Si l’importance de l’atténuation du changement climatique est désormais reconnue par les acteurs immobiliers, l’adaptation à un climat changeant l’est encore insuffisamment. Bien que les travaux de recherche sur les conséquences du changement climatique sur le secteur immobilier se multiplient, la conscience qu’une adaptation des différents acteurs publics et privés est nécessaire et même rentable est encore assez limitée dans le monde. Par ailleurs, la lenteur de l’évolution des cadres réglementaires et le manque de connaissances sur l’évolution précise que connaîtront certains risques dans les décennies à venir freinent encore la volonté d’action de beaucoup d’acteurs. Pourtant, il est d’ores et déjà établi que les stratégies d’adaptation au changement climatique, si elles ont certes un coût non-négligeable, se révèleront rentables en termes de coûts évités dans les années à venir. Dans l’optique d’établir un état des lieux des stratégies d’adaptation chez les différents acteurs de l’immobilier, L’OID a mené une étude et lancé un sondage en ligne (encore ouvert aux contributions à ce lien), dont les conclusions provisoires sont détaillées dans cet article. Ainsi, le secteur immobilier est-il prêt à assumer les conséquences d’un scénario +2°C voire +4°C ?
Pourquoi parler d’adaptation au changement climatique dans l’immobilier ?
Entre 1980 et 2013, le nombre d’événements météorologiques extrêmes a augmenté de plus de 250%, et cette tendance va se renforcer dans les années à venir. Or, parmi les 100 villes dont la croissance est la plus rapide au monde, 84 sont extrêmement exposées au changement climatique. Ainsi, il est nécessaire non seulement d’adapter les bâtiments et les usages qui en sont faits pour limiter l’impact des différents aléas (inondations, sécheresses, tempêtes, vagues de chaleur, etc.) sur la qualité de vie des occupants, en parallèle de la réduction des émissions de gaz à effet de serre des bâtiments tout au long de leur durée de vie. Une chose est sûre : les impacts du changement climatique, déjà ressentis, continueront de croître, que nous réussissions ou non à maintenir une trajectoire de 2° C. L’adaptation est donc un enjeu nécessaire, reconnu par l’Accord de Paris au même niveau que la lutte contre le changement climatique. L’impératif de l’adaptation concerne tous les acteurs de la chaîne immobilière, de la production à la rénovation. Selon le type d’acteur, les enjeux ainsi que les moyens d’action diffèrent, mais ces différents acteurs ont tout intérêt à travailler de concert à l’identification et à la quantification des risques pour favoriser la complémentarité des compétences et le partage des connaissances. Par exemple, les autorités publiques locales, qui établissement des réglementations relatives à l’urbanisme et aux règles de construction ont intérêt à coopérer avec les compagnies d’assurance, qui disposent d’une expertise en matière d’évaluation, de quantification, et de cartographie des risques. Le déploiement de ces stratégies d’adaptation a un coût financier élevé, ce qui constitue encore aujourd’hui un frein à l’adaptation de beaucoup d’acteurs immobiliers : selon l’UNEPFI, le coût global de l’adaptation varierait entre 140 et 300 mds USD par an d’ici 2030 et entre 280 et 500 mds USD par an d’ici 2050 (UNEP 2016 cité dans Global ABC 2018). Or, le coût de la non-adaptation est bien plus élevé : à titre d’exemple, d’ici 2070, plus de 150 millions de personnes et 35 000 milliards de dollars d’actifs immobiliers situés dans les plus grandes villes portuaires du monde risquent de faire face à un risque d’inondation accru (Nicholls, 2008, cité dans Global ABC 2018). Selon l’UNISDR (2015), de nombreux pays vulnérables ne disposent pas des ressources budgétaires pour faire face à une perte liée à une catastrophe arrivant en moyenne un an sur 100 (grave mais peu fréquente). De plus, investir dans l’amélioration de l’adaptation des bâtiments aura des avantages conjoints : réduction des dommages dus aux conditions météorologiques, réduction des dépenses de services publics, meilleure expérience des locataires, réduction des problèmes de santé et stabilité des dépenses d’exploitation (Heitman and ULI 2019). À long terme, les avantages incluent même la possibilité d’attirer davantage de capitaux privés et d’investissements institutionnels, à mesure que l’organisation démontre ses résultats dans la lutte contre le changement climatique. L’OID a donc cherché à identifier les différents types d’acteurs concernés par les enjeux d’adaptation des bâtiments au changement climatique à l’échelle internationale, et a dégagé 8 types d’acteurs : les gouvernements, les autorités locales, les investisseurs & gestionnaires d’actifs, les promoteurs immobiliers, les assureurs & réassureurs, les architectes & entreprises d’ingénierie, les entreprises de matériaux de construction, et les gestionnaires immobiliers. A la suite d’un sondage (ouvert à contribution à ce lien), nous avons ainsi pu établir un état des lieux des stratégies d’adaptations existantes parmi ces différents acteurs.
L’état actuel des stratégies d’adaptation dans l’immobilier
Le premier enseignement ce sondage est que presqu’aucune stratégie d’adaptation n’avait été formulée avant 2018. Cet état de fait met en lumière la récente prise de conscience vis-à-vis des enjeux d’adaptation pour la plupart des acteurs. D’une manière générale, un tiers des acteurs sondés ont une stratégie d’adaptation. Cela devrait évoluer rapidement, puisque la moitié des sondés ont prévu d’en définir une prochainement. Les stratégies d’adaptation actuelles pointent en général vers l’horizon 2030, se calant ainsi sur les Objectifs du développement durable (ODD) lancés par les Nations-Unies en 2015. Parmi les freins les plus couramment évoqués, on retrouve 3 éléments récurrents :
- Le manque de financements disponibles: comme évoqué plus haut, l’adaptation entraîne des coûts immédiats non-négligeables qui ne sont pas toujours à la portée de tous les acteurs ;
- Le manque de consensus entre les différentes parties prenantes sur la question climatique : le déploiement d’une stratégie d’adaptation nécessite que les parties prenantes soient d’accord sur les risques à considérer en priorité, ainsi que sur les moyens à déployer pour s’y adapter. L’absence de consensus sur la question peut provoquer une paralysie et limiter le déploiement de ces politiques d’adaptation ;
- Le manque de connaissances sur les risques et les priorités à définir : au-delà du manque de consensus, ce qui freine encore le déploiement de stratégies d’adaptation et limite l’efficacité présumée de ces stratégies est le manque de connaissances précises sur certains risques, et donc sur les stratégies à adopter. Si certains acteurs se font pour cela accompagner par des cabinets de conseil ou mettent en place des bureaux d’étude dédiés à la question, cela n’est pas forcément à l’ordre du jour pour l’ensemble des acteurs qui décident parfois d’attendre des études précises sur la question avant de se lancer.
Parmi les différents types d’acteurs, les plus conscients de l’enjeu et les plus avancés semblent être les autorités locales (notamment les villes), qui ont depuis plusieurs années compris l’intérêt du déploiement de politiques d’adaptation à l’échelle urbaine, et de qui dépendent des leviers essentiels pour motiver les autres acteurs à suivre le mouvement, comme les aides financières et l’adaptation du cadre réglementaire. Les autorités locales sont à même d’améliorer la compréhension de la vulnérabilité au climat et de l’adaptation dans les zones urbaines, en particulier là où les niveaux de pauvreté et les taux de croissance démographique sont les plus élevés. Pour les acteurs économiques, 3 leviers principaux ont été identifiés pour susciter des stratégies d’adaptation au changement climatique :
- Le cadre réglementaire : qu’il s’agisse de la mise en place de contraintes (comme les plans locaux d’urbanisme) ou d’incitations (comme les aides à la rénovation énergétique), le cadre réglementaire est le premier levier incitant les acteurs à s’adapter. Toutefois, pour que les leviers fonctionnent, il est nécessaire que les normes aient une véritable valeur contraignante, ce qui n’est pas le cas dans beaucoup de pays (par exemple concernant les constructions informelles en zone inondable dans les pays en développement) ;
- La gestion des risques : lorsque les risques climatiques (par exemple liée à la hausse des températures) sont reconnus dans les stratégies de gestion des risques à l’échelle de l’organisation, alors les stratégies d’adaptation se développent souvent intuitivement ;
- Les attentes des porteurs de projet en matière environnementale : ce levier est aujourd’hui très présent au niveau des commandes publiques, au sein desquelles les critères environnementaux sont de plus en plus présents et contraignent les acteurs économiques à respecter des normes notamment en termes d’adaptation aux risques climatiques présents et à venir. Néanmoins, ces critères sont de plus en plus prégnants également du côté des investisseurs et porteurs de projets privés, chez qui la conscience des coûts potentiels liés à la non-adaptation est de plus en plus répandue.
Enfin, le sondage a permis de mettre en lumière les deux risques présents quasi-systématiquement au sein des stratégies d’adaptation au changement climatique chez les acteurs immobiliers à l’échelle mondiale :
- Les inondations : avec la hausse du niveau des mers, l’augmentation des précipitations et les risques de tempête accrus, les inondations représentent un enjeu commun à l’ensemble des régions du monde, et constituent des coûts potentiels extrêmement élevés et mal connus (à Paris, on estime qu’une crue du niveau de celle de 1910 causerait environ 17 mds € de pertes directes, et 20 à 40 mds € de pertes économiques). Pour les acteurs immobiliers, les solutions d’adaptation sont multiples : Favoriser la revégétation des sols et des toits pour améliorer la rétention d’eau ; Installer des pompes à eau ; Mettre en place des barrières imperméables mobiles ; Elever les installations électriques.
- Les vagues de chaleur : avec l’augmentation progressive des températures, et même si l’on réussit à maintenir une trajectoire de 2°C, les épisodes de fortes chaleurs et de sécheresse vont inévitablement se multiplier. Les vagues de chaleur impliquent des risques non seulement pour le confort de vie des habitants, mais aussi au niveau de la structure du bâtiment, provoquant un vieillissement prématuré des matériaux (notamment le béton). Pour limiter l’impact des vagues de chaleur plusieurs possibilités existent selon les régions : Préférer les façades de couleur claire, pour limiter l’absorption de chaleur ; Favoriser la revégétation des sols, pour maximiser les surfaces ombragées et ainsi limiter la hausse des températures ; Dans les pays du Sud, mettre en avant les avantages de l’architecture vernaculaire par rapport à l’architecture des pays du Nord, souvent perçue comme une marque d’élévation sociale, mais de fait souvent inadaptée aux conditions climatiques locales ; Permettre la ventilation naturelle des bâtiments (notamment la nuit).
Pour conclure…
Si l’adaptation au changement climatique est encore aujourd’hui un sujet émergent, les acteurs immobiliers reconnaissent de plus en plus les risques climatiques comme des éléments structurants de leur politique de gestion des risques. La prise de conscience que l’adaptation des bâtiments est un investissement rentable à moyen et long terme devrait ainsi motiver les acteurs à développer des plans d’action plus précis, et des stratégies officielles. Si d’aucun pensent que le marché va s’auto-réguler sur la question de l’adaptation, il n’en reste pas moins que l’évolution des cadres réglementaires nationaux et internationaux est une étape nécessaire pour promouvoir l’adaptation au changement climatique et orienter l’ensemble des acteurs vers une évolution durable. Le sondage en ligne lancé par l’OID est toujours ouvert aux contributions à ce lien. Chaque nouveau retour nous permettra d’affiner les études à venir sur l’état des stratégies d’adaptation des acteurs immobiliers à l’échelle internationale.