L’économie circulaire et le génie urbain » était le thème retenu par l’Ecole des Ingénieurs de la Ville de Paris (EIVP) en partenariat avec l’ADEME pour sa 12e université d’été du 4 au 7 septembre 2018.
Elle fut clôturée par une conférence sur les approches internationales de l’économie circulaire. Jean-Claude Levy, historien, géographe et journaliste, est revenu sur l’expérience de l’économie circulaire sur l’île de Chongmin près de Shanghai. Amandine Sellier, responsable du Programme Régional d’Economie Circulaire de la Région Bruxelles capitale et Marcel Van Meesche, General Manager du bureau d’études 21 solutions, ont témoigné de la richesse des initiatives dans la région bruxelloise. Philippe Masset, chef des relations internationales à l’ADEME, a apporté un dernier témoignage.
Cette conférence a permis d’échanger sur les différentes conceptions de l’économie circulaire à l’international. Retrouvez également l’étude de l’OID Economie circulaire & Immobilier à ce lien.
L’économie circulaire en quête d’une définition internationale
Quel est le pays le plus « circulaire » au monde ? Bien que certains bons élèves se distinguent, établir un classement se révèle impossible : presque chaque pays a sa propre conception du terme. Par exemple, le Japon et l’Allemagne ont été précurseurs dans l’instauration de pratiques de valorisation des matières : le Japon a inscrit la hiérarchisation de traitement des déchets (3R : Réduire, Réutiliser, Recycler) dès 2000 tandis que l’Allemagne a adopté dès 1994 une loi relative à la gestion des déchets dans un « cycle fermé de substances ». Néanmoins, leur périmètre opérationnel se limite au champ des déchets. En comparaison, la Chine, qui a mis en place une politique nationale d’économie circulaire depuis 2008, a adopté une vision large du principe circulaire et l’applique aussi au foncier, à l’énergie et l’eau. Les Pays-Bas, souvent citée en exemple, a adopté dans sa politique une approche « chaîne de valeur » qui, en visant à limiter l’impact des produits le long de leur cycle de vie, prend aussi en compte les problématiques d’écoconception et de durée d’utilisation.
Avec la Feuille de route pour l’économie circulaire (FREC), la France se rapproche de la conception néerlandaise. Tout en ambitionnant d’améliorer la gestion des déchets (tri, réemploi, recyclage, valorisation), elle inclut des mesures encourageant l’écoconception, l’intégration de matières recyclées dans les nouveaux produits et la réparation. Retrouvez ici un article sur les mesures de la FREC applicables à l’immobilier.
La place des acteurs privés dans le développement du modèle s’affirme
En dépit de ces différences, le développement de l’économie circulaire connaît des dynamiques similaires dans les pays européens. Dans le secteur du bâtiment, l’implication progressive des acteurs privés y est notamment remarquable. Ils sont appelés à entrer en action de deux manières : en encourageant l’activité de prestataires intégrant des principes circulaires ou en expérimentant ces principes dans leur propre activité.
De la construction à l’entretien des bâtiments, le recours à des prestataires ayant intégré les problématiques circulaires est désormais possible. Les PME, en ligne avec les collectivités locales, ont en effet été les premières à expérimenter des buisines model considérant l’ensemble du cycle de vie de leur service et proposent des prestations abouties. La preuve avec deux entreprises belges présentées lors de la conférence : MCA, entreprise de collecte des déchets de bureaux, a développé en plus des outils de tri et travaillent à la valorisation des déchets récoltés (transformation des déchets PET en filaments 3D). L’entreprise Nnof propose aux entreprises déménageant l’aménagement des nouveaux espaces de travail en maximisant la réutilisation de l’ancien mobilier. Son action est complétée par les services de Nnof-care, qui monitore le nouvel espace de travail afin de prévoir ses évolutions et d’assurer des services d’entretien préventifs et correctifs.
L’émergence de nouveaux partenariats et outils de financement comme leviers de mobilisation
Les acteurs immobiliers peuvent être eux-mêmes moteurs d’innovation et développer des pratiques circulaires dans leurs domaines d’activités. Bien que l’investissement dans des projets d’économie circulaire soit encore perçu comme un pari risqué (retour sur investissement long, traçabilité de la chaîne de production difficile dans le cas du réemploi et du recyclage), de nouveaux outils émergent afin de solidariser les acteurs et d’encourager la mise en place de projets pilotes.
Le Green Deal, développé par les Pays-Bas depuis 2011, est un outil prometteur. Sous forme de partenariat multi-acteur, il engage à la fois l’Etat et les parties prenantes privées à s’engager réciproquement (mais sans obligations légales) pour un projet circulaire. Les parties prenantes sont soutenues par la puissance étatique et en mesures de multiplier les expérimentations. Elles communiquent ensuite les obstacles à leur mise en œuvre à l’acteur publique, qui œuvrera sur le plan réglementaire ou financier à la réduction des freins identifiés. Ce système a été repris en 2016 en France avec les Engagements pour la Croissance Verte (ECV) qui permettent de développer le recyclage dans certaines filières (plâtre, verre acrylique, granulats de matériaux inertes).
Le partenariat public-privé s’effectue tout autant à des échelons locaux, avec les appels à projets et appels d’offre des régions et villes mettant en place des programmes d’action pour l’économie circulaire. Le modèle circulaire se basant sur l’optimisation des ressources locales, ces collectivités sont soucieuses de développer des expérimentations in situ afin d’aboutir à des solutions spécialement adaptées à leur territoire. Les milieux de l’architecture et du design se sont eux aussi emparés de la question. Des associations centralisent et communiquent les bonnes pratiques de modularité, désassemblage et longévité du bâtiment (Bellastock en France) tandis que des cabinets d’architecture se concentrent sur l’élaboration de design circulaires pour la ville et le bâtiment de demain (Arup au Royaume-Uni, Lendager Architect au Danemark).
L’échange d’informations comme clé de développement
Un effort tout aussi important est investi dans la création de projets pilotes que dans la diffusion de leurs enseignements à l’international. Cette diffusion concerne notamment, pour la construction, le partage de passeports de matériaux. Ces passeports jouent un rôle primordial dans le développement du bâtiment circulaire : grâce à l’analyse détaillée qu’ils fournissent des matériaux, ils permettent d’anticiper leur impact environnemental le long de leur cycle de vie et de les orienter vers les filières de recyclage. Plus important encore, ces informations garantissent l’acceptabilité de leur recyclage ou de leur réemploi auprès des utilisateurs.
Cette diffusion est notamment encouragée par des programmes européens. Le projet BAMB (Building as Material Banks) teste actuellement des scénarios de bâtiments réversibles, d’approche en coût global et de nouveaux systèmes de contractualisation sur 6 chantiers pilotes en Europe. Il aboutira à la création de 300 passeports de matériaux.
Le développement de nouvelles technologies améliore le partage et le traçage de ces données. Présente en Europe et à l’international, la maquette numérique sous BIM centralise les données sur le bâtiment (dont les passeports de matériaux) et permet à l’ensemble des acteurs intervenant dans sa construction et sa gestion un égal accès à l’information. De ce fait, elle facilite les dynamiques de coopération et peut améliorer les taux de réemploi, recyclage et valorisation des matériaux.
Engagement du secteur privé, innovation et information : voici les 3 maîtres-mots du développement de l’économie circulaire à l’international. Les expérimentations suivant les principes de ce nouveau modèle se multiplient et beaucoup méritent d’être partagées. Nous vous proposons dans un prochain article d’en découvrir deux (accès à ce lien).