Quelle place pour les nouvelles technologies dans la transition écologique du secteur de la construction ?

L’urgence de la crise climatique mondiale a fait naître une impérieuse nécessité : repenser fondamentalement notre manière de concevoir, de construire et de gérer les bâtiments. De la démarche 100% lowtech à la technologie poussée à l’extrême, de nombreuses philosophies existent pour relever le défi de la transition écologique. De nouvelles technologies innovantes, telles que le béton bas carbone, le Building Information Modeling (BIM), la construction 3D, la blockchain, semblent offrir des perspectives de réduction de l’empreinte carbone du secteur. Découvrons ensemble le vrai du faux de ces promesses de révolution écologique.

Emergence de nouveaux matériaux

Le béton reste encore le matériau plébiscité par les constructeurs en France. Il représente environ 50% des parts de marché des maisons individuelles et plus de 75% des logements collectifs et bâtiments tertiaires[1].

Cette utilisation massive entraîne des conséquences lourdes sur les émissions de gaz à effet de serre. En 2019, 21 millions de tonnes de produits en béton ont été fabriqués. Avec une empreinte carbone entre 250 et 400 kgeqCO2 par m³, le béton se place en première position des émissions de GES liées aux matériaux de construction[2].

Le béton est composé majoritairement des granulats dont du sable (à 80%), un liant (traditionnellement du ciment pour 13%) et de l’eau. Les propriétés d’agrégation du ciment sont obtenues en mélangeant du calcaire et de l’argile, portés à très haute température. Ce mélange appelé clinker est le constituant le plus polluant et émissif du béton. Ainsi,  le ciment Portland, le plus répandu sur le marché, représente 98% des émissions du béton ![3]

Devant ce constat, les industriels tentent de réduire l’empreinte carbone de ce matériau, en produisant des bétons bas carbone, très bas carbone ou encore ultra bas carbone. À ce jour, ces appellations ne font pas l’objet de cadre normatif ni réglementaire. Le principe repose sur la réduction voire le remplacement de la part du clinker, en ajoutant à la formulation d’autres ressources comme les laitiers de haut-fourneau ou les cendres volantes de centrales électriques thermiques, considérés comme des déchets et donc ne produisant plus de GES à ce stade de leur cycle de vie. En incorporant ces éléments, les industriels parviennent à afficher pour ces matériaux des réductions jusqu’à -30 à -70% d’émissions de GES par rapport à des bétons classiques. Des études indépendantes, comme celle d’Elioth, filiale d’EGIS, n’affichent cependant pas les mêmes résultats, et évaluent cette même fourchette au mieux entre 0 et 30 %.

Ces études montrent que les émissions carbone des produits remplaçant le clinker ne sont pas suffisamment prises en compte. En effet, ces matériaux sont souvent issus de la fabrication d’autres produits fortement polluants. C’est par exemple le cas des laitiers issus de la fabrication de l’acier, industrie représentant près de 5% des émissions carbone françaises. Les matériaux étant des rejets d’autres industries leur empreinte carbone est considérée comme nulle. Ce choix méthodologique permet de réduire les chiffres présentés pour l’impact des bétons bas carbone mais pose question : Qu’en est-il de la transition des industries (dont l’industrie sidérurgique) à long terme ?

A contrario, les matériaux biosourcés comme la paille, le chanvre ou le bois sont des alternatives écologiques aux matériaux traditionnels. Ils peuvent même avoir un impact sur le réchauffement négatif en tenant compte du stockage du carbone nécessaire à leur fabrication.

Utilisation de la donnée dans le bâtiment

Le BIM (Building Information Modeling), le big data et la blockchain sont également des technologies citées comme révolutionnaires pour le bâtiment.

Le BIM est un processus qui permet de créer et de gérer des modèles numériques détaillés de bâtiments et d’infrastructures tout au long de leur cycle de vie, de la conception à la déconstruction. En utilisant le BIM, les architectes, ingénieurs et constructeurs peuvent optimiser la conception des bâtiments pour maximiser l’efficacité énergétique et réduire la consommation de ressources.

Le Big Data consiste à collecter, stocker et analyser de vastes quantités de données provenant de différentes sources. Dans le contexte de la construction, cela peut inclure des données sur la météo, la consommation d’énergie, la qualité de l’air intérieur, etc. À titre d’exemple, en utilisant des capteurs et des dispositifs IoT (Internet des objets), il est possible de recueillir des données en temps réel sur la performance des bâtiments. L’analyse de ces données peut aider à identifier les domaines où des améliorations sont nécessaires pour réduire la consommation d’énergie, optimiser les opérations et minimiser les émissions de gaz à effet de serre.

Enfin, la blockchain est une technologie de données permettant de créer un registre immuable et sécurisé des transactions et des informations. Dans le domaine de la construction, la blockchain peut être utilisée pour suivre la provenance des matériaux de construction, garantissant ainsi la transparence et la traçabilité des matériaux utilisés.

Bien que le Building Information Modeling (BIM), le Big Data et la blockchain offrent des avantages potentiels pour réduire l’empreinte carbone de la construction de bâtiments, ils ne sont pas sans conséquences en termes de consommation énergétique et d’utilisation de ressources. Ils nécessitent des systèmes et infrastructures informatiques puissants et le stockage de grandes quantités de données constitue une problématique environnementale à part entière. De plus, afin d’utiliser ces technologies à leur plein potentiel les questions d’interopérabilité et de normes sur la qualité de la donnée sont primordiales.

Vers la production hors site pour la construction et la rénovation

La production de modules hors site est un levier souvent cité pour réduire l’empreinte carbone de la construction et de la rénovation. Les propositions de la filière pour la feuille de route pour la décarbonation des bâtiments parue en début 2023, ont notamment cité la fabrication manufacturée en atelier de briques constructives à faible niveau global d’émission carbone comme levier. Elle présente en effet de nombreux avantages :

  • Tout d’abord, les émissions de gaz à effet de serre futures pourront être mieux maîtrisées via une amélioration de la qualité intrinsèque des bâtiments et de la rénovation et une meilleure connaissance des propriétés de celui-ci grâce à la préfabrication en usine.
  • La valorisation des déchets est également plus facile en usine, et le gaspillage des matériaux peut être fortement diminué. Les matériaux ainsi que les consommables comme l’eau peuvent être réutilisés ou fonctionner en circuit fermé.
  • Enfin, la construction hors-site va souvent de pair avec la flexibilité et la réversibilité. Les solutions modulaires en 2D ou en 3D, permettent de produire des espaces fluides pouvant être agrandis ou réduits. Les modules peuvent même être déplacés sur de nouveaux sites. Cela permet de réduire considérablement l’empreinte carbone en fin de cycle du bâtiment.

D’autres externalités positives peuvent être relevées comme la diminution des nuisances sonores dues au chantier, un meilleur respect des délais ou encore des conditions de travail des ouvriers améliorées du chantier à l’usine.

Dans le cas particulier de la préfabrication de modules pour la rénovation, il s’agit d’abord d’identifier des bâtiments ayant des besoins semblables en rénovation énergétique puis passer des contrats avec des industriels pour les traiter en grands volumes. Des initiatives existent déjà comme l’analyse menée par Pouget Consultant et Energie Demain. Celle-ci a montré que 10 millions des 27 millions de logements à rénover en France peuvent l’être à niveau DPE A de façon industrielle et 5 millions à un niveau DPE B. Dans un concept d’accélération de la rénovation, cette solution apparaît comme particulièrement prometteuse. La démarche Energie Sprong lancée aux Pays-Bas en 2012, est une illustration de ce concept et permet de saisir les opportunités qu’elle pourrait apporter.

Exemple mise en œuvre démarche Energie Sprong, Batirama.

Cependant, la préfabrication pourrait également produire certaines dérives comme la surproduction ou l’internationalisation qui pourraient venir alourdir son poids carbone. Sobriété et localisme doivent rester à l’ordre du jour pour que cette solution participe à relever le défi climatique. Étant donné les contraintes de portance les solutions modulaires peuvent également nécessiter une quantité de matériaux plus importante, ce qui alourdit le bilan carbone de la construction. Les choix effectués pour cette étape sont donc d’autant plus importants.

Enfin de nombreux freins persistent. En France, le recours à la fabrication hors-site reste encore limitée et peut susciter des réticences chez les maîtres d’ouvrage et les consommateurs finaux pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ce processus n’est pas suffisamment valorisé et peut être perçu à tort comme synonyme de qualité inférieure. De plus, son potentiel en matière de réduction des émissions de carbone n’a pas encore fait l’objet d’une certification, ni d’un consensus basé sur des retours d’expérience, ce qui entrave sa promotion auprès des professionnels du secteur et des commanditaires de projets. Enfin, la fabrication hors-site n’est pas intégrée dans les normes en vigueur, notamment dans les documents techniques unifiés (NF-DTU), ce qui ralentit les approbations des organismes de contrôle, complique la souscription d’assurances et, par conséquent, entrave son adoption et la réalisation de ses avantages potentiels.

En conclusion, la question de l’intégration des nouvelles technologies dans la transition écologique du secteur de la construction est complexe et nuancée. Il est essentiel de considérer ces avancées technologiques avec un regard critique. Par exemple, le béton bas carbone, bien qu’il puisse réduire les émissions de GES, soulève des questions quant à l’origine des matériaux de substitution et à leur impact sur le long terme.

Enfin, bien que ces nouvelles technologies offrent des avantages indéniables, il est important de noter qu’elles ne sont pas une solution miracle à elles seules. La transition écologique du secteur de la construction nécessite une approche holistique, prenant en compte les aspects environnementaux, sociaux et économiques. L’adoption de ces technologies doit s’accompagner d’une réflexion approfondie sur leur impact global et sur la manière de les intégrer de manière responsable dans les pratiques de construction. Les questions de la finitude des ressources, de l’appropriation des technologies par les utilisateurs, et des consommations supplémentaires d’énergies doivent rester au centre des préoccupations.

[1] Source : https://reseauactionclimat.org/la-filiere-ciment-beton-un-mur-face-a-la-transition/#:~:text=Il%20est%20l’un%20des,logements%20collectifs%20et%20b%C3%A2timents%20tertiaires.

[2]Source : https://www.concretedispatch.eu/blog/empreinte-carbone-beton/

[3] Source : https://www.ouest-france.fr/environnement/climat/le-beton-bas-carbone-est-il-vraiment-ecologique-ecebaf86-b729-11eb-b73a-358c628dc742

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