Le 3 juillet se tenait notre conférence : « Quelles sobriétés pour quel immobilier ? » du cycle immobilier et prospective. Cette conférence a permis de déconstruire les idées reçues sur la sobriété et de souligner l’importance de la transformation structurelle qu’elle implique. Additionner les éco-gestes ne suffira pas ; il est nécessaire de requestionner nos besoins, notre rapport au travail et nos objectifs de production.
Représentations, Imaginaires et Sobriétés
Cette conférence a été l’occasion d’explorer les représentations et les imaginaires liés à la sobriété. Dominique Méda a développé une vision historique en soulignant que, dans l’Antiquité grecque, la philosophie chrétienne et même au Moyen Âge, la tempérance était considérée comme une vertu fondamentale, se manifestant tant sur le plan individuel que collectif. Aristote la considérait comme une des vertus cardinales, essentielle pour une vie équilibrée. Ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle qu’un changement de valeur s’opère : Bernard Mandeville, avec sa « Fable des abeilles » (1714), a radicalement critiqué la modération en affirmant que les vices privés pouvaient paradoxalement conduire à des bénéfices publics.
Aujourd’hui, la vision consumériste est omniprésente et renforcée par l’association entre possession matérielle et réussite personnelle. Parallèlement, un retour à des valeurs de juste-milieu, de mesure et de simplicité émerge. Le documentaire « Les nouveaux modernes » de Violeta Ramirez met en avant cet idéal de modération et d’une plus grande autonomie.
Quels leviers dans l’immobilier ?
L’immobilier a un rôle de prescripteur dans la transition vers la sobriété, et plusieurs leviers peuvent être utilisés pour y parvenir. Thierry Salomon rappelle que la sobriété dans l’immobilier peut être abordée sous trois dimensions principales : le juste dimensionnement (adapter la taille aux besoins réels), l’usage (optimiser le niveau et la durée d’utilisation) et la mutualisation (encourager l’organisation collective du territoire et de l’urbanisme).
Dimensionnement
Le premier levier consiste à repenser les besoins de construction. Près de 10 % des logements construits sont actuellement vacants, et environ 10 % des logements sont des résidences secondaires ; il est donc nécessaire et prioritaire de développer un nouveau modèle économique pour ces propriétés. En outre, de nombreux mètres carrés de bureaux et d’autres espaces ne sont plus utilisés, nécessitant une réévaluation de leur utilisation. Pour répondre au besoin de logement en particulier, cette réévaluation doit également tenir compte des besoins et moyens des utilisateurs pour pouvoir offrir des logements décents et abordables.
A titre d’exemple, la Direction Immobilière de l’Etat, a pris l’initiative de se débarrasser de 25 % de leurs surfaces de bureaux. Cela permettrait de libérer 5 millions de mètres carrés déjà artificialisés, évitant ainsi de nouvelles constructions tout en répondant aux besoins de logement. Cette approche est essentielle pour une utilisation plus durable des ressources existantes.
Le juste dimensionnement s’applique également aux équipements à l’intérieur du bâtiment, aux luminaires ou encore aux nombres de places de parkings.
Usage
Les travaux de Négawatt, présentés par Thierry Salomon, comparent différents leviers liés à l’usage dans les bâtiments pour identifier les meilleures pratiques de sobriété énergétique :
Dans le cadre des usages, le réemploi et la sobriété matière, sont également deux leviers importants, bien que secondaire par rapport à la réévaluation des besoins de construction.
Mutualisation
Au cours de cette conférence, Violeta Ramirez met en avant le concept des habitats participatifs, qui incarnent une forme de sobriété conviviale. Ce modèle d’habitat repose sur la coopération et la mutualisation des ressources, où les résidents partagent des espaces communs et des services, réduisant ainsi l’empreinte écologique collective. Les chantiers participatifs, où les futurs habitants contribuent à la construction de leur logement, renforcent le sentiment de communauté et d’appartenance, tout en diminuant les coûts de construction et l’impact environnemental. Ces initiatives favorisent la création de liens sociaux forts et une utilisation plus rationnelle des ressources, répondant ainsi à la double exigence de sobriété et de convivialité.
Thierry Salomon aborde quant à lui la problématique de la démographie vieillissante et propose des solutions innovantes telles que la colocation intergénérationnelle. Cette approche, où des personnes âgées partagent leur logement avec des jeunes, permet non seulement de lutter contre l’isolement social des aînés, mais aussi de réduire la consommation énergétique par une meilleure utilisation des espaces disponibles. En comparaison avec les EHPAD (Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes), souvent énergivores, la colocation intergénérationnelle offre une alternative plus sobre et durable.
Cadres économiques et idéal du neuf, les deux freins principaux à la sobriété
Les modèles économiques actuels, basés sur les indicateurs traditionnels de richesse tels que le PIB, représentent un frein majeur à la transition vers une sobriété durable.
Dominique Méda, à travers le concept de post-croissance,met en évidence les limites intrinsèques de la croissance continue, en soulignant que le PIB est un indicateur frustrant qui ne prend pas en compte les destructions du patrimoine naturel et social. Le rapport Meadows, commandé par le Club de Rome, avait déjà averti des dangers de la croissance infinie. L’objectif ne doit pas être de décroître, mais de croître vers autre chose, c’est-à-dire de redéfinir nos indicateurs de richesse pour inclure des dimensions sociales et environnementales.
Dans le secteur de l’immobilier, le questionnement du besoin de construire amène également à la nécessité de redéfinir certains modèles économiques. La vente de droit à construire chez les aménageurs, les réglementations tels que les critères taxinomiques ou l’EPBD qui ne prennent pas en comptent l’intensité d’usage, les difficultés assurantielles du réemploi, perpétuent encore un certain idéal du neuf qui encourage la démolition reconstruction. De nouveaux cadres juridiques et économiques, sont encore à imaginer !
Dans un contexte de changement climatique, la raréfaction des ressources et la multiplication des événements extrêmes menacent nos chaînes d’approvisionnement et met en évidence l’insoutenabilité de nos modes de vie. En adoptant la sobriété de manière volontaire aujourd’hui nous pouvons éviter de la subir demain !
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