[article révisé] Plus de 30 ans après la création du réseau d’aires protégées Natura 2000, l’Union européenne adopte enfin, ce lundi 17 juin 2024, le règlement “Nature Restoration Law” pour amorcer la restauration de ces 80% d’habitats en mauvais état de conservation. Les débats au Parlement européen puis au Conseil de l’Europe furent épineux mais ils nous renseignent sur les limites et les ambitions de ce texte historique, qui permettra aux 27 Etats membres de prendre leur part dans l’effort mondial pour freiner l’érosion de la biodiversité.
Alors qu’il était presque un impensé des politiques publiques au début des années 2000, le sujet de la biodiversité alimente aujourd’hui les réflexions et les délibérations politiques, et ce n’est pas sans lien avec l’émergence du reporting Biodiversité. Jusqu’à présent, la politique de conservation écologique reposait en grande partie sur le réseau d’aires protégées Natura 2000, le premier acte législatif majeur de l’UE visant à protéger les espèces d’intérêt communautaire et à préserver les habitats remarquables ou menacés. Toutefois, les cadres politiques de l’UE sont arrivés à la conclusion que “Conserver ce qui reste de la nature ne [suffisait] pas” – dixit Bruno Pozzi, directeur du PNUE pour l’UE – donnant ainsi l’impulsion au second acte de la stratégie Biodiversité européenne qui consiste à déployer une politique de restauration avec le Règlement “Nature Restoration Law”. Le sujet de la restauration est d’ailleurs transversal puisque la Commission européenne estime que chaque euro investi dans la restauration génère entre 8 à 38 euros de bénéfices.
Le texte est, à n’en pas douter, historique. Avec la Loi de restauration de la nature, les 27 Etats membres s’engagent à restaurer au moins 20% des zones terrestres d’ici 2030 pour améliorer la qualité des habitats et des espèces tout en veillant à ce que les zones en bon état ne se détériorent pas de manière significative. Par sa valeur de règlement, la Loi de restauration de la nature s’imposera dans toutes les législations nationales dès sa promulgation au Journal Officiel de l’UE. Cette loi permettra d’unifier la politique écologique de l’UE avec des objectifs communs et une évaluation périodique. Le prochain défi consiste à retranscrire ces objectifs dans les législations nationales. Les Etats devront alors soumettre leurs plans nationaux de restauration sous deux ans. Des objectifs sont définis par type d’écosystème (terrestres, marins, agricoles, etc.) en priorisant dans un premier temps les sites du réseau Natura 2000.
Pour les écosystèmes urbains, d’ici à 2030, il s’agira d’éviter la perte nette de la surface nationale des espaces verts urbains et du couvert arboré urbain, exclusion faite des aires urbaines où la part des espaces verts dépasse 45 % et la part du couvert arboré urbain dépasse 10 %. Puis, à partir de 2031, la surface totale nationale des espaces verts urbains, incluant les espaces dans les bâtiments et infrastructures, devra augmenter. Par ailleurs, le règlement demande aux Etats membres de contribuer à l’objectif européen de plantation de 3 milliards d’arbres Supplémentaires d’ici à 2030 avec un point de vigilance sur le respect des principes écologiques (diversité des essences et de la structure d’âge, priorité aux essences d’arbres indigènes sauf cas spécifiques liés au contexte local ou à la résilience face au changement climatique). Pour les milieux aquatiques, au moins 25 000 km de cours d’eau à courant libre devront être restaurés à l’échelle européenne.
Toutefois, on peut d’ores et déjà soulever des points qui font planer le doute sur l’efficience des mesures qui seraient mises en œuvre dans le contexte français.
Premièrement, le texte ne fournit aucune mesure concrète, laissant aux Etats la charge de trouver seuls les moyens de répondre aux objectifs fixés. En France, le budget environnemental est en augmentation : 3,3 milliards d’euros ont été alloués à la protection de la biodiversité en 2021, soit une hausse de 14%. Pourtant, les résultats restent mitigés. La question ne porte donc pas tant sur les moyens disponibles que sur l’efficacité des actions sur le terrain.
Deuxièmement, la conservation et la restauration interviennent généralement sur des territoires différents. Par conséquent, la priorité donnée au réseau Natura 2000 pour le déploiement des mesures de restauration s’avère très limitante. En effet, les besoins en restauration de biodiversité sont souvent localisés dans des zones dégradées ou présentant des enjeux importants de reconquête de biodiversité, ce qui n’est pas nécessairement le cas des sites Natura 2000, qui représentent les zones à plus forte naturalité en France.
Troisièmement, les principes de conservation et restauration de la biodiversité sont complémentaires. Les milieux restaurés, une fois qu’ils auront atteint un bon état, pourraient rentrer sous le joug d’une politique de conservation. Voilà qui donne matière à réfléchir pour respecter le principe de non-détérioration significative de l’état des habitats.
Les acteurs de l’immobilier sont directement concernés par une partie des dispositions du règlement, s’il est adopté. Pour ce qui est des espaces verts urbains, le principe de zéro perte nette de surfaces entre en résonance avec la démarche ZAN (Zéro Artificialisation Nette). L’Etat et les régions devront sans doute s’assurer que les Plans locaux d’urbanisme (PLU) permettent d’atteindre cet objectif à l’échelle nationale. D’ailleurs, les seuils annoncés (45% pour les espaces verts et 10% pour le couvert arboré) pourraient faire office de référence par la suite. S’agissant du compteur d’arbres plantés, les arbres supplémentaires plantés par les entreprises de l’immobilier seront probablement pris en compte. Le terme “supplémentaire” a ici toute son importance puisque l’on observe déjà les dérives du plan France Relance qui poursuit l’objectif de planter 1 milliards d’arbres en France d’ici à 2030 : les associations ont constaté des plantations sur des parcelles qui ont été préalablement rasées, ce qui gonfle artificiellement le bilan final. Enfin, il faut dire que les compteurs de plantations sont une illusion qui alimente une vision biaisée de la forêt : d’une part, elles résument les fonctions de la forêt au seul stockage du carbone et d’autre part, cette idée laisse croire qu’une plantation d’arbres est équivalente à une forêt .
L’adoption définitive de la Loi sur la restauration de la nature consolide l’engagement de l’UE pour la protection de la biodiversité, en fixant un objectif de restauration de 20% des terres et des mers dégradées d’ici 2030. Il revient désormais aux Etats membres de mettre en place des mesures qui soient efficaces et probantes. Il est donc crucial que l’action des États membres soit guidée par des principes écologiques solides afin de générer des bénéfices durables pour les habitats et les espèces. La feuille de route française devrait répondre à bon nombre des enjeux identifiés.
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Sources complémentaires :
Euractiv. EU countries rubberstamp Nature Restoration Law after months of deadlock, by Sofia Sanchez Manzanaro le 17/06/2024, Disponible ici
France Nature Environnement. Europe : Dernière chance pour sauver la biodiversité ! , 23/11/2023 Disponible ici.
Kira Taylor. Les négociateurs de l’UE adoptent une loi historique pour restaurer la nature en Europe, traduit par Nils Bouchaert, 10/03/2023. Disponible ici.
Conseil européen Communiqué. Restauration de la nature: le Conseil et le Parlement parviennent à un accord sur de nouvelles règles visant à restaurer et préserver les habitats dégradés dans l’UE, 22/11/2023. Disponible ici.
CAZALIS, Victor. Efficacité des aires protégées: la pierre angulaire de la conservation de la biodiversité permet-elle réellement de protéger la nature?. 2020. Thèse de doctorat. Université Montpellier. Disponible ici