Risques physiques, de transition et de responsabilité : une clé pour comprendre les menaces sur les marchés financiers ?

Le secteur de l’immobilier vit aujourd’hui des bouleversements conséquents, dans un contexte nouveau du point de vue environnemental, mais aussi réglementaire, économique et social. Ces phénomènes vont fortement impacter les acteurs de l’immobilier dans leur stratégie financière. On parle alors de risques extra-financiers. Ceux-ci se classent en trois catégories : le risque physique, le risque de transition et le risque de responsabilité. Comment définir ces risques ? Comment les appliquer au contexte actuel ? Et comment réagissent les acteurs de l’immobilier face à ces risques ?

 

La tragédie des horizons : quand les risques extra-financiers menacent la stabilité financière

La règlementation extra-financière est en pleine évolution : elle se durcit de plus en plus pour inciter à la transition écologique que nous vivons. Le terme de risque extra-financier se définit comme étant l’impact du changement climatique sur les normes extra-financières. Les normes extra-financières concernent les critères de performance qui vont au-delà des critères purement financiers comme la rentabilité. Il s’agit donc de critères de performance environnementaux, sociaux ou de gouvernance.

Le risque physique est le plus connu et compréhensible car il résulte directement des effets du changement climatique (augmentation en fréquence et intensité des vagues de chaleur, des inondations, des sécheresses, des submersions marines, des tempêtes et vents violent et autres phénomènes extrêmes). Avec l’augmentation des catastrophes naturelles, le risque physique pose de plus en plus problème car il se répercute sur les coûts liés à la reconstruction d’un bien endommagé par les aléas climatiques. Les entreprises qui sont exposées et vulnérables aux risques climatiques devront faire face à des coûts d’assurance plus élevés et à une augmentation des coûts d’exploitation et de maintenance. Sur le long terme, les répercutions peuvent être plus importantes : endommagement ou réduction de l’efficacité des actifs physiques et/ou des infrastructures ; interruption des chaines d’approvisionnement en amont et sur les réseaux de distribution en aval ; impacts sur la santé et la productivité des travailleurs ; etc. Ces changements climatiques entrainent déjà des dépenses d’exploitation et d’investissement supplémentaires sur les chaines de valeur des entreprises ainsi que sur les revenus. Par exemple, L’Australie est un pays confronté à de nombreux dangers liés au changement climatique, notamment des phénomènes météorologiques extrêmes s’étendant des vagues de chaleur et des sécheresses aux incendies de forêt, aux inondations et à l’élévation du niveau de la mer. Un rapport publié en 2019 par le Climate Council of Australia Ltd a montré que si les émissions se poursuivent au même rythme, le marché immobilier pourrait être confronté à une perte de 571 milliards USD de valeur d’ici 2030, 611 milliards USD d’ici 2050 et 770 milliards USD d’ici la fin du siècle.

Le risque physique n’est pas la seule conséquence du changement climatique. En effet, le risque de transition se place également au cœur du débat sur la diminution des gaz à effet de serre vers économie plus « neutre ». Le terme risque de transition se réfère aux « impacts financiers qui résultent des effets de la mise en place d’un modèle économique bas-carbone sur les acteurs économiques » (source : I4CE). Dans le cadre de la limitation des émissions de gaz à effet de serre, une trajectoire de réduction impactante est prévue en France afin d’entrainer une restructuration des activités : la Stratégie Nationale Bas Carbone. La SNBC permet de diriger les entreprises françaises vers une stratégie d’atténuation du changement climatique de manière concrète et concise pour mettre en pratique les accords de Paris. Cette stratégie décline un budget carbone pour chaque secteur d’activité et notamment dans le secteur du bâtiment, qui reste un secteur à fort taux d’émission GES et s’inscrit comme étant un des principaux postes de dépassement de budget carbone. Pour l’immobilier, le Dispositif éco-énergie tertiaire (DEET), la RE2020, les impacts de la loi Climat Résilience, sont autant de dispositifs réglementaires qui imposent aux entreprises de lourds investissements, susceptibles de faire peser un risque sur la stabilité financière de la société : le risque de transition. Anticiper la réglementation et s’engager massivement dans la transition écologique, c’est réduire d’autant ce risque. Mais il ne s’agit pas seulement d’investir pour réduire les risques, il s’agit également de valoriser les actifs existants ou futurs et de créer des opportunités. En effet, avec l’arrivée de nouvelles lois comme la Loi climat et résilience qui instaure une réforme des Diagnostics de Performance Energétique (DPE), les actifs immobiliers performants seront à l’avenir valorisés sur les marchés financiers.

 

Le risque de responsabilité, enfin, concerne tous les impacts financiers « résultant d’éventuelles poursuites en justice pour avoir contribué au changement climatique ou pour ne pas avois suffisamment pris en compte les risques climatiques » (Source : I4CE). Au-delà des enjeux climatiques, la notion de risque de responsabilité peut être généralisée aux autres thématiques environnementales tel que l’effondrement de la biodiversité. L’attention croissante de la société civile se traduit entre autres par une multiplication des recours en justice, afin de pousser les organisations à se responsabiliser face aux enjeux environnementaux. C’est notamment le cas de l’Affaire du siècle, qui est une campagne de justice lancée en 2018 à l’occasion d’un premier recours à l’encontre de l’Etat français pour inaction face au changement climatique. Pour des entreprises privées, cela peut également se traduire par une hausse du nombre de contentieux, représentant un risque financier direct pour une entreprise, mais aussi un risque réputationnel fort.

 

Le risque de responsabilité : un enjeu complexe pour les acteurs de l’immobilier

Le risque de responsabilité soulève des sujets assez sensibles dans le monde de l’immobilier. D’après un communiqué de l’ONU publié en décembre 2020, le secteur de l’immobilier représente 38% des émissions de GES dans le monde. Les conséquences sur la biodiversité, par la consommation de matière première, mais également par l’étalement urbain et l’imperméabilisation des sols, sont de plus en plus décriées. Afin de veiller à la protection des espaces naturels, un durcissement des règlementations est continuellement en place. Celui-ci est également accompagné d’une augmentation des sanctions, qu’il s’agisse de la construction ou de la durabilité des bâtiments déjà existants, qui ne respectent les nouvelles lois mise en place. Pour les acteurs de la promotion immobilière, le risque de recours juridiques sur des projets immobiliers pourrait par exemple s’accroître avec l’attention grandissante de la société civile aux enjeux de biodiversité.

De la même manière, la loi PACTE a amené des enjeux inédits en considérant les enjeux sociaux et environnement dans le développement des entreprises et particulièrement en introduisant le concept de société à mission.  Une société à mission est une structure ayant pour objectif d’introduire dans son statut des objectifs sociaux et environnementaux qu’elle s’engage à poursuivre dans le cadre de son activité. On compte plus de 185 sociétés à mission en 2021 dont une dizaine de sociétés de l’immobilier. Si une société à mission ne respecte pas ses objectifs, le ministère public ou toute personne aillant la volonté peut engager une procédure de retrait de la qualité de société à mission auprès du tribunal de commerce.  La perte de ce statut engendre notamment une perte de l’intégrité morale de l’entreprise et donc une image qui se terni auprès des investisseurs et des clients.

Cette notion de risque de responsabilité, aujourd’hui peu conceptualisée dans les stratégies des entreprises de l’immobilier, pourrait progressivement s’imposer comme un risque ESG inévitable.

 

Le triptyque des risques extra-financiers reste encore complexe à appréhender, et leurs impacts commencent depuis peu à se matérialiser sur les marchés financiers. L’impact des risques va continuer d’évoluer dans les prochaines décennies du fait du changement climatique et de l’importance croissante des enjeux environnementaux.  Toutefois, les décisions stratégiques des acteurs économiques peuvent largement réduire ces risques. Avec l’intégration et l’importance des normes ESG au sein des stratégies de développement des entreprises, ceux-ci pourraient être atténués, voire, être considérés comme des opportunités.  

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