Rapport du GIEC sur l’atténuation du changement climatique et bâtiment : la sobriété sinon rien !

Mardi 4 avril est sorti le 3ème et dernier volet du sixième rapport du GIEC (Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), centré sur l’atténuation du changement climatique et les solutions à mettre en œuvre. Le maître mot de ce rapport est la sobriété, seul levier à même de conjuguer atteinte des objectifs, relative équité sociale, et passage à l’échelle rapide. Le secteur du bâtiment, qui pèse lourd dans la consommation d’énergie et les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) mondiales – autour de 20% – est lui aussi analysé au prisme de cette sobriété.

Il y a urgence à agir

Les émissions annuelles de GES n’ont cessé d’augmenter au cours de la décennie passée au niveau mondial pour atteindre un flux record de 59 Gigatonnes de CO2 équivalent en 2019, alors même que la plupart des pays se sont engagés à atteindre la neutralité carbone en 2050 !

Ainsi, ce sont environ 500 GtCO2-eq. qui ont été ajoutés à l’atmosphère entre 2010 et 2019,  soit 17% du total des émissions de GES cumulées depuis 1850. Le budget carbone encore restant permettant de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C est donc désormais estimé à environ 500 GtCO2-eq., un défi qui semble très difficile à relever. Pour limiter ce réchauffement à 2°C, le budget carbone restant s’élèverait quant à lui à environ 1 150 GTCO2-éq…

Trajectoires d’émissions de GES selon plusieurs scénarios dont le « Business as usual » en rouge Source: GIEC 2022

L’analyse des trajectoires carbone est sans appel : les engagements pris lors de la COP26 ne sont toujours pas suffisants pour arriver à une trajectoire de 1,5°C en 2050, et les efforts à fournir après 2030 seront sans précédent. Le GIEC rappelle ainsi que « Les politiques en cours fin 2020 sont supposées engendrer des émissions de GES supérieures à celles retenues dans les contributions nationales ». Cette analyse fait écho au cas des budgets carbone français établis dans la Stratégie Nationale Bas Carbone – SNBC, dont les plafonds ont été relevés en 2020 pour la période 2019-2023 tout en conservant une ambition forte pour 2030. Le choix a été ici fait de remettre les efforts importants à demain. Et malgré ces ajustements, le bâtiment a dépassé de +39Mt CO2eq son budget carbone alloué pour la période 2015-2018.

Enfin, selon les experts, les bénéfices économiques générés par une trajectoire 2°C (dommages et frais d’adaptation évités) sont par ailleurs estimés dépasser le coût des efforts d’atténuation dans l’essentiel de la littérature.

Cap sur la sobriété

Dans ses recommandations pour aligner le monde avec une trajectoire de réchauffement limitée à 1,5°C en 2100, le GIEC appelle à une nécessaire sobriété des usages combinée au déploiement de solutions techniques peu carbonées connues ou sur le point d’être industrialisées. L’enjeu reste celui du passage à l’échelle des solutions, et organiser de façon massive ce processus semble plus prudent que de tabler sur d’hypothétiques progrès techniques permettant une bascule de notre consommation sans impacter aucunement nos modes de vie.

Pour le bâtiment, ces recommandations ont une portée forte, car elles visent à intégrer les attentes des utilisateurs et les façons de vivre des occupants des bâtiments dans le panel de solutions permettant de décarboner les bâtiments. En ce sens, les contours d’une réglementation telle que le Dispositif Eco-Energie Tertiaire qui tend à embarquer locataires et occupants des bâtiments tertiaires de plus de 1000 m² aux côtés des propriétaires pour atteindre les objectifs de diminution de consommation sont cohérents avec cet état d’esprit. De la même façon, sensibiliser des occupants des logements – c’est-à-dire nous tous – à modifier leurs niveaux d’attentes quant à la température de consigne par exemple, semble un passage obligé pour espérer atteindre les objectifs fixés.

Ainsi, en mobilisant des solutions performantes sur le plan environnemental à l’horizon 2050, 61% des émissions de GES du bâtiment pourraient être évitées suivant trois leviers d’action :

  • Mettre en œuvre une politique d’efficacité énergétique (42%) ;
  • Engager une politique ambitieuse en matière de réduction de de la demande d’énergie et de matériaux (10%)
  • Favoriser partout où c’est possibles les énergies renouvelables (9%), point d’autant plus crucial que les EnR ont connu une forte progression technique en matière de rendement et de stockage, tout en voyant leurs coûts diminuer au cours de la dernière décennie

Des priorités différentes pour le bâtiment suivant les pays

Le GIEC rappelle pourtant que le secteur du bâtiment et de la construction est un levier essentiel pour la décarbonation de l’économie et l’adaptation au changement climatique de nos sociétés.  La décarbonation du bâtiment se joue sur deux niveaux : d’une part, la construction de nouveaux bâtiments environnementalement performants, levier majeur pour les pays en développement, et d’autre part, la rénovation du bâti existant, axe essentiel pour les pays développés. D’ailleurs, le faible rythme des rénovations ces dernières années a entravé une baisse plus efficace des émissions de GES du secteur.

Le rapport établit des points morts en USD par tonne de CO2eq évitée afin d’évaluer les options rentables et le volumes d’émissions évitées associé. Dans le cas du bâtiment, les options citées en-deçà de 200 S par tonne de CO2eq évitée concernent notamment des équipements plus efficaces en énergie, des constructions neuves performantes (enveloppe), l’installation de capacités de production en énergies renouvelables, la rénovation des logements existants, ainsi que le recours renforcé aux composants bois.

Notons que le point mort financier de la rénovation s’avère bien plus minime que celui de constructions neuves plus efficaces. Ainsi, une partie non négligeable des solutions sont accessibles à un coût de moins de 20 $ par tonne de CO2eq évitée. Concentrer nos efforts sur la rénovation permettrait également de lutter contre l’étalement urbain et produire des villes plus compactes, plus efficientes en termes d’émissions de CO2 comme indiqué par le GIEC. Ainsi l’urbanisme et la planification de la conception des territoires est également un élément important à prendre en compte pour viser la bonne trajectoire.

Alors que l’urgence climatique est martelée par les scientifiques, le volet III du sixième rapport du GIEC souhaite mettre l’accent sur des solutions connues, déployables rapidement, permettant une évaluation rapide des émissions évitées. La question de la sobriété comme levier d’action essentiel y est abordée avec force, au moment où les conséquences soudaines de la guerre Russie-Ukraine sont venues également susciter l’engouement en Europe autour de la sobriété d’usage. La meilleure énergie reste celle que l’on ne consomme pas, même dans le bâtiment le plus performant du monde.

Plus d'articles sur le sujet