Feux de Forêt, sécheresses et retrait-gonflement des argiles (RGA), un défi pour l’Immobilier dans une France à +4°C – Partie 2 : sécheresse et RGA

La France a pris un tournant décisif en matière de politique climatique en mettant l’accent sur l’adaptation, auparavant négligée au profit de l’atténuation. Le rapport de la Cour des comptes, soulignant les lacunes et les besoins urgents en matière d’adaptation au changement climatique, a renforcé le changement de perspective. Engager de force dans une nouvelle trajectoire à +4°C, le secteur immobilier doit se mobiliser pour intégrer à la fois l’atténuation et l’adaptation, assurant la sécurité, le confort, l’habitabilité des bâtiments et les modes de vie des générations futures.

Augmentation des épisodes de sécheresse et RGA

L’augmentation des températures impacte également l’hygrométrie du sol. Depuis, les deux dernières décennies, les épisodes prolongés de sécheresses des sols se font plus fréquents. L’impact est manifeste et direct pour le secteur agricole mais le secteur immobilier est désormais concerné par le phénomène de retrait-gonflement des argiles, d’autant plus que la proportion d’argile dans le sol est importante sur le territoire français.

Contexte géologique français et phénomène de retrait-gonflement des argiles

La France métropolitaine est dotée d’un substrat majoritairement argilo-calcaire du fait de l’importance de ces trois principaux bassins sédimentaires : Le Bassin parisien, le Bassin aquitain et le bassin du Sud-est. Ces trois bassins sont le résultat des dépôts d’argiles et de calcaires dans une mer peu profonde, chaude, peuplée d’Ammonites et parsemée de récifs coralliens, à l’ère secondaire. Le reste du territoire est marqué par les massifs anciens granitiques (Massif central, armoricain et les Vosges) et par les montagnes plus récentes (Jura, Alpes et Pyrénées) datant de l’ère tertiaire.

Figure d’après Lamine Ighil-Ameur. Les maisons et les routes exposées au RGA à l’épreuve de l’adaptation au changement climatique. 11èmes journées nationales de géotechnique et de géologie de l’ingénieur, INSA, Lyon, Jun 2022

Les argiles sont des matériaux sédimentaires imperméables et extrêmement plastiques. Ils disposent d’une grande capacité de rétention d’eau qui permet notamment la formation des nappes phréatiques. Leur granulométrie est fine et présente des propriétés colloïdales constitutives du phénomène de retrait et de gonflement, marqueur d’instabilité des sols. En effet, les particules d’argiles vont s’agglomérer – on dit qu’elles floculent – pour former une masse compacte et plastique. En fonction de la teneur en eau, les sols argileux se gonflent (quand il y a plus d’humidité) ou se rétractent (avec moins d’humidité).

Les sols argileux présentent des variations de volume parfois importantes lorsque leur teneur en eau varie, en fonction des conditions climatiques et de la végétation. Ces variations de volume affectent les fondations et les constructions en contact avec le sol et sont la cause de dommages particulièrement importants dans les périodes de sécheresse : dans les climats tempérés, les argiles sont généralement proches de leur état de saturation en eau. C’est donc lors des sécheresses que la rétractation se produit : verticalement (par un « tassement ») et/ou horizontalement (avec apparition de crevasses), avec des conséquences sur les constructions que ces sols soutiennent.

Le risque de sécheresse et RGA

L’augmentation récente des épisodes de sécheresses – principalement estivales – a contribué à la médiatisation des conséquences du risque de retrait-gonflement des argiles (RGA) pour le secteur immobilier (Rouquette et Bihay, 2021). Alors que les articles sur les dommages bâtimentaires (fissuration plus ou moins dramatique) se multiplient et rendent visibles pour le grand public un risque naturel autrefois minimisé, les possibilités de remédiation restent confidentielles. Cet état de fait exacerbe la détresse psychologique des acteurs exposés[2] et confrontés à ce risque croissant, du fait du changement climatique et des scénarios météorologiques futurs.

Jusqu’à récemment le risque de RGA était englobé dans la catégorie générique des mouvements de terrain[3]. L’explosion de la sinistralité depuis une dizaine d’années a conduit à une individualisation du risque et la création d’une catégorie spécifique depuis 2016 pour permettre son indemnisation dans le cadre de la loi du 13 juillet 1982 et du fonds Barnier avec la création d’un arrêté de catastrophe naturelle spécifique pour le risque RGA.

Dans ce contexte, la problématique de retrait gonflement des argiles fait figure de risque majeur émergent et soulève de nombreuses inquiétudes tant pour les particuliers que pour les promoteurs, les assureurs ou encore les collectivités. Les travaux supervisés par Vincent Ledoux, Député du Nord, et synthétisés dans un récent rapport[4] mettaient en exergue, dans la continuité du Rapport du Sénat coordonné par Mme Lavarde[5], les enjeux à court terme du risque RGA pour la capacité de financement des ménages (travaux et assurances) mais également le coût pour le système assurantiel français déjà profondément fragilisés par l’aggravation des aléas climatiques. En effet, le régime CAT NAT est déjà déficitaire depuis huit ans et l’indemnisation des désordres bâtimentaires liés au RGA (Le Vallois et Bardaji, 2023), dans les années à venir, menace considérablement sa pérennité.

Augmentation de la sinistralité et impact sur la valeur immobilière dans une France à + 4°C

Le risque RGA inquiète de plus en plus les particuliers, les professionnels et les services de l’Etat d’une part, en raison de l’augmentation de la sinistralité ces dernières années, eu égard à l’augmentation des épisodes de sécheresse (Gourdier et Plat, 2018) et, d’autre part, parce qu’il met en péril le système assurantiel privé comme public, à moyen terme. D’après le BRGM, une sécheresse comparable à celle de 2003 devrait survenir une année sur trois entre 2020 et 2050 et une année sur deux entre 2050 et 2080. Il est estimé que le coût cumulé de la sinistralité sécheresse entre 2020 et 2050, représenterait un coût de 43 milliards d’euros, soit un triplement par rapport aux trois décennies précédentes.

Les particuliers confrontés au risque et notamment aux dommages sur leurs biens immobiliers s’alarment des difficultés à faire reconnaître le sinistre comme de celles à se voir correctement indemnisés. Par ailleurs, il est à noter que si les nouvelles normes constructives mises en place par la loi ELAN vont permettre de mieux prévenir le risque RGA et donc limiter la nécessité d’une remédiation pour les futures constructions, le bâti existant restent un angle mort de la politique de prévention et d’indemnisation du risque RGA. De plus, la loi ELAN encadre les futures constructions en zone d’aléa modéré et fort. Toutefois, si ce zonage concerne actuellement 54 % du bâti individuel français, l’augmentation des épisodes de sécheresse avec l’exacerbation du changement climatique et de ses effets pourraient contribuer à une révision de la cartographie existante et par conséquent des projets concernés par la loi ELAN. Ainsi, si le projet ARG VIP vise particulièrement à améliorer la prévention de l’existant et à inciter les travaux de réhabilitation à se saisir des enjeux d’adaptation, sa dimension prospective via des indicateurs permettant des cartographies à différents horizons temporels, permettra également d’anticiper de possibles révisions du zonage RGA et, partant, d’engager les acteurs à mettre en œuvre des stratégies d’adaptation dès l’élaboration des projets de construction et de lotissements.

Schéma rétroactif des conséquences du RGA

Il s’agit donc de sensibiliser les acteurs de l’ensemble de la chaine de valeur de l’immobilier à l’aléa RGA, sur le long terme, pour participer à la prévention du risque et limiter les coûts futurs pour pallier ses effets. Actuellement, les outils de prévention pour permettre une aide à la décision quant aux stratégies d’adaptation et de remédiation à mettre en œuvre face au risque RGA manquent. Leur développement devient un impératif afin d’éviter d’une part, les désordres bâtimentaires occasionnés par l’aléa et, d’autre part, la déstructuration des territoires et des sociétés locales fragilisées par ce risque émergent.

En effet, les incertitudes inhérentes au risque dans un contexte d’aggravation des conditions météorologiques défavorables ajoutées à la faiblesse des analyses coût-bénéfice rendent difficile, pour les acteurs, la possibilité d’anticiper rationnellement les efforts financiers à mobiliser et obèrent leur capacité d’agir.

Le projet ARG VIP

Lauréat du dispositif France 2030, financé par l’ADEME, l’OID propose de développer un module dédié à l’analyse du risque RGA, hébergé sur la plateforme R4RE. Ce projet de Recherche & Développement sur deux ans, propose de lever 4 verrous techniques et organisationnels pour une meilleur prévention et remédiation du risque RGA :

VerrousTypeSolution proposée
Verrou 1 : niveau de précision de l’indice de risqueScientifique : échelle et précisionConsolidation des indicateurs par couplage de données
Verrou 2 : incertitude quant
à la perte de valeur et au niveau des indemnisations
Socio-économique : gestion de l’incertitude et analyse coût-bénéfice du risqueProduction de données sur la perte de valeur potentielle des biens immobiliers et fonciers
Verrou 3 : attentisme des mairies sur les possibilités d’aménagement
et d’urbanisme
Socio-politique : accompagnement de l’ingénierie territoriale et aide à la décisionOutil de géovisualisation et accompagnement à l’échelle territoriale, avec l’appui des CAUE
Verrou 4 : incitation à l’adaptationSocio-politique : proposer des mesures d’adaptations et éviter les maladaptationsCatalogue de solutions évaluées économiquement et mises en regard de la perte de valeur potentielle

L’objectif du projet ARG VIP est, partant, de lever ces verrous en proposant un outil de data visualisation du risque RGA à l’échelle des bâtiments pour impulser la conduite de changement par la prévention et servir d’outil d’aide à la décision pour des actions de remédiation. ARG VIP vise principalement à servir d’outil de prévention pour l’ensemble des acteurs soumis au risque. L’application numérique sert un but environnemental dans la mitigation du risque RGA en rendant accessible une cartographie croisant l’exposition et les vulnérabilités intrinsèques des biens immobiliers et en proposant des solutions d’adaptation rationnelles économiquement et évitant les « maladaptations » soit les reports de vulnérabilité spatiale, temporelle ou sur d’autres objets, considérant ainsi le bâti comme un élément dans son environnement. ARG VIP propose également une aide à la décision destinée à améliorer la gouvernance de ce risque émergent. Pour ce faire, l’analyse coût-bénéfice permet de limiter la perte de valeur immobilière en incitant à mettre en place des actions de prévention et d’adaptation passive, dans une stratégie au long cours. Partant, il devient possible également de limiter les conflits liés au report de responsabilité et de réconcilier les acteurs. De nombreux conflits latents pourraient être évités en invitant l’ensemble des acteurs à partager leurs connaissances pour remédier ensemble aux désordres avérés et futurs, dans une logique de prévention. Par-delà, la modélisation de données climatiques, ARG VIP se veut un outil sociotechnique pour favoriser la gestion collective et concertée du risque et d’en limiter les dommages économiques.

Bibliographie

  • Gourdier S., Plat E. (2018) “Impact du changement climatique sur la sinistralité due au retrait-gonflement des argiles”. Journées Nationales de Géotechnique et Géologie de l’Ingénieur (JNGG)
  • Ighil-Ameur L. (2022) “Les maisons et les routes exposées au RGA à l’épreuve de l’adaptation au changement climatique” 11èmes journées nationales de géotechnique et de géologie de l’ingénieur, INSA, Lyon,
  • Le Vallois F., Bardaji J. (2023) “La gestion du risque climatique nécessite le concours de tous”, in Risques n° 135
  • Rapport de la mission du député Vincent Ledoux sur le risque RGA, publié le 19 octobre 2023.
  • Rapport d’information fait au nom de la commission des finances (1) sur le financement du risque de retrait gonflement des argiles et de ses conséquences sur le bâti, Par Mme Christine LAVARDE, p. 40
  • Sébastien Rouquette, Thomas Bihay. « La reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, un vecteur de médiatisation des risques naturels ? » in Cafarelli, François. La résilience des territoires exposés aux risques naturels – Le droit à l’épreuve des risques, Mare et Martin, p. 254-267., 2021, 978-2-84934-653-2. ⟨hal-03518166⟩

[2] En France, 48 % du territoire national connaît une exposition moyenne ou forte au RGA et 10,4 millions de maisons individuelles seraient exposées à un risque RGA fort ou moyen, ce qui représente 54,2 % de l’habitat individuel.

[3] La base de données GASPAR ne propose l’appellation Mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et la réhydratation des sols que depuis 2016 et permet ainsi de distinguer la problématique RGA du reste des mouvements de terrain.

[4] Rapport de la mission du député Vincent Ledoux sur le risque RGA, publié le 19 octobre 2023.

[5] Rapport d’information fait au nom de la commission des finances (1) sur le financement du risque de retrait gonflement des argiles et de ses conséquences sur le bâti, Par Mme Christine LAVARDE, p. 40

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