L’exercice de double matérialité format CSRD : quelles leçons pour une ETI immobilière ?

Entretien avec GA Smart Building

Personnes interviewées : Margaux Denoël, Elodie Le Breton et Emma Olivaud

Cet article a été rédigé par Juliette Daire et Armand Ritouet

GA Smart Building est une entreprise de vague 2, c’est-à-dire initialement tenue de publier son rapport de durabilité au format CSRD en 2026 sur ses données de 2025. L’entreprise a anticipé la préparation du rapport en réalisant son analyse de double matérialité et son analyse d’écart entre 2024 et 2025. Cet entretien revient sur un an de travail pour se préparer à la CSRD.

  1. Présentation de GA

Elodie Le Breton (ELB) : GA Smart Building est une ETI comptant 800 collaborateurs, spécialisée dans la promotion, la rénovation et la construction bas carbone, avec un chiffre d’affaires avoisinant les 300 millions d’euros. Notre expertise réside dans la construction hors-site : nous disposons d’usines où nous préfabriquons des éléments structuraux, des façades et des équipements de confort, qui sont ensuite transportés sur les chantiers. Cette approche offre plusieurs avantages : au-delà des délais et du niveau de qualité qu’elle nous permet d’atteindre, elle améliore les conditions de travail des ouvriers, réduit les émissions de gaz à effet de serre, renforce la sécurité, diminue les nuisances et limite les déplacements, contribuant ainsi à une moindre pollution urbaine…

2. Quel était le niveau de maturité de GA en termes de reporting ESG avant la CSRD ?

ELB : 60 % du capital du groupe est détenu par les collaborateurs mais le reste l’est par des fonds d’investissement qui exigent un reporting ESG. Cette demande est également formulée par nos banquiers et nos clients avant de nous accorder un prêt ou un projet. Depuis un an, des prêts verts avec des taux avantageux sont disponibles, et les banques suivent de près les données ESG. De plus, nous devons être certifiés ISO 9001 et ISO 14001 et répondre à l’évaluation EcoVadis, car la plupart des appels d’offres auxquels nous répondons, notamment ceux des grands donneurs d’ordre, requièrent ces normes pour nous confier des chantiers.

En plus de ces multiples évaluations ESG, nous étions déjà soumis à l’obligation d’émettre une Déclaration de Performance Extra Financière (DPEF) avant la CSRD. Actuellement, on nous demande de suivre environ 350 indicateurs. En outre, nous travaillons volontairement sur la Taxinomie depuis deux ans, avec 84 % de notre chiffre d’affaires aligné sur les activités construction et rénovation.

La CSRD nous est apparue à l’époque comme une opportunité de rationaliser toutes ces demandes de reporting extra-financiers et de faire valoir les bénéfices de notre modèle.

3. Quels moyens humains et financiers avez-vous du mobiliser pour cette mise en conformité ?

ELB : Nous avons engagé près de trois équivalents temps plein pour ce projet. L’accompagnement par un cabinet de conseil nous a coûté 13 000 euros, tandis qu’un outil de gestion automatisé des données ESG a représenté un investissement de 15 000 euros. De plus, nous avons suivi une formation de deux jours pour 2 000 euros. Ainsi, le coût total pour la première année de mise en conformité avec la CSRD s’élève à environ 50 000 euros. Ce montant aurait pu atteindre 130 000 euros si nous avions opté pour un audit du rapport de durabilité, qui avait été estimé à 85 000 euros. Finalement, à la suite de la directive Omnibus et au report de deux ans des obligations de reporting pour les sociétés de vague deux, GA publiera en 2025 une DPEF avec des éléments issus de la VSME de l’EFRAG [standard volontaire moins exigeant pour les entreprises non concernées par la publication d’un rapport de durabilité].

4. Pouvez-vous détailler votre parcours de mise en conformité (étapes, difficultés rencontrées)

ELB : L’analyse de double matérialité a été faite avec un cabinet de conseil dans un format dit « bootcamp », avec deux autres entreprises immobilières. L’exercice a été un peu laborieux au début car c’était la première fois, pour nous et pour le cabinet de conseil mais, dès que nous sommes tous rentrés dans le sujet, nous avons sans doute été aidés par nos différences. Cette étape a représenté environ un an de travail, avec beaucoup d’aller-retours en interne.

Margaux Denoël (MAD) : Le fait que tout soit coté en « brut » [c’est-à-dire sans prendre en compte ce qui a été mise en place par l’entreprise pour gérer les Impacts, Risques et Opportunités] a posé un problème. Ne pas prendre en compte la maturité de l’acteur par rapport à l’enjeu est difficile à justifier et beaucoup de nos collaborateurs en interne trouvaient les IRO un peu déconnectés de leur réalité opérationnelle. Cela a engendré une vraie problématique de légitimité de l’analyse en interne, en comparaison d’outils plus classiques comme les cartographies des risques par exemple.

Emma Olivaud (EMO) : L’erreur a été de ne pas intégrer les parties prenantes dès le début. Au départ nos IRO étaient trop théoriques et donc ne correspondaient pas forcément à la réalité de terrain. Il faudrait directement demander aux métiers quels sont les IRO qui les concernent.

ELB : Lors de l’analyse d’écart nous nous sommes rendu compte que beaucoup d’indicateurs quantitatifs étaient déjà récoltés, à l’inverse des données qualitatives, par exemple la manière de présenter les politiques. Pour répondre parfaitement aux exigences de la CSRD, il y a beaucoup de conformité réglementaire, ce qui nous est apparu un peu laborieux, très loin de la vision qu’on a de la RSE et de ce que ça doit apporter aux organisations.

Le risque lors de l’audit avec les CAC aurait été qu’ils réalisent un travail ligne à ligne de conformité, et non un travail d’amélioration lié à la performance. Le coût d’audit de la CSRD est de ce fait beaucoup plus important que celui de la DPEF.  Pour un OTI vérifier la DPEF était facturé environ 10 000 euros, alors qu’un CAC vert [commissaire aux comptes formé aux enjeux de durabilité] pour auditer le rapport CSRD est facturé plutôt autour de 80 000 euros. De nombreux cabinets d’audit demandent par ailleurs à être CAC financier en plus de CAC vert, ce qui a créé un rapport de force peu agréable.

5. Qu’est-ce l’exercice de reporting au format CSRD vous a apporté ?

ELB : Pour moi la vertu de l’exercice, c’est que ça permet aux opérationnels de prendre conscience des risques, des impacts et des opportunités ESG, à la fois au niveau de leur métier et du modèle de GA. L’exercice de double matérialité est intéressant parce que tout d’un coup, on est dans le concret de leur métier. Si on leur dit « S’il se passe ça, qu’est-ce que ça a comme impact sur ton activité ? Est-ce que tu vas perdre ou pas 20% de chiffre d’affaires ? Est-ce que ça va dégrader ton image ou au contraire, ça va l’améliorer ? », d’un coup ça n’est plus seulement un travail administratif et réglementaire. Dès qu’on rentre dans le pratique avec des opérationnels, l’exercice était hyper clair et intéressant à réaliser.

MAD : Ça nous a aussi permis de démocratiser un peu certains sujets qui, à la base, ne sont pas du tout pris en compte par certains métiers, comme la biodiversité.

ELB : Au niveau du CODIR l’exercice n’a pas trop changé le positionnement sur la RSE. Ils s’attendaient tous à ce que les risques soient plus travaillés que les impacts et les opportunités. Les risques méritent un travail spécifique. Finalement, traiter les impacts, les risques et les opportunités en même temps nivèle par le bas l’importance du risque. Donc pour le CODIR l’exercice a été un peu décevant, ce n’est pas baguette magique qui permet d’orienter la stratégie d’un groupe.

6. Un conseil pour celles et ceux qui redoutent l’exercice ?

ELB : Pour ceux qui redoutent [l’exercice], je pense qu’il faut y aller de manière très décomplexée, sans perdre de vue que le but du jeu, c’est de donner de la transparence, pas d’être le premier de la classe. Il ne faut pas être trop scolaire, avoir du recul, dans l’optique d’avoir une feuille de route claire.

Je pense qu’on a tout à gagner, en fait, à structurer tous de la même manière nos politiques RSE cela nous permet de nous comparer et ça donne plus de lisibilité à notre politique ESG. Là, au moins, c’est clair, il faut être performant sur le E, il faut être performant sur le S et sur le G, et sous chacune de ces grandes thématiques il y a des ESRS très précis. En fait, pour ceux qui sont un peu au début de leur politique RSE, c’est une bonne manière de la structurer simplement.

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