Juliette Daire est chargée de projets sénior au sein de l’OID, et travaille en particulier sur les enjeux de finances responsables. Alors que l’année 2024 a été marquée par les premières démarches liées à la CSRD, et que le contexte général des reportings ESG se densifie, elle nous partage sa compréhension de ces sujets clés et leurs liens avec les enjeux de valorisation.
Comment les acteurs accueillent les nouvelles exigences règlementaires en matière de reporting extra-financier ?
Juliette Daire : Pour le moment, les obligations réglementaires relatives aux reportings sur les enjeux d’environnement, sociaux, et de gouvernance (ESG) conservent une certaine opacité pour le grand public. Par conséquent leur impact demeure restreint et moins marqué qu’une labellisation ISR par exemple.
En parallèle, ces efforts de transparence ont un coût, en ressources humaines notamment – pour un reporting CSRD cela peut représenter six mois de l’année pour une équipe ESG, il faut collecter énormément de données, les agréger et les faire rentrer dans le cadre du reporting. Ces coûts ne peuvent pas être endossés par toutes les structures, et même pour les plus importantes, peuvent parfois se révéler trop élevés quand comparés aux bénéfices, du fait justement de la méconnaissance des textes. Certains renoncent donc, ce qui contribue à l’opacité du dispositif.
Comment cette situation est-elle susceptible d’évoluer ?
JD : L’opacité qui entoure les enjeux de reporting est susceptible de se dissiper assez vite.
D’abord parce que le spectre d’acteurs assujettis devrait s’élargir rapidement. Par conséquent tous les acteurs vont devoir se familiariser avec les principaux cadres de reportings et en particulier la Taxinomie européenne, soit parce qu’ils sont amenés à être directement concernés, soit parce que leurs interlocuteurs en amont ou en aval de leur chaine de valeur vont leur transmettre ce type d’exigences.
Ensuite parce que la réglementation a laissé une certaine marge de manœuvre aux acteurs, et aujourd’hui l’hétérogénéité des reportings sur certains aspects peut entretenir une forme de confusion. C’est ce qu’on observe sur certains niveaux de preuves pour assurer le respect des critères (de contribution et DNSH) dans le cadre de la Taxonomie européenne. Cependant, le temps devrait pousser à l’harmonisation des pratiques.
On est aujourd’hui dans une phase d’accélération des pratiques de reporting, cette forte accélération est indigeste et donc entame l’impact, à court terme, des enjeux de reporting en question. Mais à moyen terme, on peut s’attendre à un impact beaucoup plus conséquent et généralisé, et c’est d’ailleurs ce à quoi les acteurs se préparent.
Quels types d’impacts peut-on attendre en matière de valorisation ? Est-ce qu’on peut voir émerger une « reporting value », l’équivalent d’une valeur verte ?
JD : On peut anticiper un impact sur la liquidité financière d’une part. Plusieurs banques mettent en place le Green Asset Ratio (GAR) comme indicateur ESG, et cette démarche les pousse à être particulièrement attentifs aux éléments de reportings et à développer une forme d’attractivité pour les actifs les plus vertueux. Cette attractivité peut se matérialiser par des taux préférentiels par exemple.
D’autre part, on peut aussi anticiper une autre forme « reporting value » si les exigences de reporting évoluent selon l’ «esprit de la loi » de la Taxinomie. A terme, une Taxinomie brune pourrait être déployée, cadre miroir au dispositif actuel, avec des obligations de reportings sur les activités nocives au regard des critères ESG. Avec cette « taxinomie brune », les obligations de reportings prendraient une autre dimension et les répercussions sur les valorisations seraient inévitables.
Quels effets pervers peut-on observer et comment les contourner ?
JD : Le reporting actuel récompense l’excellence environnementale, mais fait peu de cas des actifs qui cherchent à atteindre ce statut sans encore y être, ou qui sont au moins dans une démarche de transition. Le résultat c’est un marché sur lequel on s’échange des actifs primes neufs, sans réelle progression du parc global existants.
Pour y faire face, il faut que les que les entreprises ne se cantonnent pas au respect des exigences réglementaires. Un bon nombre de paramètres ne sont pas pris en compte, pas attendus par la réglementation qui ne pourra jamais être exhaustive. Il est important que les acteurs continuent d’innover et de se démarquer sur les sujets environnementaux, afin de promouvoir les éléments vertueux qui demeurent hors du cadre réglementaire.
Comment est-ce que l’équipe « Finance Responsable » de l’OID compte faire sur ce point ?
JD : Nous allons continuer de diffuser et d’encourager les bonnes pratiques d’une part, en poussant ceux qui en ont les moyens à aller au-delà du cadre réglementaire. D’autre art nous allons prolonger nos travaux pour aider les petites équipes à s’acculturer de manière facile et accessible à toutes ces pratiques de reportings. C’est ce que nous avons fait cette année avec des publications comme nos décryptages règlementaires (Règlement SFDR, Directive CSRD, Guide Taxinomie) ou notre étude sur les pratiques ESG des fonds immobiliers.
Il est important que l’OID soit une caisse de résonance sur ces sujets, pour les plus ambitieux, et une oreille pédagogue et attentive pour les plus néophytes. La réglementation ne pourra pas tout régler d’un coup, et nous devons apporter nous-mêmes les évolutions que nous souhaitons voir standardiser dans le cadre de reporting demain.