Fiabilisation du DPE tertiaire : la France est-elle à la traîne ?

juridiquement opposable, l’entrée en vigueur du Décret tertiaire, ou encore les résultats du débat sur l’interdiction de mise sur le marché des passoires thermiques vont en effet accroître significativement son importance à court et long terme. Or, pour le moment, le DPE demeure un outil peu fiable (en particulier dans le cas des bâtiments tertiaires), ne renseignant que de manière imparfaite sur la performance énergétique des bâtiments. Pour cette raison, il est dans les faits rarement utilisé par les professionnels de l’immobilier à des fins d’amélioration énergétique.
Afin de fiabiliser le DPE tertiaire en France, quelles leçons peut-on tirer de la mise en œuvre du dispositif dans les autres Etats-membres ?
 

Le DPE tertiaire en France : de la difficulté de naviguer entre les différents dispositifs réglementaires

Le DPE a été introduit en droit européen par la directive 2002/91/CE sur la performance énergétique, qui le définit comme un « certificat reconnu par un Etat-membre ou par une personne morale désignée par celui-ci, qui indique la performance énergétique d’un bâtiment ou d’une unité de bâtiment ». Son objectif est donc de renseigner sur la performance énergétique d’un bâtiment via une évaluation de sa consommation d’énergie et de son impact en termes d’émissions de gaz à effet de serre.
Or, depuis cette directive, d’autres dispositifs relatifs à la performance énergétique des bâtiments ont été ajoutés en droit français, tels que l’audit DDADUE (introduit par la directive européenne 2012/27/UE), qui impose à toutes les grandes entreprises de réaliser un audit énergétique tous les 4 ans, ou encore le décret tertiaire qui devrait entrer en vigueur fin 2019. Ce dernier impose aux propriétaires de biens immobiliers à usage tertiaire de plus de 1000m² de réduire les consommations énergétiques de ces biens de 40% d’ici 2030, 50% d’ici 2040, et 60% d’ici 2050 (notamment via l’établissement d’un plan d’action bailleur et d’un plan d’action preneur à bail).
Il semblerait logique que ces dispositifs, portant tous trois sur le même sujet – la performance énergétique des bâtiments – fonctionnent sur une base commune. Pourtant, plusieurs incohérences apparaissent à la lecture de ces textes.

  • L’actualisation décennale du DPE : un élément préoccupant dans le cadre du décret tertiaire

Le décret tertiaire va obliger les grandes entreprises à communiquer annuellement les données énergétiques de leur parc immobilier via la plateforme OPERAT à partir de janvier 2020. Il serait donc logique que celles-ci puissent le faire en se fiant en partie sur les données du DPE (qui donne des informations sur la performance intrinsèque du bâtiment). Or, celui-ci ne demande à être actualisé que tous les 10 ans, et impose de faire appel à un diagnostiqueur certifié et extérieur à l’entreprise.
Le fait de mettre en place un dispositif de communication annuelle des données énergétique tandis que le dispositif de base censé renseigner sur la performance intrinsèque des bâtiments n’est pas lui-même actualisé tous les ans peut donc poser problème pour les propriétaires.  En effet, cet état de fait alimente la confusion déjà existante entre les différents dispositifs que les entreprises doivent respecter.
La solution la plus pertinente serait donc de laisser les entreprises libres d’actualiser leur DPE annuellement via un diagnostiqueur interne, comme c’est déjà le cas pour l’audit DDADUE (tout en conservant un diagnostic complet obligatoire réalisé par un diagnostiqueur externe tous les 10 ans), ce qui permettrait d’obtenir un DPE plus fiable, et qui constituerait un outil véritablement utile aux propriétaires dans le cadre du décret tertiaire.

  • Les sanctions appliquées : un DPE à faible valeur contraignante

La France prévoit une amende de 1500 euros pour tout propriétaire ne se soumettant pas à la réglementation en vigueur pour le DPE, 7500 euros pour le décret tertiaire. L’audit DDADUE, lui, comprend une sanction correspondant à 2% du chiffre d’affaire de l’entreprise. Le système de l’audit DDADUE semble être le plus intéressant, car il permet d’adapter les sanctions à la taille des entreprises : le DPE bénéficierait donc grandement d’une harmonisation en ce sens, qui lui permettrait de regagner une véritable valeur contraignante vis-à-vis des grandes entreprises.

  • Des dispositifs similaires, mais fonctionnant en circuits fermés

L’audit DDADUE ainsi que le DPE ont le même objectif : celui de déterminer la performance énergétique d’un bâtiment, et d’établir des recommandations pour améliorer cette dernière. Le contenu de l’audit devrait donc se fonder en grande partie sur le DPE, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. On observe donc une superposition de diagnostics qui fonctionnent en circuits fermés, et ne s’alimentent pas mutuellement, renforçant encore le poids administratif et financier de ces audits, qui gagneraient donc à être harmonisés.
Or, si l’on ne peut se fonder sur le DPE pour une étude énergétique, c’est en partie en raison du brouillard qui règne autour de ses méthodes de calcul, et ce n’est pas là une exception française.
 

Le DPE en Europe : des appropriations inégales et des faiblesses récurrentes

Le DPE est appliqué sur une base commune définie dans la directive européenne de 2002, mais celle-ci laisse toutefois une certaine marge de manœuvre aux Etats-membres pour s’approprier le dispositif. On peut ainsi observer des différences concernant les familles de bâtiments concernés, le contenu du DPE, sa durée de validité, ou encore ses méthodes de calcul. Or, au sein de ces disparités, on peut néanmoins observer que certains points sont source de difficultés dans l’écrasante majorité des pays européens. Parmi eux, on compte notamment les méthodes de calcul, les informations fournies aux propriétaires, ainsi que l’accessibilité des données.

  • La difficile mise en cohérence des méthodes de calcul

Le DPE peut être établi de deux manières : par mesure (en se basant sur les factures énergétiques fournies par le propriétaire, ce qui permet théoriquement une grande fiabilité), ou par calcul (en se basant sur une comparaison entre les consommations théoriques du bâtiment et celles d’un bâtiment de référence généré informatiquement).
La méthode par mesure pose un problème dans les cas où les factures manquent (par exemple dans le cas des bâtiments neufs) ou bien dans les cas où les propriétaires ne relèvent pas l’intégralité de leurs compteurs. La méthode par calcul, elle, est décriée dans la mesure où elle est rarement fidèle à la réalité des consommations énergétiques, ce qui limite son intérêt opérationnel.
La France, comme la majorité des pays d’Europe, utilise une combinaison des deux, ce qui porte souvent à confusion quant aux méthodes réelles utilisées et à leur fiabilité.
 

  • Le manque d’informations fournies aux propriétaires

Le cadre européen impose aux Etats-membres d’inclure des recommandations au sein de leur DPE. Toutefois, le cadre de ces recommandations est laissé libre aux Etats : en Suède, une liste prédéfinie cadre précisément les recommandations que les diagnostiqueurs doivent fournir. A l’inverse, au Royaume-Uni, les diagnostiqueurs sont libres de joindre les remarques de leur choix, ce qui conduit souvent à des DPE génériques avec peu d’intérêt opérationnel. En France également, les professionnels font souvent écho au manque d’intérêt opérationnel des DPE, notamment du point de vue des recommandations qui ne remplissent pas toujours leur rôle informatif.
De plus, les informations concernant les dispositifs d’accompagnement existants (certes peu nombreux dans le cas des bâtiments tertiaires) ne sont presque jamais jointes à ces diagnostics. Or, les subventions et diverses aides à la rénovation constituent bien souvent les premiers leviers permettant d’inciter les propriétaires à la rénovation énergétique. Le manque d’informations est donc aujourd’hui le premier problème limitant l’intérêt du DPE en France et dans de nombreux pays d’Europe.

  • Le libre-accès aux données : l’Europe est-elle prête pour une politique d’open data ?

Presque tous les pays ont établi une base de données nationale pour collecter les informations relatives au DPE. Certains pays ont même choisi d’aller plus loin, et ont publié la plupart des informations en libre-accès (comme le Danemark ou le Portugal), tandis que la plupart restreignent encore l’accès aux données en ne les fournissant qu’aux propriétaires concernés ou à certains organismes triés sur le volet.
Les politiques telles que celles menées au Danemark ou au Portugal permettent de faire sortir le DPE de sa dimension purement administrative et de lui donner une valeur pratique aux yeux des propriétaires, qui en comprennent plus facilement les tenants et les aboutissants sous cette forme et peuvent comparer plus facilement les DPE entre eux.

Ces pays demeurent des exceptions : la plupart des Etats-membres demeurent encore réticents à publier les données en libre-accès, pour différentes raisons (comme la protection des données personnelles ou la sécurité informatique). Toutefois, ces exemples permettent de montrer la voie aux politiques d’open data à venir, pour ouvrir l’accès à l’information aux niveaux national et international.
 

Conclusion : Quelles évolutions à venir ?

Si la France n’est pas réellement en retard sur ses voisins, elle ne montre pas l’exemple non plus. Globalement, la situation française est à peu près semblable à ce qu’elle est dans la plupart des autres Etats-membres. Cependant, la France ne joue pas encore un rôle de pionnier concernant les politiques innovantes sur le DPE : cela est notamment dû au fait qu’elle doive d’abord régler des problèmes de cohérence interne avant de pouvoir se pencher sur des projets plus ambitieux.
En effet, le manque d’harmonisation vis-à-vis des autres dispositifs réglementaires français a conduit au cours du temps à une superposition de réglementations qui devraient pouvoir se fonder sur le DPE pour gagner en efficacité et en fiabilité. Or, en l’état actuel, le DPE demeure encore trop bancal pour pouvoir constituer une base solide sur laquelle fonder les autres dispositifs relatifs à la performance énergétique des bâtiments.
La fiabilisation du DPE constitue donc aujourd’hui une étape nécessaire pour, à terme, pouvoir construire une politique énergétique cohérente permettant d’arborer un DPE tertiaire fiable.
 

Pour en savoir plus

  • European Council for an energy efficient economy 2011, A comparative analysis of the energy performance certificates schemes within the European Union: implementing options and policy recommendations
  • BPIE 2014, Energy performance certificates across the EU: a mapping of national approaches
  • BPIE, 2018, Future-proof buildings for all Europeans –a guide to implement the Energy Performance of Buildings Directive
  • BPIE, 2018, Current use of Energy performance certificates in 8 EU countries

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