Mise à jour des Top15 et Top30 de la Taxinomie européenne : quelles leçons tirer ?

Alors que les acteurs ont dû se prêter à l’exercice de déclarer leurs taux d’alignement à la Taxinomie européenne cette année, l’OID publie pour 2023 les nouveaux Top15 et Top30 mis à jour. Reflet des profils énergétiques réels des bâtiments français et des incidences climatiques et économiques sur ces derniers, ces seuils permettent d’avoir une première vision de bâtiments correctement gérés sur le plan de leur consommation mais présentent des limites d’interprétation en matière de décarbonation des sources d’énergie.

 

La Taxinomie : un texte résolument élitiste

La Taxinomie européenne œuvre depuis plusieurs années à déployer un référentiel permettant de classer de manière homogène et aussi exhaustive que possible les activités économiques comme durable. L’objectif de ce texte est bien d’accompagner la transition écologique de l’économie en fléchant les investissements et les financements vers ces activités dites durables. Pour ce faire, le texte prévoit des critères permettant de répondre à six enjeux environnementaux (atténuation du changement climatique, adaptation au changement climatique, prévention de la pollution, gestion durable de l’eau, écosystème sain et économie circulaire) ainsi que des garanties minimales en matière sociale.

Le texte s’appuie sur un principe aussi simple que redoutable : pour être considérées comme durables, les activités économiques doivent à la fois contribuer substantiellement à l’un des enjeux environnementaux (CCS), tout en ne nuisant pas aux autres (DNSH). En ce sens, il est particulièrement novateur, puisqu’il contraint les acteurs à adopter une vision systémique des questions environnementales qui concernent leurs actifs.

Pour les bâtiments en exploitation, l’enjeu d’atténuation offre la possibilité aux bâtiments de pouvoir satisfaire le CCS en démontrant faire partie du 15% des bâtiments les plus performants du marché (Top15), ou le DNSH s’ils s’intègrent aux 30% les plus performants (Top30). S’ils satisfont à ce critère tout en respectant les DNSH des autres enjeux, les bâtiments pourront être intégrés à l’assiette de calcul du taux d’alignement à la Taxinomie.

Après quelques mois de retours d’expérience sur le dispositif, une étude publiée par l’OID en partenariat avec l’ASPIM en octobre 2023 confirme l’élitisme du texte : l’alignement moyen en chiffre d’affaires sur tous les fonds classés Article 8 et 9 s’élève à 5 %, avec seulement 4 fonds qui déclarent un alignement supérieur à 20 %.

 

Quelles évolutions des Top15 et Top30 ?

Dans ce contexte, la mise à jour 2023 des Top15 et Top30 revêt une importance particulière. Notons d’ailleurs que pour les bâtiments existants, les acteurs vont calculer leur taux d’alignement sur la base du Top15 (correspondant au CCS), en appliquant les DNSH adaptation. Aussi ce Top15 est-il crucial pour piloter la stratégie de financement de la transition écologique des bâtiments.

Par ailleurs, les nombres publiés cette année intègrent les données de consommation de 2022, qui peut être considérée comme l’année de sortie de crise sanitaire. Or, sur certains segments d’activité, une véritable reprise économique a été observée en 2022 : c’est notamment le cas pour les hôtels, qui ont vu leurs taux d’occupation bondir de 20 points l’année dernière. Cette hausse du taux d’occupation conduit logiquement à une hausse des seuils de 25% cette année. Le Top15 des hôtels passe ainsi à 246 kWhEP/m².an, établissant donc un niveau correspondant mieux au rythme de croisière du secteur. De la même façon, la hausse de fréquentation des centres commerciaux se reflète cette année dans les seuils, avec une hausse du Top15 de 5%, pour atterrir à 103 kWhEP/m².an.

En revanche, pour les actifs de santé et les bureaux les indicateurs sont orientés à la baisse cette année : pour les bureaux standard, le Top15 s’affiche à 161 kWhEP/m².an, en diminution de 5% par rapport à l’an dernier. Les actifs de santé suivent une évolution similaire, puisque le Top15 de la typologie diminue de 10%, pour s’établir à 255 kWhEP/m².an !

 

Quels profils de bâtiments retrouve-t-on sur dans les Top15 et Top30 ?

Tout d’abord, il est essentiel de garder à l’esprit que l’utilisation de l’indicateur de consommation énergétique en énergie primaire restreint le profil de bâtiments durables à des bâtiments raisonnables dans leur consommation énergétique. L’indicateur ne permet pas de conclure quant à une quelconque stratégie de décarbonation mise en œuvre sur un parc ou un bâtiment. Les profils de bâtiments faisant partie des Top15 et Top30 présentés ci-après sont simplement ceux dont la consommation énergétique est correctement pilotée par leurs propriétaires.

En ce sens, l’utilisation alternative du critère basé sur les Diagnostic de Performance Energétique (DPE), pour lesquels la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB) en cours de révision prévoit d’imposer une double échelle énergie et carbone à l’ensemble des pays membres ferait sens. Ce critère permettrait aux seuls bâtiments satisfaisant cette double contrainte de pouvoir être considérés comme contribuant substantiellement à l’objectif d’atténuation.

Cette question est fondamentale car à l’heure actuelle, les profils de bâtiments performants ne se distinguent pas par leurs sources d’énergie moins carbonées… A titre d’exemple, dans la base de données de l’OID, les bureaux du Top15 suivent la même répartition que l’ensemble de la base en matière d’énergie de chauffage : une large moitié des bureaux sont chauffés à l’électricité (58%), tandis que les réseaux de chaleur urbains concernent un quart de l’échantillon. Les bâtiments restants sont chauffés essentiellement au gaz, les autres sources énergétiques restant très anecdotiques dans le mix.

 

Evaluer les bâtiments selon leur consommation d’énergie primaire constitue une première étape, mais reste limité quant aux stratégies de décarbonation des sources énergétiques. En la matière, les bâtiments étudiés ne sont ni meilleurs, ni pires que l’ensemble des bâtiments français. Il sera donc fondamental de croiser dans le futur ces critères avec des critères carbone, d’analyser la façon dont le critère alternatif d’atténuation basé sur le DPE pourra se déployer. Enfin, la complémentarité des critères d’adaptation avec ceux relatifs à l’atténuation sera également à suivre, afin d’évaluer si les acteurs s’appuieront sur le référentiel pour mettre en œuvre des leviers d’action sur leurs bâtiments.

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