Face à l’extension de la ville sur les espaces restés à l’état naturel ou les terrains agricoles, et à l’ampleur de l’érosion de la biodiversité en particulier en France, l’attention portée sur la richesse des espaces naturels en ville devient un enjeu territorial réel. Pourtant, la question est quelque peu ambivalente.
La biodiversité in situ, la biodiversité ex situ, et la ville.
Parmi les principales causes d’érosion de la biodiversité : (1) les changements d’usage des terres et de la mer ; (2) l’exploitation directe de certains organismes ; (3) le changement climatique ; (4) la pollution et (5) les espèces exotiques envahissantes, la plupart se trouvent directement liées aux milieux urbains et à l’urbanisation croissante. Le secteur de l’immobilier ainsi que les politiques publiques, en encourageant l’extension urbaine, sont en grande partie responsables de ces impacts.
L’artificialisation des sols compte parmi les principales causes de la perte de biodiversité. Près de 10% de la France métropolitaine est artificialisée selon l’INSEE. La construction d’un bâtiment nécessite le prélèvement de grande quantité de ressources, la production de déchets et l’émission de gaz à effet de serre. D’après l’ADEME, 51 millions de tonnes de matériaux ont été consommées en 2015 pour la construction neuve en France, dont plus de 80% pour le secteur résidentiel. Environ 1,3 milliard de tonnes seraient consommées jusqu’en 2050 pour le seul secteur résidentiel, dont 85% uniquement pour les granulats, sable et ciment. Cette prédation sur les ressources entraine la destruction et la fragmentation des espaces naturels, et peut participer à l’introduction d’espèces à caractère « envahissant ».
Les impacts du bâtiment et de la ville sur la biodiversité se retrouvent à trois échelles : au niveau de la parcelle, on parlera de biodiversité in situ, au niveau du quartier avec l’insertion du bâtiment dans les trames vertes et bleues régionales, mais également bien plus largement, avec les impacts liés à la biodiversité ex situ, ou biodiversité grise. Définie sur le même principe que l’énergie grise, la biodiversité grise rassemble tous les impacts sur les milieux naturels et le vivant au sens large, en intégrant notamment l’extraction, la fabrication, la transformation et le transport des matières nécessaires à la construction et l’exploitation du bâtiment.
L’écologie du paysage redonne sa place à la biodiversité urbaine
D’une manière générale, la fragmentation des paysages et les ruptures urbaines provoquées par le développement des espaces urbains contribuent à l’érosion de la biodiversité. Cependant, les récentes thèses de l’écologie du paysage, issues du tournant environnemental des années 1980, redonnent sa place à la biodiversité urbaine, en montrant que la ville peut contribuer au maintien de la biodiversité in situ, voire à sa croissance, par l’intégration du bâti dans des corridors écologiques et réservoirs de biodiversité. L’hétérogénéité est un élément majeur de l’écologie du paysage, qui montre que plus la mosaïque paysagère est riche, plus la diversité d’espèces présentes est a priori favorisée.
« Au cours du développement des différentes civilisations, les paysages ont été fragmentés et perturbés au profit du développement. Dans ces paysages fortement fragmentés, la conservation d’une connectivité devient essentielle afin de sauvegarder la diversité biologique et d’assurer un bon niveau de services écologiques. En définitive le système-paysage se présente comme un ensemble de types d’éléments plus ou moins fragmenté ou connectés. Ces derniers composent la mosaïque paysagère et sont plus ou moins connectés. » (Péguy Major)
C’est sur ce postulat qu’ont été élaborées les trames vertes et bleues formées des continuités écologiques terrestres et aquatiques, reprises par les documents de l’Etat, des collectivités territoriales et de leurs groupements, tel que le Schéma Régional de Cohérence Ecologique (SRCE).
Quelle biodiversité en ville ?
La biodiversité urbaine se trouve dans une multitude d’espaces plus ou moins étendus, plus ou moins délimités : friches, alignements d’arbres, haies, parkings et trottoirs enherbés, espaces d’agriculture urbaine, cours d’immeubles, bâtiments végétalisés, noues et mares, etc., et pas uniquement dans les parcs et jardins. Ces espaces, connectés entre eux, peuvent former des corridors écologiques favorables au déplacement des espèces. L’exemple des friches urbaines est particulièrement intéressant puisque dans ces espaces où la végétation est laissée délibérément en libre évolution, il est possible d’observer tous les stades de colonisation d’un milieu, des espèces pionnières jusqu’au boisement.
La faune que l’on retrouve en ville, les « urban adapters », regroupe des espèces généralistes, comme le pigeon Bizet que l’on connaît bien, qui a su tirer profit de ces espaces contraints du fait de son alimentation opportuniste et de sa forte capacité de dispersion. Ces espèces se sont adaptées à cet environnement particulier : climat propre à la ville, températures plus élevées, pollution de l’air, de l’eau et des sols importante, multiplication d’habitats de petite dimension très fragmentés entre eux, éclairage nocturne important, activités humaines constantes pendant la journée, absence ou fort piétinement des sols, etc. A l’inverse, les espèces spécialistes, plus rares en ville car plus dépendantes de la spécificité de certains milieux, peuvent néanmoins trouver refuge dans certains espaces de friches ou anfractuosités (c’est le cas de nombreuses espèces de chauve-souris par exemple).
Cependant, les efforts faits par les collectivités et les gestionnaires de sites permettent parfois d’observer le retour d’une biodiversité habituellement présente dans les zones rurales exclusivement. C’est le cas par exemple du faucon pèlerin à Paris, qui en était absent depuis 1947, et qui profite de la chaleur, des hauts immeubles et de l’abondance de pigeons dont il se nourrit. Par ailleurs les cimetières, devenus des refuges de silence, moins éclairés, et désormais entretenus de manière écologique pour certaines villes (Paris, Niort), deviennent eux aussi de véritables terrains d’observation de renards, hérissons, écureuils roux, chauve-souris, chouettes hulottes, pies-grièches, ou lézards des murailles.
Et à l’échelle du bâtiment ?
A l’échelle du bâtiment, il y a plusieurs manières de considérer la biodiversité. Nous l’avons vu, les impacts sur la biodiversité sont en réalité présents à différentes échelles, et parfois bien au-delà de ce que l’on imagine (préemption des sables de mer pour la fabrication du béton par exemple).
Outre l’attention portée à la biodiversité grise, en particulier à l’utilisation des matériaux de construction, la végétalisation des bâtiments permet de renforcer les corridors écologiques en créant de nouveaux supports de biodiversité. Cependant cette démarche aura un impact réellement bénéfique à certaines conditions :
- S’entourer d’une équipe technique compétente, dont un écologue.
- Privilégier la végétalisation verticale (façades végétalisées) et horizontale (toitures ou parkings végétalisés), ainsi que la diversification des milieux (prairies, bois, mares et milieux humides, taillis, etc.).
- Anticiper la connexion des espaces végétalisés entre eux, afin de permettre la circulation des êtres vivants.
- Adapter la palette végétale à l’orientation du bâti et au climat, et favoriser des essences peu gourmandes en arrosage et capable de supporter des évènements climatiques parfois violents (sécheresse, fortes températures, précipitations torrentielles, etc.).
- Maintenir, voire restaurer des espaces de pleine terre, ce qui aura des bénéfices directs sur l’absorption de l’eau de ruissellement, mais également sur la restauration des sols, support même de biodiversité.
- Prévoir des abris pour la faune, à condition que leur emplacement et leur nombre ait fait l’objet d’une réflexion aboutie, sur la base des conclusions d’une étude écologique du site.
Par ailleurs, la gestion écologique des espaces végétalisés, dont les prérequis sont l’arrosage artificiel limité, l’utilisation d’engrais verts et du compost, la tonte différenciée et le fauchage tardif, ou encore le paillage des massifs pour garder l’humidité, aura elle-même un effet bénéfique sur la biodiversité. Cette gestion écologique, qui suppose de laisser les plates-bandes s’ensauvager et les pâquerettes envahir les prairies, entre en conflit avec certaines mentalités et fait face à un véritable enjeu d’acceptabilité de la part des occupants qu’il convient de prendre en compte.
En milieu urbain, les bâtiments peuvent donc aussi être un véritable de support de biodiversité en s’insérant de manière intelligente aux corridors écologiques régionaux. La végétation sur le bâti directement et le maintien d’espaces de pleine terre créent de véritables leviers pour la faune et la flore. La conception même de la structure du bâti, en laissant par exemple volontairement des anfractuosités qui créent des refuges pour la faune locale, peut également être mise au service de la biodiversité urbaine. Pour en savoir plus, les collectivités et acteurs associatifs locaux doivent être les interlocuteurs privilégiés dans les démarches.