Décarbonation du bâtiment : dans quelle mesure l’inclusion du nucléaire dans la taxinomie européenne va impacter les stratégies européenne et française ?

Dans un contexte où les impacts sur l’environnement sont de plus en plus marquants, la France affiche la volonté de décarboner son économie. Le secteur du bâtiment, faisant partie des secteurs les plus émissifs avec plus d’un quart des émissions de gaz à effet de serre et 45% de l’énergie consommée, vise la décarbonation quasi-complète à horizon 2050. Pour ce faire, les acteurs de l’immobilier doivent poursuivre leurs efforts de réduction de la consommation de leurs bâtiments. En dehors de ces actions qui constituent une part non négligeable du plan de décarbonation, le mix énergétique français devrait évoluer avec d’une part les annonces sur le nucléaire faites par le gouvernement français le 10 février 2022 et d’autre part l’influence de la Commission européenne dans le cadre de la taxinomie.

 

Secteur du bâtiment : quelles sont les exigences en matière de décarbonation ?

La France s’est fixé plusieurs objectifs en matière de décarbonation. Ces objectifs sont précisés par ces deux mécanismes dont les dernières versions datent de 2020 : la Stratégie Nationale Bas Carbone et la Programmation Pluriannuelle de l’énergie.

La Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) désigne la feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique. Elle donne des orientations pour mettre en œuvre, dans tous les secteurs, la transition vers une économie bas-carbone. Elle définit une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre jusqu’à 2050 et fixe des objectifs à court et moyen terme au travers de budgets carbone.

Pour le secteur du bâtiment, la SNCB fixe plusieurs paliers dont la réduction de 49% des émissions en 2030 puis la décarbonation complète du secteur (-95% des émissions, objectif du 4ème budget carbone) prévue en 2050. Cette décarbonation doit s’accompagner d’une stratégie massive de rénovation et d’une refonte du mix énergétique. Par ailleurs, ce mix énergétique impacte également les émissions de carbone de l’industrie, et par conséquent, celle des matériaux utilisés dans la construction des bâtiments.

Historique des émissions de GES du secteur du bâtiment, 2020, Stratégie Nationale Bas Carbone

 

La refonte du mix énergétique est précisée par les orientations énergétiques fixées à horizon 2028 par la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE).

Le secteur du bâtiment doit réduire de 35% la consommation d’énergies fossiles et de 16,5% la consommation finale d’énergie d’ici 2028 par rapport à 2012 et de 50% la part du nucléaire dans la production d’électricité en 2035.

C’est donc bien un double mouvement que doit opérer le secteur immobilier pour l’atteinte de la décarbonation : d’une part, une réduction de la consommation énergétique, et d’autre part le recours à des énergies plus vertes et moins carbonées. Dans ce contexte, l’intégration du nucléaire et gaz naturel dans l’acte délégué provisoire du 2 février 2022 questionne le périmètre des sources d’énergie acceptables dans un objectif de neutralité carbone à horizon 2050.

 

Taxinomie européenne : un élargissement des énergies « vertes »

La taxinomie européenne est un outil de classification des activités qui définit des « critères permettant de déterminer si une activité économique est considérée comme durable sur le plan environnemental, aux fins de détermination du degré de durabilité environnementale d’un investissement* ».

En mettant en place cette classification, la Commission européenne sélectionne les activités ayant un fort impact sur l’un des six objectifs environnementaux déterminés (l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, la gestion durable des ressources en eau, l’économie circulaire, la prévention de la pollution et l’écosystème sain) ou une marge de progression importante. Dans cette logique, plusieurs types d’activités sont distingués : les activités qui contribuent déjà à l’un des six objectifs environnementaux (« own performance »), les activités transitoires, c’est-à-dire qui n’ont pas de solutions de remplacement bas carbone pour l’objectif d’atténuation du changement climatique mais qui peuvent contribuer à l’un des six objectifs environnementaux et les activités habilitantes qui ne contribuent pas mais aident les autres activités à contribuer aux objectifs environnementaux.

Rendant possible l’accès à une électricité fortement décarbonée, le nucléaire représente 70,9% de l’énergie produite en France, utilisée notamment dans le secteur du bâtiment. Pour autant, le secteur du bâtiment, notamment le résidentiel, dépend encore trop fortement des énergies fossiles.

Consommation énergétique en énergie finale (en TWh) corrigées des variations climatiques pour le résidentiel, Ministère de la Transition écologique 2021

 

En 2019, le Réseau de transport d’électricité (RTE) évaluait les émissions moyennes de l’électricité française à 35 g de CO2 par kWh, soit 12 fois moins que le gaz. Le nucléaire constitue donc malgré tout un atout non négligeable qui pourrait contribuer à la neutralité carbone en France et en Europe à l’horizon 2050.

Pour autant et par « principe de précaution », la Commission européenne n’a intégré ces énergies qu’au rang d’« activités transitoires ». Ce rang se justifie par le principe DNSH (Do No Significant Harm) qui oblige les activités à ne pas causer de préjudice important aux autres objectifs environnementaux tel que la pollution ou l’économie circulaire, mais prend en compte la réalité de points de départs des pays et leurs marges de progression.

 

Ainsi, à l’heure où le gouvernement français prend la tête de la présidence de l’Europe pour six mois et vient de remporter une victoire relative, les acteurs immobiliers pourraient s’attendre à une reconsidération du développement de l’énergie nucléaire en Europe.

 

Reconsidération du développement de l’énergie nucléaire : plan de relance du gouvernement à l’approche des élections présidentielles

Dans le cadre de sa préparation aux élections présidentielles, le gouvernement du président Macron a annoncé un plan de relance énergétique prévoyant, compte tenu des besoins énergétiques, un programme de mise en service de nouveaux réacteurs nucléaires et le déploiement massif des énergies renouvelables. Ce programme comprend la construction de 6 à 14 EPR2 et une multiplication de la puissance des énergies renouvelables pour 2050. Le lancement du programme est prévu pour 2028, « pour une mise en service du premier réacteur à l’horizon 2035 », impliquant une révision de la Programmation Pluriannuelle en 2023.

Ce plan reprend plusieurs scénarios mais s’approche le plus du scénario « N2 » établi par le Réseau de Transport de l’Electricité dans Futurs énergétiques 2050. Ce scénario passe par la mise en service de réacteurs nucléaires de type EPR2 (version optimisée du réacteur pressurisé européen) et par le développement des énergies renouvelables, afin de mettre en service 14 nouveaux réacteurs EPR2 d’ici 2050. Ainsi, en suivant ces objectifs, le mix énergétique en 2050 fortement décarboné devrait être composé de 36% de production nucléaire et 64% de production issue des énergies renouvelables.

Projections des capacités et du bilan énergétique des diverses sources de production d’électricité, 2021, Futurs énergétiques 2050

 

Quel est l’impact de ces annonces au niveau européen et français ?

Le mix énergétique varie d’un pays à l’autre au sein de l’Union Européenne et place la Commission européenne devant des arbitrages difficiles. Toutefois les annonces de la Commission européenne pourraient favoriser les financements de l’énergie nucléaire en Europe, confortés par le respect des critères fixés dans l’acte délégué complémentaire pour les objectifs climatiques.

Ces annonces auront des effets plus techniques notamment sur les besoins transfrontaliers et la diversification du mix électrique. En effet, les choix d’un pays en matière de mix énergétique ont nécessairement un impact sur la situation des autres pays dans un système interconnecté. La fermeture de centrales pilotables (nucléaires par exemple) dans un pays va accroître les besoins d’importation d’électricité de ce pays, ce qui augmentera le prix de gros dans tous les pays limitrophes.

Au vu des conséquences, les bâtiments résidentiels dépendant fortement des énergies fossiles, se verraient contraints à long terme d’effectuer ce virage.

 

 

Les récentes annonces sur le nucléaire avec l’acte délégué de la taxinomie européenne et les propositions de fin de mandat sur la stratégie énergétique nationale auront un impact sur la stratégie de décarbonation du bâtiment, et sa capacité à atteindre la dernière marche de l’objectif ambitieux qui est fixé à horizon 2050. Cette intégration pose question quant à la sobriété énergétique, et le fléchage du financement vers ces types d’énergies. Pour autant, ces objectifs à la charge des Etats-membres ne doivent pas freiner les actions des acteurs immobiliers : actions sur le choix des matériaux, la sensibilisation des occupants, les leviers de performance énergétique, qui constituent indépendamment des décisions étatiques une étape indispensable vers la décarbonation.

*Article 1 du règlement (UE) 2020/852

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