Sobriété – Quelles leçons tirer de cet hiver pour mieux affronter les prochains ?

A l’occasion de la relance du GT Sciences Sociales au service de la transition écologique, l’OID a organisé le 9 février dernier un premier atelier sur la Sobriété. Pour l’occasion, 60 participants, membres de l’OID, se sont réunis pour faire le point sur les premières actions mises en place suite à la publication, le 6 octobre 2022, du plan de sobriété énergétique du gouvernement. Pour guider ces échanges, trois acteurs aux approches complémentaires ont dressé un premier état des lieux des mesures de sobriété adoptées à l’échelle des villes, des sociétés et des bâtiments « en base », et durant les périodes de tension sur le réseau électrique français. Retour sur cet atelier qui a soulevé de nombreux questionnements, qu’il s’agira d’intégrer collectivement dans nos réflexions afin d’affronter au mieux les prochains hivers.

Nous remercions chaleureusement –Louise ORIOL, Conseillère du directeur « Nouvelles Flexibilités pour le système électrique » (RTE), –Thierry MALLET, Responsable sobriété énergétique (Ville de Paris) et –Magali SAINT-DONAT, Présidente de la commission RSE (ADI), pour leur enrichissante contribution à cet atelier.

Rapide état des lieux sur la sobriété en février 2023

Pour amorcer l’objet de cet atelier, l’OID a présenté quelques données clés afin de faire le point sur nos avancées en termes de sobriété énergétique, en ce mois de février 2023. Parmi ces données, nous retiendrons que la consommation d’électricité en France a diminué de 8,5% en janvier 2023 (Figure 2) par rapport à la moyenne des consommations constatées au mois de janvier sur la période 2014-2019 sur tous les secteurs d’activités confondus (corrigé des aléas climatiques et des effets de calendrier). Bien qu’il demeure difficile de distinguer dans cette baisse de consommation les parts respectives de sobriété choisie et de contrainte économique, ces chiffres permettent de témoigner, selon RTE, d’une situation significativement plus favorable qu’au début de l’automne du point de vue de la tension du système électrique. Force est de constater également que les signaux EcoWatt sont restés verts pendant la période hivernale et que le risque de coupure a pu être ré-évalué comme « moyen » jusqu’à la fin de la saison.

       

Figure tirée du Bilan électrique 2022 – Principaux résultats (RTE, février 2023)

Ces constats ont été permis par la conjonction de la situation météorologique marquée par des températures particulièrement douces d’un côté, et par le fruit de nos efforts combinés de l’autre. Ces actions collectives, en partie impulsées par le premier plan de sobriété énergétique du gouvernement, ne sont toutefois pas suffisantes si l’on s’en tient aux déclarations du Président de la République, qui entend faire publier à la mi-mars un second plan de sobriété, qui se voudra renforcer les objectifs amorcés par le premier. En guise d’illustration, Thierry Mallet rappelle également que la réduction de consommation en énergie finale de 60% en 2050, fixée par le Décret Eco-Energie Tertiaire (DEET) est un objectif normé. L’atteinte de cet objectif équivaudrait théoriquement à l’extinction de l’ensemble des systèmes de chauffe des bâtiments de la Ville de Paris à cette date !

Quelles pistes de réflexion pouvons-nous alors envisager pour ancrer la sobriété dans les normes de nos sociétés ?

Deux pistes d’action principales envisagées : automatisation et pédagogie

Comme nous le rappelle RTE, les efforts de sobriété et, plus largement, les efforts pour développer la flexibilité de la demande sont nécessaires tant du point de vue de la sécurité d’approvisionnement en électricité que de celui de l’accélération de la transition énergétique et de la décarbonation de l’économie. Les principaux gisements d’action sont à mobiliser dans le bâtiment résidentiel et tertiaire.

Le fait de « consommer moins » et de « consommer au bon moment » doit s’appréhender à la lumière d’un regard croisé entre trois leviers d’actions : les incitations économiques pour généraliser la flexibilité du bâtiment, la connaissance des gisements et la facilitation technique de leur mobilisation, et la pédagogie pour faire connaître ces enjeux du plus grand nombre. D’autant que le pilotage de ces différents axes de travail, doit être ajusté aux besoins spécifiques de chaque typologie d’actifs et du secteur immobilier dans lequel ils exercent. Cette complexité d’approche est essentielle à intégrer dans toute démarche d’action de sobriété si l’on souhaite penser des mesures efficaces sur le long terme.

A ces pistes de travail vient s’ajouter la question de la stratégie d’implémentation des mesures de sobriété. A cet égard, deux approches ont été évoquées. D’un côté, la généralisation des systèmes d’automatisation permettant de contrôler l’ensemble des installations techniques du bâtiment, qu’il s’agisse par exemple de la température de consigne, de la recharge des véhicules électriques et de l’éclairage. De l’autre, une approche davantage comportementale qui passerait par un travail de sensibilisation des occupants au regard de leurs usages, en termes de consommation énergétique. Si la première option semble être davantage privilégiée, la seconde doit inévitablement être prise en compte si l’on vise des objectifs de sobriété significatifs. En effet, la question de la pérennisation des comportements chez les occupants devrait être engagée sous l’angle d’une démarche d’engagement mutuel, de manière à ce que la sobriété ne soit plus envisagée en termes de contraintes, mais davantage pensée dans une démarche d’action collective, permettant l’atteinte d’un but commun vers davantage d’économies de ressources en énergie.

Quels sont les enjeux majeurs à (re)penser pour les hivers prochains ?

Pour affronter le risque de pénurie des prochains hivers, tous les acteurs présents autour de la table se sont accordés sur la nécessité de faire perdurer les efforts tout au long de l’année. Il s’agirait notamment d’ancrer dans les mœurs les avantages associés au concept de sobriété : ce qui n’est pas consommé n’engendre pas d’énergie grise, ou de poids carbone caché, et permet en plus, de faire des économies d’énergie. Autrement dit, le premier enjeu serait de faire des comportements de sobriété une habitude, associée à une norme valorisée.

Pour mieux comprendre la complexité de cette question, la psychologie sociale nous apporte des éléments de réponse. La psychologie sociale est une sous-branche de la psychologie qui étudie les processus mentaux impliqués dans les comportements humains liés aux interactions sociales. Pour désigner le fait qu’une longue période nous sépare d’un évènement, on parle en psychologie sociale de distance psychologique temporelle élevée. Or, plus un évènement est perçu comme distant, plus il sera associé à un sentiment d’incertitude, ce qui n’agit pas en encourageant des comportements d’atténuation, en termes d’économie d’énergie (Jones et al., 2017).

Pour pallier les effets de cette distance psychologique élevée, une solution envisageable pourrait être de réduire le sentiment d’incertitude qui y est associé. Cela peut s’entrevoir à travers la généralisation massive des outils de communication, de manière à informer les employés des forts risques de tension qui pèsent sur le réseau électrique français pour l’hiver prochain. Précaution à prendre toutefois dans la manière de communiquer ces informations. Pour éviter l’observation de comportements contreproductifs, les modèles de psychologie sociale nous recommandent d’associer à chaque risque évoqué, une solution, à la fois adaptée et accessible aux individus (Maloney et al., 2011).

Optimiser les effets de nos actions en les ajustant à nos besoins

Un changement notable dans les pratiques de consommation énergétique aura d’autant plus de chance de perdurer dans le temps que ce changement répond à un enjeu spécifique, adapté au secteur d’activité de l’entreprise et aux besoins propres de la structure. Ce travail, qui nécessite finalement d’identifier des solutions « sur-mesure », pourrait être facilité par l’identification systématique d’un.e référent.e sobriété, de préférence volontaire au titre, par bâtiment tertiaire comme le préconise Thierry Mallet. En plus de son rôle pivot en termes de remontées d’informations auprès des gestionnaires du bâtiment, et de sensibilisation auprès des occupants, le/la référent.e sobriété pourrait représenter une réelle source d’inspiration pour ses collègues, en leur offrant une vision concrète des actions de sobriété qui peuvent être entreprises, à l’échelle individuelle et collective.

Ce travail de sensibilisation aux mesures de changement d’atténuation peut par ailleurs être couplé à des mesures d’adaptation, comme cela a par exemple été le cas en Allemagne. Certains habitants de Berlin ont en effet été formés, durant ces derniers mois, aux gestes à adopter en cas de coupure d’électricité à travers certains exercices de simulation. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une solution miracle, ce type d’action pourrait agir en diminuant les craintes des habitants, et en leur offrant le sentiment d’avoir la possibilité de faire face à ce type de situation, facteur majeur pour encourager l’action (Fritsche et al., 2018).

Enfin, retenons également que des efforts restent à fournir de la part des propriétaires et des gestionnaires de bâtiments pour déployer des outils communs de partage des consommations énergétiques, qui puissent être accessibles aux occupants, de manière à mesurer directement le résultat de leurs efforts (Deci & Ryan, 2000).

Afin de prévenir les risques de tension sur le système électrique les prochaines années et de manière à offrir des outils de compréhension des comportements de sobriété, l’OID, toujours dans le sens de sa vocation d’accompagnement de la transition écologique de l’immobilier vient en appui du Plan Bâtiment Durable sur cet enjeu de sobriété, et mène actuellement en partenariat avec l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne des travaux de recensement des plans de sobriété déployés par ses membres. L’objectif est d’identifier des leviers d’action pour affronter les hivers prochains et des solutions pour faire perdurer les mesures de sobriété, y compris cet été.

 

Article écrit par Kenza Dahmane, Chargée de missions « Changement des comportements » à l’OID 

Références :

Deci, E. L., & Ryan, R. M. (2000). The “What” and “Why” of Goal Pursuits: Human Needs and the Self-Determination of Behavior. Psychological Inquiry, 11(4), 227–268. https://doi.org/10.1207/S15327965PLI1104_01

Fritsche, I., Barth, M., Jugert, P., Masson, T., & Reese, G. (2018). A social identity model of pro-environmental action (SIMPEA). Psychological Review, 125(2), 245-269. https://doi.org/10.1037/rev0000090

Jones, C., Hine, D. W., & Marks, A. D. G. (2017). The Future is Now: Reducing Psychological Distance to Increase Public Engagement with Climate Change. Risk Analysis, 37(2), 331–341. https://doi.org/10.1111/risa.12601

Maloney, E. K., Lapinski, M. K., & Witte, K. (2011). Fear Appeals and Persuasion: A Review and Update of the Extended Parallel Process Model: Fear Appeals and Persuasion. Social and Personality Psychology Compass, 5(4), 206–219. https://doi.org/10.1111/j.1751-9004.2011.00341.x

Plus d'articles sur le sujet