Alors que les fortes températures estivales mettent nos écosystèmes à rude épreuve, comme en témoigne notamment le bilan catastrophique des incendies en Gironde durant l’été, la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), dresse un portrait alarmant de l’évolution de la biodiversité. Au-delà de ce constat, celle-ci développe des pistes d’utilisation durable des espèces sauvages, et s’attaque à la problématique de conciliation des valeurs plurielles de la biodiversité.
Les 8 et 10 juillet, l’IPBES (équivalent pour la biodiversité du GIEC pour le climat) a publié deux résumés pour décideurs, en préambule de la publication des rapports associés, attendue pour la fin de l’année. Dans ces éléments de synthèse, l’organisation résume ses conclusions sur deux axes en particulier : la forte dépendance de nos sociétés à la biodiversité, et la multiplicité des valeurs que celle-ci incarne.
Une biodiversité en crise, dont nous sommes dépendants
L’organisation souhaite tout d’abord rappeler l’importance vitale des services écosystémiques, autrement dit des bénéfices offerts aux sociétés humaines par les écosystèmes. Selon le rapport de l’IPBES, nos sociétés dépendent de 50 000 espèces sauvages. Concrètement, 1 personne sur 5 a recours à l’utilisation directe d’espèces sauvages pour se nourrir ou en tirer des revenus. Cette problématique générale contient en creux une forte problématique sociale, puisque les personnes les plus dépendantes de l’exploitation d’espèces sauvages sont souvent les plus démunies ; l’IPBES estime ainsi que 70% des populations pauvres dans le monde dépendent directement des espèces sauvages.
Or l’effondrement de la biodiversité provoquée par le développement des activités humaines menace la pérennité de ces services écosystémiques indispensables. En tout, selon la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), plus de 41 000 espèces sont menacées d’extinction (soit 28 % des espèces suivies par l’organisation) !
Comprendre & concilier les « valeurs plurielles » de la biodiversité, un enjeu majeur
L’enjeu, pour l’IPBES, est de mieux comprendre les manières dont les personnes conçoivent, apprécient et dépendent de la nature, afin de mieux la protéger. Cette appréciation de la nature varie fortement d’un point de vue à l’autre, et ne s’arrête pas aux services écosystémiques dits d’approvisionnement (ensemble des ressources naturelles exploitées : nourriture, combustible, matériaux…) qui concentrent la majeure partie de l’attention. La beauté d’un paysage, la régulation thermique générée par un ilot de verdure urbain, l’interaction culturelle entre une population locale et une espèce sauvage qui partage son territoire : tous ces éléments sont à valoriser ! Il n’est pas nécessairement question de valeur économique ou comptable, mais d’être capable d’évaluer l’importance d’un aspect de la nature, en donnant la parole à l’ensemble des parties prenantes. Pour cela, l’IPBES propose une nouvelle typologie des « valeurs » de la nature, selon 4 catégories :
- « Vivre de la nature » rassemble les aspects instrumentaux de la nature, autrement dit ce qui se rattache aux services écosystémiques d’approvisionnement (nourriture, combustible, matériaux…) ;
- « Vivre dans la nature » renvoie à l’importance de la nature comme cadre de vie favorable pour l’espèce humaine (régulation thermique, stockage du CO2, formation des sols…), mais aussi comme base de nos sentiments identitaires (beauté des paysages, éducation) ou inspirant nos activités récréatives (tourisme écologique, contemplation, sports extérieurs) ;
- « Vivre avec la nature » insiste sur la valeur intrinsèque de la nature, et sur l’importance de la protéger indépendamment de ce qu’elle nous apporte. C’est tout le sens des démarches de protections d’espèces sauvages, et notamment de la sanctuarisation de certains espaces naturels, comme dans le cadre des zones Natura 2000 ;
- « Vivre comme la nature », enfin, met l’accent sur l’importance spirituelle des interactions entre les hommes et la nature pour de nombreuses communautés.
Ce que déplore particulièrement l’organisation est l’asymétrie dans l’implication des différentes parties prenantes : « seuls 2% des plus de 1000 études examinées consultent les parties prenantes sur les résultats de l’estimation des valeurs, et seulement 1% des études impliquent les parties prenantes à chaque étape du processus » selon le Pr. Unai Pascual. En conséquence le point de vue dominant (le plus souvent, le point de vue économique) s’isole, et propose un traitement partiel et partial de la nature. En encourageant à diversifier les valeurs prises en compte, l’IPBES espère pouvoir faire émerger une vision plus systémique et englobante de la biodiversité, essentielle à sa protection.
Un défi pour l’immobilier, et une opportunité
Face à cette problématique complexe, le secteur du bâtiment est en première ligne. Rappelons tout d’abord que l’étalement urbain et les constructions éparses sont les principales causes de destruction des continuités écologiques nécessaires à la faune sauvage pour circuler. Dans son « Appel Pour la Nature », en 2021, le comité français de l’UICN alerte sur le rythme de l’artificialisation des sols évalué à 20 000 hectares par an.
De par l’ampleur de ses projets, leur durée de vie, et le nombre de parties prenantes qui y sont liées, le secteur du bâtiment fait face à de lourdes responsabilités vis-à-vis de ces enjeux, et ne peut les ignorer. On constate d’ores et déjà des évolutions : l’émergence de certaines méthodes ou de certains types de projets, témoigne d’un élargissement notable du spectre de valeurs considérées. L’approfondissement constant des travaux sur la valorisation des services écosystémiques favorise une intégration de plus en plus complète des valeurs instrumentales de la biodiversité (catégorie « Vivre de la nature »). Le travail des écologues permet de protéger les espèces particulièrement vulnérables ou à fort enjeu de conservation, et s’inscrit ainsi dans la catégorie « Vivre avec la nature ». L’étude des trames (vertes, bleues, brunes …) dans le but de préserver la continuité écologique, la sanctuarisation de certaines zones lors des chantiers, l’intégration d’habitats au sein des projets immobilier pour accueillir la faune, sont autant d’exemples d’initiatives pour intégrer ce spectre de valeurs au sein des projets. Enfin l’association de la biodiversité au bâti comme embellissement du cadre de vie, ou l’apparition de jardins partagés au sein des quartiers témoignent de la résurgence des valeurs que l’IPBES regroupent dans les catégories « Vivre dans la nature » et « Vivre avec la nature ».
Le secteur du bâtiment n’est donc pas étranger au défi que lance l’IPBES par le biais de ses dernières publications. Il s’agit désormais de systématiser des démarches, qui restent le plus souvent des initiatives ponctuelles, à chaque étape du cycle de vie, et de les mutualiser afin d’impliquer le maximum de parties prenantes. Pour cela, l’anticipation paraît être un élément clé : l’élaboration systématique d’une feuille de route, de la conception d’un bâtiment à sa reconversion, établissant les modalités de consultations et d’actions autour des problématiques de biodiversité, et intégrant un vaste spectre de valeur, permettrait de limiter l’impact du secteur.
Les derniers rapports de l’IPBES rappellent l’urgence des problématiques en lien avec la protection et la préservation de la biodiversité. L’organisation appelle à une évolution des processus de décision vers plus de concertation, afin de mieux prendre la mesure des multiples enjeux qui nous lient à nos écosystèmes. Dans cette démarche, le secteur de l’immobilier est appelé à jouer un rôle important. Il faut établir des systèmes d’échange et de consultation, tout au long du cycle de vie du bâti, pour mieux intégrer et protéger les apports indispensables de la biodiversité.