Feux de forêt, sécheresses et retrait-gonflement des argiles (RGA), un défi pour l’Immobilier dans une France à +4°C – Partie 1 : Feux de forêt

La France a pris un tournant décisif en matière de politique climatique en mettant l’accent sur l’adaptation, auparavant négligée au profit de l’atténuation. Le rapport de la Cour des comptes, soulignant les lacunes et les besoins urgents en matière d’adaptation au changement climatique, a renforcé le changement de perspective. Engager de force dans une nouvelle trajectoire à +4°C, le secteur immobilier doit se mobiliser pour intégrer à la fois l’atténuation et l’adaptation, assurant la sécurité, le confort, l’habitabilité des bâtiments et les modes de vie des générations futures.

Introduction

Nous venons de vivre le mois d’avril le plus chaud jamais observé. Selon les registres du programme Européenne Copernicus, la Terre vient de traverser une série sans précédent de mois les plus chauds jamais enregistrés, culminant en mai 2024. Cette succession ininterrompue de records de chaleur mensuels met en évidence l’intensification rapide du changement climatique. En France, où les températures pourraient augmenter de +4°C d’ici la fin du siècle, la prévention des feux de forêt et l’anticipation de leur impact sur les infrastructures et les bâtiments deviennent cruciaux. Les températures extrêmes, la fréquence et l’intensité des épisodes de sècheresses viennent également exacerber les problématiques de retrait-gonflement des argiles (RGA). La sinistralité liée au RGA augmente continuellement et menace toujours davantage le bâti existant.

Dans un contexte de réchauffement global et accéléré, les événements extrêmes se multiplient. Les canicules seront plus intenses et plus fréquentes. Selon l’Organisation mondiale de la météorologie, le changement climatique d’origine humaine provoque une augmentation de la sévérité et du nombre des feux, sur des zones géographiques plus étendues avec un allongement de la saison des feux. L’évolution des conditions de températures et de sécheresse favorise le développement des feux de forêt et de végétation autour du bassin Méditerranéen et plus largement en France. Le rapport du GIEC prévoit une raréfaction des ressources en eau à l’échelle globale, y compris dans les régions privilégiées telles que l’Europe. L’aggravation des stress hydriques viendra renforcer la probabilité de propagation et d’intensité des feux de forêt, fortement liés aux conditions météorologiques.

Etat des lieux dur risque d’incendie de forêt

Au Canada, la saison des feux vient de s’ouvrir à Fort McMurray. Pour le bassin circum-méditerranéen, tous les modèles climatiques prévoient un assèchement. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a d’ailleurs défini cette zone de « hotspot » du changement climatique.

L’Europe, et en particulier la France, se réchauffent à un rythme plus rapide que la moyenne mondiale. Sur cette trajectoire, chaque demi-degré supplémentaire de réchauffement climatique pourrait se traduire par presque deux années supplémentaires de sécheresse continue.

Des températures plus élevées favorisent l’évapotranspiration des plantes. Une végétation sèche accroit la sensibilité aux incendies. De plus, dans certaines régions, le réchauffement climatique devrait également entraîner une baisse de la pluviométrie durant les saisons propices aux incendies, aggravant le phénomène. Par ailleurs, es hivers plus chauds favorisent les attaques de parasites (insectes et champignons) qui sont généralement détruits ou affaiblis par les gelées. Ces attaques entraînent des dépérissements importants de certains espaces boisés. Une fois morts, ces végétaux deviennent particulièrement vulnérables et constituent un stock de combustible disponible pour les incendies.

Dans ces conditions, les années à venir risque de ressembler davantage à 1976 – canicule et sécheresse généralisée à l’échelle de la France – et les incendies viendront menacer d’autres régions que le seul pourtour méditerranéen et, partant, plus de la moitié du parc bâti métropolitain.

Expansion de la zone d’exposition au risque d’incendies de forêt

Selon les derniers travaux du GIEC, corrélativement au risque accru de sécheresse et de hausse des températures en Europe, la sensibilité de tous types de végétation au feu sera amenée à s’accroître. En 2022, 6 870 communes ont été déclarées exposées au risque feu de forêt par les préfets[1], soit environ une commune sur cinq.

Les trois quarts d’entre elles se situent dans le sud de la France, en raison de la végétation (résineux inflammables, maquis et garrigues) et des conditions climatiques (vent, forte chaleur) favorables aux feux de forêt. Cinq régions concentrent 90 % des communes déclarées les plus exposées aux feux de forêt : Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle-Aquitaine, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse.

Les surfaces incendiées et le nombre de départs de feux varient fortement selon les années. Les années 1989, 1991 et 2003 se distinguent avec plus de 70 000 hectares brûlés[2]. Dans la période plus récente, l’année 2022 a été très touchée avec 62 000 ha de forêts et 10 000 hectares de végétation autre brûlés. La zone Sud-Ouest a été tout particulièrement affectée avec plus de 36 000 hectares brûlés pour 2 653 feux[3]. Parmi eux, les feux de Landiras (Gironde), qui se sont produits en juillet et en août 2022, ont brûlé près de 20 000 hectares. Le feu de La Teste-de-Buch (Gironde) a détruit près de 6 000 hectares et a nécessité l’évacuation de 22 000 personnes dont 6 000 qui se trouvaient dans les 5 campings détruits à 90 %. La progression du nombre de constructions et d’habitants (riverains, touristes) à proximité et dans les espaces boisés augmente la vulnérabilité de ces zones par la multiplication des interfaces habitat-forêt (9 feux sur 10 sont d’origine humaine en France).

Un facteur anthropique déterminant pour l’aléa feu de forêt

L’aléa feux forêt n’est pas un phénomène purement climatique. Cependant, l’augmentation des températures et des périodes de sécheresse constituent un facteur d’aggravation du phénomène.

Pour qu’un feu se produise il est nécessaire que les trois éléments suivants soient présents et puissent se combiner :

  • Un combustible soit un matériau inflammable comme la biomasse dans le cas des feux de forêt, par exemple
  • Un comburant qui va permettre la combustion, souvent l’oxygène
  • Une source de chaleur qui est l’énergie d’activation à l’origine de l’inflammation.
Figure 1 – Modèle conceptuel du phénomène

Le feu est le résultat visible de cette combinaison dynamique. La source de chaleur n’étant que rarement d’origine climatique et/ou naturelle, le feu est principalement un aléa anthropique. En effet, les seuls cas de feux déclenchés sans intervention humaine sont causés par la foudre et la conjonction des trois éléments du triangle du feu occasionnant une ignition strictement naturelle représente 5 à 10% des feux de forêt à l’échelle de la planète.

En France, sur les 90% de causes anthropiques la moitié sont le fait de malveillance quand l’autre partie pourrait être attribuée à des comportements négligents ou à des causes accidentelles. De plus, la déprise agricole et l’urbanisation, avec l’expansion et la dispersion des habitations à proximité des espaces de végétation (mitage), augmente la probabilité d’occurrence du phénomène en exacerbant les interactions sociétés-espaces boisés.

Les interfaces habitat – foret : structure spatiale sensible aux incendies

La France est un des pays les plus boisés d’Europe, elle abrite de nombreux massifs forestiers, 17,3 millions d’hectares des forêts couvrant environ 31 % du territoire national (ONF, 2023). En 2022, une commune sur cinq ont été déclarées exposées au risque de feux de forêt par les préfets, 6 870 environ. Les trois quarts de ces communes se situent dans le sud de la France, où la végétation et les conditions climatiques favorisent la propagation des feux. Les cinq régions les plus exposées aux feux de forêt sont : l’Occitanie, l’Auvergne-Rhône-Alpes, la Nouvelle-Aquitaine, la Provence-Alpes-Côte d’Azur et la Corse.

Comme on l’a vu précédemment, pour qu’un incendie se produise il est nécessaire que se conjugue sur un même espace la présence de combustible, des conditions climatiques favorables et une cause d’ignition, majoritairement humaine. Dans ces conditions, le concept d’interface habitat-forêt – Wildland – Urban interface (WUI) dans le monde anglosaxon – prend tout son sens pour caractériser le risque d’incendie de forêt. Les interfaces habitat-forêt constituent un milieu semi-naturel anthropisé dans lequel les bâtiments et la végétation sont en entremêlées. Elles sont le lieu où l’incendie détruit le plus les structures bâties (Radeloff et al., 2005b), où les valeurs humaines sont le plus concentrées

et où la possibilité d’ignition non naturelle (majoritaire) est le plus probable (Lampin-Maillet, 2009). De plus, les infrastructures électriques peuvent également provoquer des incendies en cas de défaillance. Ces facteurs anthropiques, combinés aux conditions climatiques de plus en plus favorables aux incendies, rendent les zones de l’interface forêt-habitat particulièrement sensibles. En 2021, par exemple, les incendies en Californie ont détruit des milliers de maisons situées dans des zones de WUI, causant des milliards de dollars de dégâts (Cal Fire, 2021).

Anticipation et adaptation des bâtiments face aux feux de forêt

Dans un scénario de réchauffement climatique où la France atteindrait +4°C en 2100, près de 90 % du territoire hexagonal serait alors exposé à des niveaux élevés ou très élevés de risque de feux de forêt, affectant près de 43 % du parc immobilier (étude EcoTRACC de l’Observatoire de l’Immobilier Durable, 2023).

Les dommages pour les biens et les personnes sont directs (morts, blessés, destruction de bâtis, etc.) mais également diffus. Par exemple, les cendres et les fumées issues de la combustion peuvent endommager les systèmes de ventilation et les composants électriques. De plus, les conséquences en termes de pollution et de santé publique sont également à considérer.

Dans ce contexte, l’anticipation et les stratégies d’adaptation sont essentielles pour le secteur. Afin d’y contribuer, l’OID a mis à disposition sur son outil de gestion des risques climatiques Bat-ADAPT, deux indicateurs pour évaluer l’exposition des bâtiments aux feux de forêt. À cela s’ajoute une matrice de vulnérabilité établie sur des critères de sensibilité des bâtiments et les enjeux d’usage (mise en ligne en juin 2024).

Ces indicateurs permettent aux acteurs du secteur et à la société en général de prendre des mesures de préparation et d’adaptation pour leurs actifs immobiliers : débroussaillement des espaces extérieurs et réduction de la vulnérabilité intrinsèque du bâtiment. La conception et l’entretien d’un bâtiment peuvent le rendre moins vulnérable aux incendies. L’étanchéité des ouvertures à l’air et aux fumées est impérative. Les toitures doivent être régulièrement nettoyées pour éviter l’accumulation de feuilles et d’aiguilles, notamment dans les gouttières et les angles. Les aérations doivent être équipées de grillages à mailles fines pour éviter l’entrée de brandons. Au-delà de la maison elle-même, il est important d’entretenir la parcelle et l’environnement immédiat du bâti. On peut pour ce faire éloigner les tas de bois, abris de jardin, haies et autres objets potentiellement inflammables d’au moins 10 mètres de l’habitation. Les citernes de gaz et de fioul doivent, si possible, être enterrées. En outre, un guide relatif aux aménagements des haies à proximité des habitations, créé à l’initiative de l’ONF, précise le degré de sensibilité des différentes espèces ornementales.

De la prévention des incendies

Corrélativement avec l’augmentation des incendies, la mortalité tend également à s’accroître. Selon l’Emergency Events Database (EM-DAT) de l’université catholique de Louvain, 2023 a été l’année la plus meurtrière du XXIe siècle, avec 97 morts et 31 disparus dans les incendies à Hawaï, 34 tués en Algérie, au moins 26 en Grèce. A contrario, le feu le plus meurtrier en France concerne celui de Cestas en Gironde en 1949 (82 morts).

Institués en 1995, les plans de prévention des risques d’incendies de forêt (PPRIF) sont un outil encore trop peu mis en place et pas assez prescriptif pour le risque de feux de forêt. Un peu plus de 200 communes sont couvertes par un PPRIF, dont près de la moitié se situe en région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Le risque d’incendie de forêt et de végétation est avant tout un risque anthropique. C’est donc sur sa part sociale, que la prévention devrait s’orienter. A l’heure actuelle, il n’existe pas de prévention spécifique pour les bâtiments et leurs habitants en dehors des obligations légales de débroussaillement. En cas d’incendie, seule l’évacuation sera proposée lorsque le bâti et ses occupants sont directement menacés. Pourtant, la part humaine du risque étant prépondérante, la part dédiée à la prévention devrait être supérieure à la lutte active contre le feu, a fortiori dans une trajectoire de réchauffement à +4°C en 2100.

Bibliographie

  • Cal Fire. (2021). « 2021 Fire Season ». California Department of Forestry and Fire Protection.
  • EcoTRACC de l’Observatoire de l’Immobilier Durable, 2023
  • Lampin-Maillet C. (2009) Caractérisation de la relation entre organisation spatiale d’un territoire et risque d’incendie : Le cas des interfaces habitat-forêt du sud de la France. Sciences de l’environnement. Université de Provence, Aix-Marseille I, 2009.
  • Ministère de la Transition Écologique, France. (2023). « Feux de forêt : causes, prévention et lutte.
  • ONF (Office National des Forêts). (2023). « Bilan des feux de forêt en France.
  • Radeloff, V.C., Hammer R.B., Stewart, S.I. (2005b). Rural and suburban sprawl in the U.S. Midwest from 1940 to 2000 and its relations to forest fragmentation. Conserv. Biol. 19 (3), 793-805.
  • Base de données Gaspar
  • Données ONF-DFCI
  • Emergency Events Database (EM-DAT)


[1] Base de données Gaspar

[2] Données ONF-DFCI

[3] Ibid.

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