Dernier évènement en date de la mise en œuvre du Dispositif Eco-Energie tertiaire, le Ministère de la transition écologique a annoncé dans un communiqué accorder une période de tolérance aux assujettis. Alors que la date butoir du 30 septembre 2022 était imminente, cette annonce illustre à quel point l’application concrète du dispositif reste ardue.
Le Dispositif Eco-Energie tertiaire, un texte inédit et innovant
Depuis trois ans, tout ou presque a été écrit sur le Décret tertiaire devenu DEET. De ses détracteurs les plus tenaces friands d’actions procédurières aux bons élèves tâchant de bonne foi de comprendre ses multiples subtilités, l’ensemble du secteur a un avis sur le texte et ses conséquences.
Alors notons d’abord que le texte innove foncièrement : alors que nombre de dispositifs s’attachent à une obligation de moyens, et ne permettent pas d’assurer nécessairement une baisse des consommations énergétiques, le DEET raisonne en consommation réelle, et prévoit des paliers significatifs. 40% de réduction de consommation énergétique en 2030, 50% en 2040 et 60% en 2050. Ces chiffres de diminution relative doivent être calculés par rapport à une année de référence qui ne devra pas être antérieure à 2010. Ce qui compte c’est le résultat, à l’ensemble de la filière d’imaginer les voies et moyens de l’atteindre !
Autre spécificité : ce texte, qui vise spécifiquement l’immobilier tertiaire significatif (avec des surfaces tertiaires supérieures à 1000 m²), ne met finalement pas les propriétaires bailleurs en première ligne. Il leur associe consubstantiellement les utilisateurs des espaces, leurs usages, leurs modes de consommations et en font des acteurs tout aussi fondamentaux de la baisse des consommations réelles. Sur la plateforme OPERAT en charge de collecter les remontées de consommations énergétiques, les utilisateurs peuvent d’ailleurs créer leur entité et mener leur déclaration de façon autonome.
Ce faisant, le DEET transforme fondamentalement les relations entre bailleurs et preneurs. De négociations commerciales aux intérêts économiquement antagonistes, il pourrait permettre d’initier une véritable dynamique partenariale, de parties tenues d’atteindre un objectif commun. Cette dynamique a un potentiel bien plus grand que la mise en place en leurs temps des annexes environnementales.
Un déploiement ralenti et laborieux
Pour autant, la mise en œuvre concrète semble aujourd’hui encore compliquée pour les acteurs. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer.
Tout d’abord, la volonté du Ministère de la Transition écologique de mener une concertation avec les acteurs de l’immobilier public et privé s’est soldée par un semi-échec. Si elle a permis d’avancer pragmatiquement sur certaines typologies d’actifs, elle a aussi mis en exergue l’impossibilité du consensus sur d’autres typologies, et ralenti l’ensemble du processus réglementaire associé. Alors que certaines typologies d’actifs sont toujours en attente de publication des valeurs absolues applicables, cette situation peut générer de l’attentisme chez certains acteurs, pour qui il serait aujourd’hui surtout « urgent d’attendre ». Conséquence évidemment inverse à l’effet recherché, et qui impacte la dynamique d’action !
Ensuite, l’arrivée de la pandémie du COVID-19 a également compliqué la donne. En mettant un coup de frein à la concertation mentionnée tout d’abord, puis en rendant cette année 2020 tellement atypique, du fait des confinements successifs et du retour laborieux au bureau, qu’il devenait de ce fait impossible de l’intégrer au calcul d’une trajectoire.
Enfin, en élargissant la responsabilité des remontées de consommations énergétiques à l’ensemble des acteurs, la puissance publique pose comme interlocuteurs des profils très divers, allant de simples PME à de grands noms du CAC40. On l’imagine, l’anticipation des obligations réglementaires n’a rien à voir selon ce type de structures. Et encore aujourd’hui, un certain nombre de locataires de surfaces tertiaires ne savent toujours pas qu’ils sont assujettis au DEET.
OPERAT, une plateforme en devenir
Dans ce contexte, la décision d’accorder une période de tolérance aux remontées de consommation sur la plateforme OPERAT pilotée par l’ADEME semble finalement tout à fait logique. Beaucoup d’acteurs n’ont pas complètement finalisé leur déclaration, d’autres ne se savent pas concernés.
Concrètement ce décalage se décline en plusieurs volets. Pour les personnes ayant déjà effectué leurs saisies, il sera possible de les modifier autant de fois que nécessaire jusqu’à la fin de l’année. Pour celles n’ayant toujours pas effectué l’entièreté de leurs remontées de consommations, la date butoir est également reportée au 31 décembre 2022. Enfin, et ce n’est pas la moindre des informations du communiqué, l’année de référence pourra être modifiée et ajustée jusqu’à fin 2023.
L’ensemble de ces dispositions donne donc du temps, aux assujettis évidemment pour effectuer leurs obligations réglementaires, mais également au Ministère et à l’ADEME de continuer le déploiement de la plateforme et ajouter de nouvelles fonctionnalités.
Ainsi, l’enjeu de pouvoir simuler différentes années de références avant d’opter pour un choix définitif redevient d’actualité. Le calcul des objectifs, notamment en valeur relative, devrait également être mis en place prochainement. Les formules d’ajustement climatique, encore en cours de finalisation, pourront ainsi être communiquées de façon définitive.
Pour autant, même si le mode d’emploi d’OPERAT est loin d’être maîtrisé, il faut reconnaître que le travail de remontée des données des consommations a permis aux acteurs de se pencher de plus près sur le comportement énergétique de leur patrimoine d’actifs, et de mieux comprendre le fonctionnement énergétique de leurs bâtiments, ainsi que l’impact de l’utilisation sur la consommation d’énergie.
Les attentes suscitées par la mise en œuvre du DEET sont grandes ! Le texte s’inscrit dans l’ensemble des réglementations permettant d’atteindre la quasi-neutralité carbone du secteur du bâtiment en France en 2050. Alors que le taux de renouvellement du parc par la construction neuve reste extrêmement limité (environ 1% pour le parc de bureaux), la transition énergétique et environnementale du parc existant est un enjeu crucial. Pour y parvenir, embarquer l’ensemble des parties prenantes, des grands propriétaires aux family offices plus confidentiels, des multinationales soucieuses de leur image de marque aux PME inconnues du grand public, constitue donc un défi d’envergure !