L’été 2022, entre bref aperçu du changement climatique et doux euphémisme

Si l’été 2022 a été marqué par des événements climatiques extrêmes, il présage des épisodes météorologiques que nous prendrons très certainement l’habitude de voir se répéter, de plus en plus fréquemment et de plus en plus intensément. Le secteur du bâtiment sera évidemment impacté par ces évolutions qu’il lui faudra donc anticiper au maximum. Pour se préparer, les modèles climatiques du Groupe d’expert Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat nous guident. Que comprendre des prévisions ? En quoi consistent les « points de bascule » et « boucles de rétroaction positive » qui sont parfois évoqués ?

Un été 2022 extrême ?

Mi-juillet, les Français ont fait face à des vagues de chaleur intenses, avec des pics à 42°C, 15 départements ont été placés en vigilance canicule rouge le 18 juillet 2022.

Fin juillet, place aux sécheresses. La quasi-totalité du territoire français est concernée par l’état d’alerte sécheresse, et 91 des 96 départements de France métropolitaine ont une restriction des usages en eau, au-delà de la vigilance.

Début août, les incendies et feux de forêts ont pris la relève. Au 14 août, 61 289 hectares avaient déjà été ravagés par les flammes.

Mi-août, des alertes orages sont émises, les fortes pluies ont fait monter le niveau des cours d’eau, la foudre a touché plusieurs arbres et des villes et communes ont des rues basses inondées. Les tempêtes de grêle ont, elles aussi, laissé des traces.

Jean Jouzel, ex-vice-président du groupe scientifique du GIEC, explique, que si ces événements sont considérés comme extrêmes pour 2022, un été similaire sera la norme en 2040. Un été extrême en 2040 pourra donc être encore plus destructeur pour nos infrastructures et bâtiments.

5 scénarios du GIEC : tous plausibles ?

Le futur climat dépend des choix de réduction des émissions de gaz à effet de serre actuels. Plus nous continuerons longtemps à nous appuyer sur des énergies carbonées (pétrole, charbon et gaz en tête de liste), plus la température globale augmentera, et plus nous ferons face à des événements extrêmes. En résumé, des choix réalisés aujourd’hui dépend le climat de demain.

Cinq scénarios ont été envisagés. Sur les graphes ci-dessous, on peut voir à gauche, les scénarios d’émissions de gaz à effets de serre, à droite les augmentations de température associées.

Le scénario tendanciel, ou le scénario que nous semblons suivre jusqu’ici, au regard des choix de société réalisés, est le scénario dit « Business-as-Usual », indiqué ici sous la dénomination SSP5-8.5. Dans ce scénario, en rouge foncé, la courbe d’émissions de dioxyde de carbone augmente jusqu’en 2075. Les risques d’événements climatiques que nous encourons sont donc ceux qui correspondent à une augmentation de température globale de quasiment 5°C à 2100.

Vous pourrez d’ores et déjà consulter l’outil Bat-ADAPT, disponible gratuitement sur la plateforme Resilience for Real Estate, et observer une cartographie européenne illustrant cette augmentation de température traduite en indicateurs tangibles tels que le nombre de jours supérieurs à 35°C ou le nombre de nuits anormalement chaudes. D’autres aléas (précipitations et inondations, sécheresses, …) seront ajoutés d’ici fin 2022.

Si les modèles climatiques du GIEC sont fiables, ils ne peuvent cependant pas intégrer les paramètres présentant une forte incertitude : des points de bascules et boucles de rétroaction positives sont écartés dans les modélisations.

Des points de bascule climatique et boucles de rétroaction positive, c’est-à-dire ?

Les points de bascule sont des seuils au-delà desquels un système change rapidement d’état, et peut entraîner des réactions en chaîne irréversibles et incontrôlables à l’échelle planétaire. En résumé, il est difficile de prévoir à l’heure actuelle quand les phénomènes suivants peuvent survenir, mais à partir de leur survenue, le climat risque d’être modifié bien davantage que les prévisions ne l’indiquent.

La forêt Amazonienne – Point de bascule

A partir d’un certain seuil de dégradation, la forêt amazonienne risque d’entrer dans un cercle d’autodestruction. En effet, les arbres recyclent la pluie en la pompant dans le sol et l’évacuent par l’évapotranspiration. Ce processus recharge l’atmosphère en humidité, qui entraîne à son tour des précipitations. La déforestation réduit le potentiel d’évapotranspiration, ce qui conduit à une réduction des pluies car plus évaporées, et donc à un climat plus sec qui ne permet plus d’alimenter la forêt et transformerait inéluctablement la région en savane. Cette métamorphose conduirait à un bouleversement dans le cycle de l’eau et les régimes météorologiques du monde entier. Il est estimé que la forêt pourrait entrer dans ce cercle vicieux quand 20 à 40 % de la forêt aura disparu. Aujourd’hui, nous en sommes à 17 % par rapport à 1970[1].

Les feux de forêts – Boucle de rétroaction positive

Parallèlement, avec la combustion de la forêt Amazonienne, ou de toute autre forêts, tout le carbone pompé et séquestré par les arbres depuis des centaines voire des milliers d’années serait, par l’action du feu, relâché dans l’atmosphère sous forme de dioxyde de carbone. Ce relâchement de dioxyde de carbone constitue un cercle vicieux (ou boucle de rétroaction positive) dans la mesure où ce gaz s’ajouterait aux gaz à effet de serre et participerait au réchauffement climatique.

La fonte de la banquise – Boucle de rétroaction positive

La surface de la banquise, blanche, est bien plus réfléchissante que les surface d’eau. Ces dernières absorbent donc plus de rayonnement solaire, se réchauffent, contribuent au réchauffement et provoquent plus de fonte. Cette boucle de rétroaction positive bien connue, contribue fortement au réchauffement climatique.

En 2019, les scientifiques s’accordaient sur la prédiction suivante : l’Arctique devait se réchauffer de plus du double de la moyenne mondiale, or cette prédiction a été sous-estimée. Les dernières observations indiquent que l’Arctique se réchauffe quatre fois plus vite que le reste de la planète.

La fonte des calottes glaciaires – Point de bascule

Une hausse de température trop importante entraînerait la fonte de la glace en Antarctique occidental et au Groenland, ce qui modifierait considérablement la circulation océanique du fait de la présence de courant d’eau froids, bouleversant les flux océaniques habituels. Ce processus pourrait entraîner l’activation d’éléments de basculement dans cette région, tels que la dégradation du pergélisol, la fonte de la banquise arctique et le dépérissement de la forêt boréale. Outre les conséquences climatiques, la fonte des calottes glaciaires entraînerait une hausse du niveau de mer de l’ordre de plusieurs mètres. Ce phénomène n’est à l’heure actuelle pas envisagé dans les modélisations climatiques du GIEC à 2100.

Le dégel du pergélisol – Boucle de rétroaction positive

Le réchauffement des sols est une composante du réchauffement climatique global. Les sols gelés en permanence, ou pergélisols, renferment des gaz à effet de serre (méthane). Si ces sols, sous l’effet du réchauffement climatique, fondent, le gaz libéré contribuerait à son tour au réchauffement climatique. C’est une boucle de rétroaction positive à très fort impact. Ainsi, le pergélisol arctique, qui renferme 1 500 milliards de tonnes de gaz à effet de serre, soit environ deux fois plus que dans l’atmosphère, est considéré comme « une bombe à retardement ».

La désertification – Boucle de rétroaction positive

La désertification est une conséquence du changement climatique dans certaines régions. Or, la transition vers les écosystèmes désertiques et généralement associée à des diminutions de capacité des sols à stocker du carbone, entrainant de fait des excursions carboniques dans l’atmosphère. Cet ajout de carbone dans l’atmosphère participe à son tour au réchauffement climatique, apportant ainsi sa pierre à l’édifice du cercle vicieux.

 

Des prises de positions et des actions radicales et rapides, pour réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre sont nécessaires, urgentes, et indispensables, et le secteur immobilier, qui représente en Europe entre un quart et un tiers des émissions de GES et constitue par nature un enjeu fondamental pour assurer la sécurité des biens et des personnes, a un rôle essentiel à jouer. Au-delà de la réduction des émissions, il également impératif de recommencer à œuvrer pour du stockage de carbone longue durée, au travers de la gestion des forêts, des zones humides et des espaces végétalisés. Il convient aussi de faire preuve de réalisme, le changement climatique est déjà là, et continuera de se faire sentir dans les années à venir : en complément des actions d’atténuation du changement climatique, il nous faut donc anticiper et s’appuyer également sur la prévention et l’adaptation, qui sont des composantes majeures de la résilience pour faire face aux risques climatiques à venir.

[1] Chiffres du programme de contrôle de la déforestation de l’Amazonie – Institut national de recherches spatiales (INPE) au Brésil

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