Mesurer l’empreinte eau : vers des bâtiments à consommation responsable

La France bénéficie d’une abondance de ressources en eau douce, avec environ 210 milliards de m³ renouvelés annuellement sur son territoire hexagonal (MTECT, 2023). Cette quantité semble suffisante pour couvrir les besoins nationaux, la consommation annuelle s’élevant à 4,1 milliards de m³. Toutefois, la sécurité hydrique de la France n’est pas garantie et malgré cette abondance apparente, l’eau renouvelable a connu une baisse de 14 % entre les périodes 1990-2001 et 2002-2018 (SDES, 2022) ; la ressource diminue. En 2023, des épisodes de sécheresse ont sévèrement impacté environ 72 % des nappes phréatiques, entraînant des restrictions d’usage de l’eau sur plus de 40 % du territoire. Un exemple marquant est la sécheresse historique qui persiste depuis deux ans dans les Pyrénées-Orientales. Ces tendances s’inscrivent désormais comme la nouvelle norme.

Face à cette urgence, l’inaction n’est plus une option, l’adaptation est devenue cruciale et une transition vers une gestion plus sobre de l’eau est impérative. En France, tous les secteurs, y compris celui du bâtiment, doivent s’adapter aux conséquences de cette crise hydrique. Cela soulève des interrogations essentielles : Comment le secteur du bâtiment peut-il réagir et s’adapter ? Quelles actions mettre en place pour rendre le bâtiment responsable de sa consommation d’eau ? Et surtout, par où commencer ?

Dans cet article, nous allons nous pencher sur le rapport entre l’eau et les bâtiments, et comprendre pourquoi le secteur immobilier doit déchiffrer son empreinte hydrique.


Tous les bâtiments que nous construisons nécessitent de l’eau à chaque étape de leur réalisation. De l’extraction des matières premières à la fabrication des matériaux, en passant par le chantier, l’eau est consommée tout au long du cycle de vie. Le secteur du bâtiment en France est à un tournant, confronté à la nécessité de répondre à une demande croissante tout en réduisant son empreinte écologique. L’immobilier est l’un des plus grands consommateurs d’eau, non seulement lors de la construction, mais également durant l’ensemble du cycle de vie des bâtiments. Par exemple, pendant la phase d’exploitation, l’utilisation d’eau potable, qui représente 18 % des prélèvements d’eau douce en France, constitue le deuxième plus grand usage de cette ressource.

La canicule de 2003 et la sécheresse historique de 2022-2023 ont mis en évidence la fragilité de notre approvisionnement en eau, sensibilisant ainsi le secteur du bâtiment à sa propre vulnérabilité. L’appel est lancé et le cahier des charges est sans équivoque : le bâtiment doit être exemplaire en matière de sobriété. Au-delà de la simple quantification, un point clé consiste à repérer précisément les sources de gaspillage, telles que les fuites, qui représentent une part significative des pertes. En 2020, les réseaux de distribution enregistraient un taux de déperdition de 19,9 %, soit l’équivalent de la consommation annuelle d’environ 18 millions de personnes (OFB, 2020).

Améliorer la gestion de l’eau dans ce secteur est impératif, ce qui passe par la réduction de son empreinte hydrique. Cela exige une réflexion approfondie sur les pratiques d’utilisation de l’eau à chaque étape du cycle de vie des bâtiments, tout en favorisant des comportements qui préservent et valorisent cette ressource précieuse.

L’empreinte eau : qu’est-ce que cela signifie ?

L’empreinte eau désigne la quantité totale d’eau que nous utilisons dans notre vie quotidienne, que ce soit à titre individuel ou collectif. Pour une personne, cela englobe les habitudes quotidiennes, tandis que pour une entreprise, on s’intéresse à la consommation d’eau liée à l’ensemble de ses activités.

Cette empreinte peut être divisée en deux catégories : l’empreinte directe et l’empreinte indirecte. L’empreinte directe comprend les usages d’eau provenant du réseau, tels que l’eau utilisée pour la douche, le robinet, le lavage de la voiture ou l’arrosage des plantes. L’empreinte indirecte, quant à elle, concerne l’eau nécessaire à la production de nos biens et services, comme celle requise pour cultiver nos aliments ou fabriquer nos vêtements.

Pour quantifier l’empreinte hydrique totale, plusieurs méthodes sont disponibles. Certaines tiennent compte de la rareté de l’eau dans la région où elle est utilisée, tandis que d’autres évaluent la pollution générée par chaque usage. Lorsqu’il s’agit d’analyser l’empreinte hydrique, le Water Footprint Network propose trois catégories d’eau douce primordiales :

  • L’eau bleue fait référence à l’eau prélevée des ressources souterraines, de surface ou des réseaux. Elle est couramment utilisée pour la consommation humaine après traitement, ainsi que pour l’irrigation ou divers processus industriels.
  • L’eau verte désigne l’eau de pluie stockée dans le sol, qui alimente les cultures sans nécessiter d’irrigation artificielle.
  • L’eau grise représente les volumes d’eau nécessaires pour traiter et dépolluer les eaux usées résultant de la production de nos biens, afin de pouvoir les restituer à la nature. Pour en savoir plus

Comprendre l’empreinte eau des bâtiments sur l’intégralité de leur cycle de vie

Une première approche pour mieux comprendre l’empreinte hydrique des bâtiments consiste à examiner le volume total d’eau consommé au cours de leur cycle de vie, réparti en plusieurs phases clés.

Cette méthode systématique permet de repérer les principaux postes de consommation et d’optimiser les stratégies de gestion des ressources en eau.

  • Conception : Le choix des matériaux, leur production (béton, acier, verre) et l’intégration de systèmes économes en eau influencent l’empreinte d’eau dès le début.
  • Construction : La consommation d’eau sur les chantiers (nettoyage, mélange de matériaux) peut être optimisée en réutilisant l’eau et en réduisant le gaspillage.
  • Exploitation : L’eau utilisée au quotidien (alimentation, irrigation, nettoyage, HVAC) varie selon le type de bâtiment et peut être réduite grâce à des dispositifs économes et des systèmes de récupération d’eau.
  • Démolition ou rénovation : La gestion de l’eau pour les travaux de démolition ou de rénovation peut être optimisée par le recyclage des matériaux.
  • Empreinte indirecte : Il faut aussi considérer l’eau nécessaire à la production des matériaux et à la génération d’énergie pour le bâtiment.

Phase de conception – l’impact des matériaux

L’un des matériaux les plus couramment utilisés est le béton. Pour évaluer son empreinte hydrique, il est important de connaître sa composition, car il est lui-même constitué de plusieurs autres matériaux. Le schéma suivant, fourni par l’Association Béton Québec, illustre cette composition.

Image 1 – Composition moyenne d’1 m3 de béton ABQ

Parmi les différents composants, l’empreinte eau principale provient du ciment (liant) et de l’eau utilisée dans la fabrication du béton. Selon Gerbens et al, (2018), la production de 1 kg de ciment nécessite 212 litres d’eau. En tout, 32 litres d’eau sont requis pour produire 1 kg de béton. Compte tenu des quantités massives de béton utilisées dans la construction, l’empreinte hydrique associée à ce matériau peut rapidement devenir significative.

D’autres matériaux couramment employés dans le bâtiment ont également une forte empreinte hydrique. L’acier, par exemple, est l’un des matériaux avec l’empreinte la plus élevée. Toujours selon le même rapport, la production de 1 kg d’acier requiert environ 2 350 litres d’eau.

Le verre, lui aussi, est gourmand en eau. En moyenne, la production de 1 kg de verre nécessite 1 300 litres d’eau, ce qui représente environ 3 250 litres pour une fenêtre standard.

Enfin, la brique, bien que moins impactante que le béton, l’acier ou le verre, présente tout de même une empreinte hydrique notable. La production d’une brique consomme environ 3 litres d’eau, et pour une maison de 6 000 briques, cela correspond à environ 18 000 litres d’eau.

Phase de construction / rénovation –  l’impact du chantier

Les matériaux sont assemblés un à un pour former le bâtiment souhaité. Pendant la phase de construction, une importante quantité d’eau est utilisée sur le chantier, appelée eau « induite ». Cette consommation peut varier en fonction du type et de la taille du chantier. En général, l’eau est utilisée pour le nettoyage, les besoins des ouvriers, ainsi que pour la gestion des poussières.

L’eau pour le nettoyage constitue l’un des principaux usages de l’eau lors de la construction. Selon HILT les méthodes employées, l’utilisation de l’eau peut être une solution efficace. Par exemple, pour limiter les poussières, il est possible de procéder à la découpe, au forage ou au rainurage à l’eau.

En moyenne, un chantier consomme environ 3 000 litres d’eau par mètre carré de bâtiment construit, (Choudhuri et al. ,2014). Cependant, en comparaison avec les matériaux, cette empreinte reste relativement faible. Pour une maison de 100 m², la consommation d’eau liée au chantier représente environ 1 % du total, tandis que les matériaux en représentent 99 %.

Phase d’exploitation – L’impact de l’utilisation

Une fois la construction achevée, le bâtiment entre en phase d’exploitation, et sa consommation d’eau commence. Cette empreinte peut varier considérablement en fonction de l’usage du bâtiment. Par exemple, une piscine municipale consommera naturellement bien plus d’eau qu’une habitation individuelle.

Bien que l’empreinte hydrique liée à l’exploitation soit généralement inférieure à celle des matériaux ou du chantier, il est important de comprendre quels types de bâtiments consomment plus d’eau sur le long terme. Dans la suite de cet article, des exemples de consommations quotidiennes pour différents types de bâtiments seront présentés.

Il est possible de concevoir des bâtiments plus économes en eau en intégrant des solutions telles que la récupération des eaux pluviales ou l’installation de dispositifs économes en eau pour les robinets et toilettes. Ces mesures peuvent contribuer à réduire significativement la consommation d’eau tout au long de la vie du bâtiment.

Consommations d’eau dans différents types de bâtiments en France

En France, plusieurs études ont été menées pour estimer la consommation d’eau dans différents types de bâtiments. Les chiffres varient en fonction de l’usage du bâtiment et du nombre d’occupants.

  • Maison individuelle : L’empreinte directe moyenne est d’environ 150 litres d’eau par jour et par personne. Cette consommation inclut principalement l’eau utilisée pour les sanitaires, les douches, les cuisines et le nettoyage domestique. (CIE, 2024)
  • Bureaux : Dans un bureau, la consommation d’eau moyenne par employé est d’environ 100 litres par jour. Cette consommation comprend les usages sanitaires, l’entretien des locaux et éventuellement l’irrigation des espaces verts. (Activeau, 2023)
  • Écoles : Les écoles consomment en moyenne 20 litres d’eau par jour par élève, principalement pour les sanitaires et le nettoyage régulier des bâtiments. (Cteau, 2014)

Pour la répartition de la consommation d’eau dans le bâtiment elle se répartit généralement autour de postes similaires (Eau’dyssée, 2022) :

  • Sanitaires : Le poste sanitaire représente la plus grande part de la consommation d’eau, notamment pour les toilettes et les lavabos dans les maisons, les bureaux et les écoles.
  • Nettoyage et entretien : Le nettoyage régulier des locaux (sols, surfaces, vitrages) constitue un poste important, particulièrement dans les établissements accueillant du public, tels que les bureaux et les écoles.
  • Espaces verts : Pour les bâtiments dotés de jardins ou d’espaces verts, l’irrigation peut représenter une part significative de la consommation d’eau, en particulier durant les mois les plus chauds.
  • Restauration collective : Les écoles et les bureaux avec des cantines ou des cafétérias utilisent également une quantité importante d’eau pour la préparation des repas, le nettoyage de la vaisselle et l’entretien des cuisines.

Vers une gestion responsable de l’eau dans le bâtiment

L’empreinte d’eau des bâtiments, influencée par les matériaux, les processus de construction, la consommation durant l’exploitation et l’empreinte indirecte représente un défi majeur pour l’avenir du secteur. La consommation d’eau, pouvant atteindre jusqu’à 250 000 litres par mètre carré pour une maison type, souligne l’importance d’adopter des pratiques plus responsables.

Les réflexions du groupe de travail sur l’eau de BIG by OID et de l’équipe d’Hydros mettent en évidence la nécessité d’une approche globale pour réduire l’empreinte hydrique des projets immobiliers. Leur engagement constant dans la sensibilisation et l’accompagnement de pratiques responsables vise à encourager des actions concrètes pour réduire l’impact environnemental de la construction.

En prenant conscience de l’impact de chaque étape, de la conception à la construction, il est possible de limiter l’utilisation excessive de cette ressource vitale. En évaluant et en réduisant notre empreinte d’eau, tant à l’échelle individuelle que dans le secteur de l’immobilier, nous pouvons contribuer à la protection durable de cette précieuse ressource.

Pour aller plus loin, des outils tels que Mon Empreinte Eau permettent à chacun d’évaluer et de comprendre son propre impact hydrique. Nous vous invitons à découvrir cet outil, qui vous permet d’estimer votre consommation quotidienne en quelques minutes !

Bibliographie

A. Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. (2023). L’eau en France : ressource et utilisation – Synthèse des connaissances en 2023. Données et études statistiques. https://www.developpement-durable.gouv.fr

B. Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. (2013). Les prélèvements d’eau douce en France : les grands usages en 2013 et leur évolution depuis 20 ans. Données et études statistiques. https://www.developpement-durable.gouv.fr

C. Office Français de la Biodiversité (OFB). (n.d.). Réduction des pertes d’eau des réseaux de distribution d’eau potable. Guide pour l’élaboration du plan d’actions – Volume 3. Le portail technique de l’OFB. https://www.ofb.gouv.fr

D. Gerbens-Leenes, P. W., Hoekstra, A. Y., & Bosman, R. (2018). The blue and grey water footprint of construction materials: Steel, cement and glass. Science of the Total Environment, 613-614, 1174-1183. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2212371717300458

E. Hilti. (n.d.). La gestion de la poussière sur les chantiers. https://www.hilti.fr

F. Choudhuri, I., Biswas, K., & Biswas, R. (2014). Evaluating water footprint of building construction in India. ResearchGate. https://www.researchgate.net/publication/264163254

G. Centre d’Information sur l’Eau (CIEAU). (n.d.). Ressource en eau, eau potable, eaux usées : Quels sont les usages domestiques de l’eau ?. https://www.cieau.com/le-metier-de-leau/ressource-en-eau-eau-potable-eaux-usees/quels-sont-les-usages-domestiques-de-leau/

H. Activeau. (n.d.). Consommation d’eau dans les bâtiments collectifs. https://www.activeau.fr/consommation-eau-collectif.htm

I. Centre technique de l’eau. (2014). Annexes – Version Mai 2014. https://cteau.com/wp-content/uploads/2016/03/Annexes-ABCDEFGH-version-Mai-2014.pdf

J. Eaudyssée. (n.d.). Le saviez-vous ?. https://www.eaudyssee.org/ateliers-ludiques-eau/le-saviez-vous/

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