Le 26 février dernier, la Commission européenne a proposé un paquet législatif pour modifier les réglementations en vigueur encadrant le reporting extra-financier, appelé « Omnibus ». L’OID revient en détail dans cet article sur les modifications proposées, leur impact sur le secteur immobilier et nos préconisations dans ce contexte d’incertitude et de recul de standards ESG.
Cet article a été rédigé par Juliette Daire & Geoffroy Gourdain, et relu par Alexandre Van Ooteghem & Constance Magnus
Dans quel contexte arrive la proposition de directive Omnibus ?
Pour favoriser la croissance économique, la Commission européenne veut alléger les contraintes réglementaires pesant sur les entreprises. La question du coût du reporting est au cœur du débat public depuis la publication du rapport Draghi en septembre 2024. Cette volonté de simplification s’inscrit aussi dans un contexte international marqué par le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis, qui pousse l’Union Européenne à réagir face à la crainte d’un affaiblissement de sa compétitivité, dans le cadre d’un potentiel désengagement généralisé des enjeux environnementaux.
Ainsi la Commission s’engage à réduire d’au moins 25 % les charges administratives pour les entreprises, en allant jusqu’à 35 % pour les PME d’ici la fin du mandat de sa Présidente. Dans cette optique, elle a présenté le 26 février 2025 un premier paquet de mesures « Omnibus », un ensemble de réformes législatives visant à modifier plusieurs directives et règlements pour « éliminer les règles inutiles ou excessives » (extrait de la FAQ Omnibus – Commission européenne), et ainsi créer un environnement plus favorable au développement économique.
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Quels sont les textes européens affectés par les propositions législatives Omnibus ?
Les propositions législatives Omnibus affectent la Directive CSRD (rapport de durabilité), la Directive CS3D (devoir de vigilance pour les grandes entreprises), la Taxinomie européenne, le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) et le programme InvestEU.
Si la Taxinomie européenne est modifiée, d’autres textes requérant la publication d’indicateurs taxinomiques seront indirectement impactés, tel que le Règlement SFDR.
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Quelles sont les modifications proposées pour la Directive CSRD ?
Les modifications proposées pourraient considérablement alléger le contenu des rapports de durabilité, réduire la portée du devoir de vigilance et simplifier le calcul des indicateurs taxinomiques. Toutes ces propositions ne seront pas toutes forcément adoptées, et n’entreront pas en vigueur sur le même calendrier.
Pour la Directive CSRD, la première proposition qui pourrait être adoptée dans une procédure accélérée est le report de deux ans de la publication des rapports de durabilité pour les sociétés des vagues 2 et 3. Pour rappel, cela comprend les sociétés suivantes :
- Vague 2 : Toutes sociétés cotées sur un marché règlementé européen qui satisfont au moins deux des trois critères suivants :
- Plus de 250 salariésPlus de 50 millions € CA (pour les groupes, 60M€)
- Plus de 25 millions € de total de bilan (pour les groupes, 30M€)
- Vague 3 :
- PME cotées sur marché règlementé européen, sauf les microentreprises
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Les autres propositions de modification de la Directive CSRD sont les suivantes :
- Abaissement des seuils des entreprises concernées : seules les grandes entreprises de plus de 1 000 employés (et remplissant certains critères financiers) pourraient être soumises à la Directive CSRD. Si cette proposition est adoptée, cela pourrait réduire d’environ 80 % le nombre d’entreprises concernées.
- Révision des normes européennes de reporting en matière de durabilité (les standards ESRS) en réduisant le nombre de données demandées, clarifiant les règles et en assurant une meilleure cohérence avec les autres réglementations. Pour l’instant les propositions détaillées de révision des standards ESRS n’ont pas été publiées, ce qui laisse les entreprises dans l’incertitude.
- Suppression des standards sectoriels, qui étaient attendus pour 2026.
- Réduction du nombre de données vérifiées lors de l’audit du rapport de durabilité en restant sur une assurance limitée à la place d’uneassurance raisonnable.
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Quelle attitude à adopter pour les sociétés qui pourraient ne plus être soumises à la CSRD ?
Tant que la réglementation n’est pas officiellement adoptée, aucune exonération n’est en vigueur. Il conviendrait de rester prudent face aux multiples effets d’annonces susceptibles d’induire de fausses orientations. Par ailleurs, les différentes propositions ne sont pas susceptibles d’être adoptées selon le même calendrier. Par exemple, le report de deux ans pour les entreprises des deuxième et troisième vagues s’il est adopté, le serait avant la réduction du périmètre des entreprises soumises à la CSRD.
Tant que les modifications ne sont pas publiées au Journal Officiel européen (et transcrite dans le droit national pour les Directives), les sociétés assujetties doivent poursuivre leurs efforts pour répondre aux exigences réglementaires présentes. Le travail autour de la double matérialité n’est pas un simple exercice de conformité mais une vraie réflexion stratégique permettant d’adapter son modèle d’affaire aux enjeux environnementaux et sociaux. Concernant le reporting, il est probable que les indications MDR (Minimum Disclosure Requirement) varient assez peu.
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Dans l’hypothèse d’une réduction des sociétés assujetties, quelles seraient leurs alternatives ?
La CSRD a été beaucoup décriée comme imposant des exigences disproportionnées aux PME. Toutefois, et ce avant Omnibus, deux ensembles de normes spécifiques ont été rédigés pour les PME :
- Les normes ESRS LSME (Listed Small and Medium-sized Enterprises, soitPME cotées) de l’EFRAG pour les PME cotées soumises à la CSRD
- Les normes ESRS VSME (Volontary Small and Medium-sized Enterprises) pour les PME non soumises à la CSRD, qui auraient choisi volontairement de publier un rapport de durabilité.
Ce deuxième set de normes (VSME) pourrait devenir le texte de référence pour toutes les entreprises hors du scope CSRD. L’exercice de double matérialité est allégé (les entreprises doivent seulement considérer leurs impacts et risques et non leurs opportunités), et les indicateurs sont réduits au minimum.
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Si les standards sectoriels sont supprimés, comment aboutir à une harmonisation des reportings, notamment pour les acteurs immobiliers ?
La Directive CSRD a pour objectif premier d’assurer un certain niveau de transparence extra-financière en harmonisant les rapports de durabilité (mêmes enjeux, mêmes indicateurs, même structure de reporting). Si les standards sectoriels sont supprimés, cela risque de compromettre cet objectif.
Leur disparition peut toutefois être perçue comme un appel à l’initiative privée et aux accords de place pour assurer l’harmonisation, nécessaire pour permettre la comparabilité des performances extra-financières. C’est dans cette perspective que l’OID analyse les pratiques de place et publiera fin mai 2025 un benchmark des premiers reportings CSRD des acteurs immobiliers.
Ce besoin de visibilité et d’harmonisation était d’ailleurs un besoin clairement identifié dans le Baromètre de l’Immobilier Responsable de 2024. Selon les sociétés immobilières cotées interrogées, 88 % d’entre elles appelaient de leurs vœux une harmonisation des standards de reporting, et 82 % identifiaient un besoin autour d’une harmonisation des référentiels de place.

Figure n°1 : Besoins exprimés pour faciliter l’accès aux données ESG – Sociétés Immobilières Cotées, Baromètre de l’Immobilier Responsable 2024.
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Comment la Taxinomie est-elle susceptible d’évoluer ?
La Taxinomie européenne, référentiel européen de durabilité pour les activités économiques, risque d’évoluer et d’être simplifiée. De nombreux changements sont attendus, notamment de rendre la publication d’indicateurs taxinomiques volontaire pour les acteurs soumis à la CSRD. Les entreprises ne remplissant que partiellement les critères de la Taxinomie pourraient choisir de déclarer volontairement un alignement partiel. La Commission propose de simplifier la Taxinomie en réduisant de 70 % les critères techniques (notamment les critères DNSH). Une révision des indicateurs clés des institutions financières, en particulier le ratio d’actifs verts (GAR) des banques, est également annoncée.
Enfin, la Commission a lancé une consultation pour mettre à jour les templates de présentation des indicateurs taxinomiques et pour modifier le DNSH Pollution en proposant deux options alternatives. L’OID répond à cette consultation avec ses membres.
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Les rapports de durabilité CSRD, un format de reporting mort-né ?
Le reporting extra-financier reste clé pour anticiper et atténuer les impacts négatifs de l’entreprise et ses risques, notamment les risques climatiques physiques. Cependant, les risques environnementaux et sociaux actuels ne disparaîtront pas sous l’effet de la réforme. Si la vigilance sur ce point ne fait plus partie des attentes réglementaires, elle pourrait devenir un impératif pour d’autres parties prenantes. À titre d’exemple, France Assureurs a placé dans sa cartographie annuelle des risques le risque climatique en première place et a intégré pour la première fois le risque d’inassurabilité. Autrement dit, si l’exercice formel ne relève plus de la conformité réglementaire pour certains acteurs, la vigilance demeure indispensable.
Par ailleurs, la potentielle disparition de cet impératif de reporting et le recul des sujets environnementaux sur la scène internationale pourraient faire émerger des avantages compétitifs pour les organisations qui maintiennent une certaine forme d’ambition en la matière. Avoir un modèle d’affaires résilient, préparé aux risques climatiques, environnementaux et sociaux, ainsi que prouver une démarche de réduction des impacts négatifs, enverrait un signal fort aux parties prenantes internes et externes (salariés, investisseurs, clients, entreprises de la chaîne de valeur).
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Quelle place pour le secteur immobilier dans ce contexte ?
Le secteur immobilier est relativement bien positionné pour profiter de ce type d’avantage comparatif. En effet, s’il a souvent été rappelé que celui-ci porte une lourde responsabilité au regard des enjeux d’atténuation du changement climatique ou de biodiversité, il est effectivement en première ligne face aux problématiques d’adaptation au changement climatique. Le secteur immobilier fait partie de ceux qui ont dû se confronter aux sujets ESG relativement tôt. A titre d’exemple, dans le cadre du Baromètre de l’Immobilier Responsable de 2024, 88% des sociétés immobilières cotées interrogées intégraient les risques physiques dans leur suivi et leurs analyses, preuve d’une forme de maturité sur ces enjeux.

Figure n°2 : Principaux risques ESG analysés et suivis pour les investissements – Sociétés Immobilières Cotées, Baromètre de l’Immobilier Responsable 2024.
Les éléments transparaissant dans le graphique ci-dessus mettent également en évidence les efforts qui restent à produire. Si in fine, les réglementations en matière de reporting ne constituent plus un cadre suffisamment structurant, celles-ci pourraient être désormais menées à l’échelle sectorielle, par les acteurs concernés, dans une dynamique d’intelligence collective.
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Quel est le processus législatif qui va suivre et quelles sont les prochaines échéances ?
La proposition de Directive doit désormais être discutée en trilogue – négociation interinstitutionnelle informelle qui réunit des représentants du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne et de la Commission européenne.
La version issue de ces négociations devra ensuite être adoptée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union Européenne. Elle sera ensuite transposée dans le droit national comme le statut de Directive l’exige.
S’il est possible que les mesures relatives au changement de calendrier – à savoir le report de deux ans de la publication des rapports de durabilité pour les sociétés des vagues 2 et 3 dans le cadre la CSRD – connaissent une procédure accélérée, le reste de la réforme devrait passer par le processus classique dont le chemin législatif reste conséquent.