La biodiversité, au cœur de nombreux défis écologiques actuels, subit de fortes pressions à l’échelle mondiale, amplifiées par des crises interconnectées. Le récent rapport « Nexus » de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) offre une évaluation inédite des interrelations entre cinq crises mondiales : la biodiversité, l’eau, l’alimentation, la santé et le changement climatique. Ce rapport dévoile l’ampleur des risques associés à ces crises imbriquées et l’urgence de repenser nos réponses politiques et dans des secteurs comme l’immobilier et l’urbanisme, pour intégrer un modèle plus durable.
Cinq crises : répondre aux défis interconnectés
La dégradation de la biodiversité et le changement climatique sont intimement liés. Les écosystèmes sains jouent un rôle primordial dans la régulation du climat, en amortissant les phénomènes météorologiques extrêmes et en absorbant le carbone. Or, la perte de biodiversité, qui diminue de 2 à 6 % chaque décennie, réduit cette capacité d’absorption et accélère ainsi le réchauffement climatique. Parallèlement, l’accès à l’eau, la sécurité alimentaire, la santé et la résilience aux catastrophes naturelles sont menacés, mettant en péril l’équilibre de nos sociétés.
De plus, la perte de biodiversité résulte de pressions multiples, directes (comme la surexploitation des ressources naturelles et la pollution) et indirectes (comme l’urbanisation, la croissance démographique et la surconsommation). À l’échelle mondiale, des investissements annuels de l’ordre de 7 000 milliards de dollars sont consacrés à des activités qui accélèrent cette dégradation, tandis que plus de la moitié de la population mondiale subit les effets de cette crise.
Les défis économiques et sectoriels
Les décisions économiques, souvent motivées par des rendements financiers à court terme, omettent souvent les coûts externes liés à la dégradation de l’environnement. Pourtant, ces coûts invisibles, estimés entre 10 et 25 000 milliards de dollars par an, pèsent lourdement sur l’économie mondiale et exacerbent les inégalités sociales.
L’immobilier et le bâtiment représentent un secteur clé dans la lutte contre la dégradation de la biodiversité. Le changement d’usage des terres pour la construction, l’infrastructure et l’extension des villes contribue à la perte d’habitats naturels et à la déforestation, accentuant ainsi les effets négatifs sur les écosystèmes. Ce processus met également en danger les services écosystémiques essentiels tels que l’absorption du carbone, la régulation de l’eau et la protection contre les risques climatiques (inondations, vagues de chaleur, etc.).
Réponses globales, solutions connectées : adopter une approche intégrée
Le rapport de l’IPBES met en avant plusieurs solutions pour lutter contre la perte de biodiversité tout en répondant aux enjeux climatiques, de santé et de développement. L’intégration de ces solutions nécessite une gouvernance du « nexus » qui dépasse les frontières traditionnelles des politiques sectorielles. Parmi les options clés figurent des stratégies comme la gestion durable des ressources naturelles, l’utilisation des écosystèmes pour lutter contre le changement climatique et l’adoption de modèles économiques intégrant la valeur des services écosystémiques.
Dans le secteur de l’immobilier et de la ville, plusieurs réponses se distinguent pour concilier développement urbain et préservation de la biodiversité :
- Solutions basées sur la nature en milieu urbain : Ces solutions visent à intégrer la nature dans les villes pour renforcer la résilience face aux risques climatiques. Les infrastructures vertes, telles que les parcs, les jardins urbains ou les toitures végétalisées, permettent de réduire les îlots de chaleur, d’améliorer la qualité de l’air et d’offrir des espaces de bien-être aux habitants.
- Infrastructures sensibles à l’eau : L’adoption de conceptions urbaines respectueuses de l’eau, telles que les systèmes de collecte des eaux pluviales ou les jardins filtrants, permet non seulement de préserver les ressources en eau, mais aussi de protéger la biodiversité en réduisant les risques d’inondation et de pollution.
- Réhabilitation des écosystèmes : La restauration de zones naturelles dans les zones urbaines ou périurbaines peut avoir des effets bénéfiques multiples, notamment pour la régulation du climat, la gestion des eaux et la santé mentale des citadins. Cette approche de réensauvagement (rewilding) peut contribuer à reconnecter les populations urbaines avec la nature, tout en restaurer les processus écologiques essentiels.
- Conservation des habitats et espaces protégés : L’intégration de stratégies de conservation dans les projets urbains, telles que la création de corridors écologiques ou l’adoption de mesures de conservation plus larges à l’échelle paysagère, permet de protéger la biodiversité tout en soutenant des objectifs de développement durable.
Gouvernance et financement : repenser les priorités économiques
Le rapport de l’IPBES souligne la nécessité de transformer les systèmes économiques pour financer la préservation de la biodiversité et lutter contre le changement climatique. L’un des leviers majeurs réside dans la refonte des politiques financières : augmenter le coût des dommages causés à la nature, réduire les subventions néfastes et développer de nouveaux mécanismes de financement pour la biodiversité et les infrastructures durables.
Aujourd’hui, le financement nécessaire pour atteindre les objectifs mondiaux en matière de biodiversité, d’eau, d’alimentation, de santé et de climat est largement insuffisant. Selon l’IPBES, il manque entre 300 et 1 000 milliards de dollars par an pour soutenir la biodiversité, et plus de 4 000 milliards pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD). Cela souligne l’importance d’intégrer la nature dans les stratégies économiques et de rendre plus visibles les coûts écologiques des activités humaines.
Des villes résilientes grâce à la biodiversité
L’intégration des objectifs de biodiversité et de développement durable dans les politiques urbaines et immobilières est essentielle face aux crises écologiques actuelles. Le secteur de l’immobilier, au croisement des enjeux économiques, sociaux et environnementaux, joue un rôle clé dans cette transition.
Le rapport de l’IPBES recommande une approche systémique, où la biodiversité est un élément central des stratégies urbaines. Cela implique de repenser l’aménagement des espaces bâtis pour qu’ils coexistent harmonieusement avec la nature, en intégrant des espaces végétalisés, en restaurant les écosystèmes locaux et en maximisant les co-bénéfices, comme la gestion des eaux pluviales ou l’amélioration de la qualité de l’air, pour renforcer la résilience des villes.
Pour passer de l’ambition à l’action, une gouvernance inclusive est nécessaire. Promoteurs, collectivités, investisseurs et citoyens doivent se mobiliser autour d’une vision commune, en utilisant des outils comme les indicateurs de biodiversité et les référentiels développés dans des programmes tels que Biodiversity Impulsion Group et BIODI-Bat. Ces outils permettent de suivre les impacts des projets immobiliers sur la biodiversité tout en répondant aux exigences de transparence.
Cette transition implique également une transformation des modèles économiques. Investir dans des bâtiments et infrastructures durables répond aux exigences réglementaires tout en créant de la valeur à long terme. Les attentes croissantes des investisseurs et des utilisateurs en matière de durabilité renforcent cette tendance.
En somme, le secteur immobilier doit se positionner comme un acteur central dans la construction de villes durables, protégeant la biodiversité et offrant un cadre de vie résilient pour les générations futures. Agir dès aujourd’hui de manière coordonnée est indispensable pour concrétiser cette vision.