des sols doit être déclinée à l’échelle locale (régions, intercommunalités et communes). Un débat parlementaire a été initié en mars 2023 avec le vote en première lecture d’une proposition de loi du Sénat « visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs ZAN au cœur des territoires ». Ce texte vise à ce que le ZAN ne constitue pas un frein au développement des territoires tout en conservant ses ambitions environnementales. Le texte initial du Sénat a toutefois fait l’objet de contestations de la part de plusieurs ONG environnementales dénonçant une perte d’ambition de l’objectif ZAN. Après quelques ajustements votés en première lecture le 27 juin 2023 à l’Assemblée nationale, le bilan reste contrasté.
Des mesures faisant débat dans l’hémicycle
Parmi les points principaux de discussion, les « projets d’envergure nationale ou européenne » font couler de l’encre. La proposition de loi du Sénat introduit une enveloppe séparée afin que ces projets ne grignotent pas les enveloppes attribuées à leurs régions d’accueil. Cependant, rien ne précise que l’artificialisation résultante de ces projets serait prise en compte dans le bilan national de l’artificialisation des sols. Le débat est donc en cours afin de statuer sur la manière dont doivent être comptabilisés, ou non, ces surfaces artificialisées dans l’enveloppe globale. Les discussions à l’Assemblée nationale ont permis de réintégrer ces projets dans le décompte des surfaces artificialisées : sur les 125 000 qu’il est permis d’artificialiser d’ici 2031, cela représente un total de 15 000 hectares qui sinon n’auraient pas été comptabilisés.
Une autre mesure phare proposée par le Sénat consiste à garantir un « droit à construire » d’au moins un hectare à toutes les communes d’ici 2031. L’objectif est ainsi de ne pas bloquer le développement des communes ayant été moins consommatrices en foncier en leur attribuant une « garantie rurale ». L’Assemblée nationale propose que cette enveloppe minimale soit attribuée seulement aux communes « peu » ou « très peu denses » au sens de l’Insee. Cette restriction permettrait de réduire l’artificialisation induite par cette garantie, néanmoins elle ne contribue pas à prendre en compte les efforts passés de maitrise de l’étalement urbain et de densification.
Des mesures extraites du débat parlementaire et traitées par décret
En parallèle de la proposition de loi, deux projets de décrets (1) (2) ont été soumis par le gouvernement à consultation publique jusqu’au 4 juillet 2023. L’objectif de ces décrets est d’accélérer le débat parlementaire en ne traitant qu’une partie des arrêtés sous forme de discussions législatives.
Un premier décret fixe les règles de mise en œuvre de la territorialisation des objectifs à l’échelle régionale. Le suivi des surfaces artificialisées à l’échelle infrarégionale est un point clé du décret. Le texte établit notamment que la déclinaison des objectifs nationaux à l’échelle infra-régionale ne fasse plus l’objet d’une cible chiffrée. Cela impliquerait un contrôle régional de l’artificialisation des sols à postériori ce qui augmenterait le risque de dépassement des objectifs régionaux. Le simple rapport de « prise en compte » des objectifs régionaux dans les documents d’urbanisme locaux remet en question le réel impact du ZAN qui se voulait ambitieux et contraignant à l’encontre de l’artificialisation des sols. Seul un rapport de « comptabilité », c’est-à-dire de non-contradiction avec les objectifs régionaux, permettrait de contrôler l’atteinte du ZAN. Cette mesure participe à limiter l’objectif de comptabilité stricte du ZAN en le transformant en un objectif indicatif vers lequel orienter la stratégie des territoires. Si les objectifs cibles sont centralisés au niveau régional mais que l’artificialisation et le suivi sont effectués à l’échelle communale, la question est de savoir sur qui pèse la responsabilité de comptabilisation du ZAN.
Le second décret revient sur la nomenclature arrêtée le 29 avril 2022 qui définit une surface comme artificialisée ou non. Pour donner suite à de nombreux questionnements sur la première nomenclature, la copie a été reprise par le gouvernement pour y apporter certaines modifications. La plus importante est sans doute l’instauration de seuils de référence surfaciques à partir desquels les sols seront qualifiés comme artificialisés ou non. Pour les surfaces non bâties et hors infrastructures linéaires, le seuil est fixé à 2500m². En deçà, aucune précision n’est apportée sur la manière de comptabilisation. Selon une étude de la Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme (FNAU), l’application d’un seuil à 2500 m² ferait perdre 39% de la visibilité des espaces consommés. Une telle incertitude sur le statut de ces surfaces constitue un risque pour le suivi de la consommation foncière réelle et donc pour l’atteinte réelle de l’objectif ZAN.
Un dispositif juridique complet pour la mi-juillet ?
La proposition de loi est donc actuellement en commission mixte paritaire afin d’aboutir au plus vite à la conciliation des deux assemblées sur un texte commun. Le texte résultant serat discuté en séance publique le 13 juillet 2023. Le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires Christophe Béchu, fixe comme objectif qu’un dispositif juridique applicable et complet (loi et décrets d’application) soit trouvé d’ici mi-juillet 2023. Malgré le temps court que laisse ce calendrier, certaines mesures peuvent encore être modifiées en faveur de la préservation du vivant et des sols. L’enjeu est de s’assurer du respect de l’ambition initiale du texte de la Loi Climat et Résilience qui avait fait suite à la Convention Citoyenne pour le Climat en 2021, en conservant notamment des objectifs clairs, chiffrés et contraignants pour l’ensemble des échelons territoriaux. L’adoption de seuils de référence surfacique plus précis, notamment 1000m², dans la nomenclature en consultation permettrait également de respecter ces ambitions avec une grande précision.
L’inscription de l’objectif ZAN dans les stratégies territoriales implique un changement de paradigme complet pour le développement territorial et les débats sur son application concrète ne tarissent pas. Devant les enjeux divers et complexes, les ambitions environnementales ne doivent pas être revues à la baisse au nom du développement territorial. Le moyen d’application de certaines mesures reste encore indéfini, pouvant entrainer des conséquences environnementales néfastes. La publication du dispositif complet prévu pour mi-juillet promet d’être décisif pour l’état des sols sur le territoire, assurant la préservation du vivant et notre résilience face aux aléas climatiques à venir.