« Il y a une forte adhérence entre égalité et développement durable : ce sont les mêmes piliers et c’est là-dessus qu’on peut construire une ville durable »
Le mardi 4 mai de 9h à 12h s’est tenue une e-conférence organisée par l’Observatoire de l’Immobilier Durable en partenariat avec le Plan Bâtiment Durable, afin de réfléchir à la question du genre dans la ville durable.
S’accorder le temps de la réflexion
Sabine Brunel, responsable programme Bâtiment Décarboné et relations partenaires à l’OID et Adrien Sanchez, chef du service ingénierie économique chez Bouygues Bâtiment Île-de-France et vice-président de l’OID ont co-animé cette matinée de réflexion. Tous deux ont donné le ton de la session en exhortant les participants à s’accorder du temps de réflexion sur ce sujet, afin d’embrasser la complexité du réel et de mettre entre parenthèses – pour un temps – la recherche de solutions sur ce sujet qui deviendra primordial dans les années à venir.
Comment rendre la question visible ?
La Grande intervenante invitée de cette e-conférence était Chris Blache, anthropologue urbaine, consultante en socio-ethnographie et co-fondatrice de Genre et Ville, une association qui a pour objectif de rendre les territoires plus inclusifs au travers de divers niveaux de gouvernance et d’actions. Chris Blache a introduit le sujet en expliquant que les études de terrain, dont des études sensibles au genre, permettent de pointer du doigt ce qui dysfonctionne. Pour elle, « L’origine de ces dysfonctions est d’abord historique mais vient aussi du fait que la fabrique de la ville reste encore un milieu très masculin ». Nous pouvons observer cela au travers de l’exemple des terrains de sports, majoritairement occupés par des hommes.
Chris Blache a ensuite défini le genre comme « une construction sociale qui induit une inégalité via une hiérarchie des catégories de population » et précisé qu’il ne se réduisait pas à l’archétype de la femme (fragile) et de l’homme (viril). Elle a ensuite développé, de manière plus concrète, comment prendre en compte le genre dans un projet d’urbanisme. « Il faut raisonner de manière holistique : étudier les espaces, interroger les types d’aménagement et donner la parole aux femmes afin de les visibiliser et d’imaginer un espace adapté à tous les usages ».
Pour démontrer l’importance de penser un espace polyvalent et évolutif afin de créer un espace mixte, Chris Blache a donné l’exemple de la ville de Malmö, en Suède. La ville, qui souhaitait créer un espace pour les jeunes en réhabilitant un parking, a finalement mandaté une architecte, qui a demandé leurs avis à un groupe de jeunes filles habitantes du quartier. A la place du terrain de sport initialement prévu, une sonorisation pour des concerts, des éléments de parcours et des paniers de basket ont été aménagés, le tout étant géré par une association de quartier. « Les piliers du genre coïncident avec ceux du développement durable et ces deux combats ont donc vocation à progresser ensemble pour faire émerger une ville plus inclusive et plus durable » a ainsi conclu Chris Blache.
Échanges et débats sur la prise en compte de la question du genre
La pluralité et la complémentarité des intervenants ont permis d’approfondir ces échanges dans la Table Ronde.
« Ces problématiques ne datent pas d’hier » signale Stéphanie Dadour, enseignante chercheuse et co-fondatrice de l’agence d’architecture Dadour de Pous. Déjà aux XVIIIème et XIXème siècles, des femmes qui revendiquaient la reconnaissance économique des tâches domestiques ont imaginé des maisons sans cuisine permettant ainsi d’en faire un espace collectif (quasi-public) et de déployer le concept d’économie domestique coopérative. « En demandant l’émancipation des femmes par le biais de l’organisation spatiale, on transforme une question privée en question politique ».
Chris Blache et Stéphanie Dadour, ont abordé la notion d’intersectionnalité : la question du genre devient ainsi une porte d’entrée pour s’intéresser à d’autres inégalités (selon l’âge, la race ou la santé par exemple). Sabine Desnault, directrice R&D, Innovation et RSE chez Gecina et Présidente de l’OID, a commencé par rappeler que la foncière promeut l’inclusion notamment au travers d’une parité respectée jusqu’au plus haut niveau de l’entreprise, avant d’évoquer le principe de conception universelle : une conception adaptée à des besoins spécifiques (comme des interrupteurs contrastés pour les malvoyants) peut ainsi s’avérer utile à tous : « Si on veut transformer, il faut avoir le souci de l’inclusion de l’ensemble des urbains ».
Philippe Huthwohl, directeur général adjoint urbanisme-Immobilier-travaux à la mairie de Lyon, est revenu sur l’initiative de la ville de Lyon de mettre en place un budget sensible au genre. En effet, un travail de compréhension est en cours pour qualifier si les lignes budgétaires de la ville sont neutres, favorables ou défavorables au regard du genre. Stéphanie Dadour a mis en perspective le fait que le mouvement #Metoo ait permis de délier les langues et d’engager des prises de conscience auprès des étudiants, du corps professoral et de l’administration. Tous deux ont mis l’accent sur le fait que la clé dans la construction d’une ville durable et inclusive était de se poser des questions : qui a le pouvoir et pourquoi, qui est ignoré ou mis de côté et pourquoi, qui est représenté et pourquoi ? Si ces questions doivent être systématisées, les solutions doivent quant à elles être adaptées aux territoires et aux besoins de ses habitants. De quoi libérer la créativité des acteurs sur la façon d’imaginer une ville durable et inclusive !
Cette Table Ronde s’est conclue sur l’impact de la Covid-19 sur les usages. L’essor des pistes cyclables sur lesquelles les femmes se sentent plus en sécurité à vélo, ou la pratique du télétravail qui pèse encore sur la charge mentale des femmes ont notamment été mentionnés. Tous ont convenu que l’aménagement du territoire au regard du genre ne pourrait se faire sans une forte volonté politique et nécessitait une évolution des profils des décideurs.
Évolution du quartier de Droixhe, un miroir troublant d’interrogations actuelles
Enfin, Justine Gloesener, architecte-urbaniste et doctorante, a présenté l’avancée de ses recherches sur la place des femmes dans les grands ensembles de logements sociaux du quartier de Droixhe, à Liège, en Belgique. L’analyse de la conception initiale de ces bâtiments ainsi que du centre médico-familial dédié aux malades atteints de poliomyélite interroge les modifications de l’habitation liées aux épidémies et met en lumière la vision du rôle des femmes, en tant que ménagères ou en charge du « care ». « La pandémie a eu un impact fondamental sur l’égalité femmes-hommes, tant sur le lieu de travail qu’à la maison, faisant reculer les années de progrès », annonce Saadia Zahidi, membre du comité exécutif du Forum économique mondial, citée dans un communiqué. Ces tendances, accentuées par la pandémie, restent à déconstruire aujourd’hui !
Retrouvez le support de la conférence sur Taloen et la retranscription vidéo sur notre chaîne YouTube.